Lectures pour l'été 2016 - Poches - Essais, Documents, Non-fiction

PivotBernard Pivot, Petit dictionnaire amoureux du vin

On vous attendait plutôt avec un Dictionnaire de la Littérature, même s’il est de notoriété publique que vous aimez le vin.

En effet, j’ai fait une feinte, un pas de côté. On m’a proposé d’écrire mon autobiographie, mes souvenirs de télévision, ce que j’ai partiellement fait avec Pierre Nora il y a quelques années dans Le métier de lire. Mais cela ne m’intéressait pas du tout. Quand Jean-Claude Simoën [fondateur et directeur de la collection «Dictionnaire amoureux»] m’a proposé le vin, j’ai tout de suite vu le parti que je pourrais en tirer: Parler d’une gourmandise qui m’a toujours accompagné tout en débordant sur des souvenirs, notamment de jeunesse. Et en même temps, je me faisais plaisir. À plusieurs reprises, en écrivant, je me suis senti grisé. Le vin peut être accommodé à tous les moments de la vie, en toutes circonstances, c’est cela qui est merveilleux. Et puis le vin possède une richesse de vocabulaire aussi vaste que ses crus. Je regrette d’ailleurs que, les très mauvais vins disparaissant, les mots les qualifiant sont eux aussi en train de disparaître. La bouche liée à la verve populaire a du génie.

Vos parents ayant un vignoble dans le Beaujolais, vous n’avait jamais pensé devenir viticulteur?

Non, même si j’ai fait tous les travaux de la vigne, à part la taille. Je n’étais pas doué pour ça. Je savais très bien que je tirerais davantage profit des mots que des grappes de raisins. La vigne était pour moi liée aux vacances, mais je ne suis pas sûr que j’aurais aimé rester toute l’année dans un vignoble.

Le vin a-t-il sa juste place dans la littérature?

Il est très présent dans les romans, depuis Homère et Rabelais jusqu’à Baudelaire ou, aujourd’hui, Pirotte. Mais il est trop souvent cantonné au décor. L’un de mes chapitres s’intitule d’ailleurs «Quel vin?». Je fulmine quand je vois que tous les plats sont cités mais pas les vins. C’est une forme de mépris. Ce n’est pas la même chose si on boit un cru bourgeois du bordelais ou un condrieu. Quand Dominique Rolin raconte que Sollers lui amène du vin et qu’ensemble, ils le dégustent, elle ne dit pas de quel vin il s’agit! Par contre, lorsque Jean-Jacques Rousseau dit qu’il a volé des bouteilles au bourgeois lyonnais qui l’emploie comme précepteur, il justifie son larcin en précisant qu’il s’agit d’un joli vin d’Arbois.

Vous réhabilitez d’une certaine façon le beaujolais.

Il ne faut pas faire du beaujolais nouveau ce qu’il n’est pas. C’est un charmant vin de copains et de nappes en papier, aux arômes de jardin de curé et que l’on boit pour se faire plaisir. La raison de son succès est psychologique : il arrive au bon moment de l’année, le troisième jeudi de novembre. C’est un peu de gaieté dans un mois où il fait souvent pluvieux et froid. Mais il fait du tort aux autres beaujolais en occultant ceux qui viennent après Pâques et ne sont pas faits pour une consommation immédiate. (Pocket)

 

RebatetLe dossier Rebatet, Les décombres et L’inédit de Clairvaux

Fallait-il rééditer Les Décombres, livre haineux et antisémite paru en juillet 1942 chez Denoël sous la signature d’un homme, Lucien Rebatet, journaliste musical et cinéma, et aussi polémiste politique, au quotidien collaborationniste Je suis partout dont la condamnation à mort en novembre 1946 est commuée l’année suivante en travaux forcés à perpétuité, et qui sera libéré en 1952, vingt ans avant sa mort ? Ce livre considéré comme «le best-seller» de l’Occupation est suivi, dans cette édition, par L’inédit de Clairvaux, 644 pages manuscrites rédigées à la centrale de Clairvaux où était interné son auteur, première version des Mémoires d’un fasciste publiées en 1976 par Jean-Jacques Pauvert. Oui, il le fallait, écrit Pascal Ory dans sa préface, ne fût-ce que parce d’autres livres sulfureux liés à cette époque ont été récemment publiées (à ce titre les pamphlets de Céline, toujours interdits par sa veuve, font figure d’exception) et qu’il existe des éditions illégales et non annotées. Or, justement, celle-ci est accompagnée de nombreuses notes et commentaires de Bénédicte Vergez-Chaignon qui permettent de contextualiser les deux textes. Les Décombres se caractérise par sa violence, explique le préfacier: à l’égard de l’armée française, du régime de Vichy et, bien sûr contre le juif, un «ennemi sournois qui circule au sein de tous ses adversaires, y compris (…) un christianisme qui en est, qu’on le veuille ou non, issu». Il propose et planifie, par exemple, «l’instauration – dans des terres «sibériennes ou africaines» dont on imagine l’hospitalité – d’un ghetto unique où serait parqués tous les juifs du monde, sans à peu près aucune exception.» Ce volume contient en annexes les notes et brouillons des Décombres, des extraits du dossier d’instruction de l’affaire Rebatet devant la Cour de Justice de la Seine et, absolument passionnant, le compte-rendu du procès des trois journalistes de Je suis partout, Rebatet, Cousteau et Jeantet du 18 au 23 novembre 1946 ainsi que les interventions demandant la grâce du premier. (Bouquins)

 

Bloch-DanoÉvelyne Bloch-Dano, Jardins de papier

Voici un livre formidable destiné tant aux amateurs de jardins et de littérature. Après avoir revisité les jardins médiévaux, de la Renaissance, à la française ou à l’anglaise, Évelyne Bloch-Dano flâne dans des œuvres où ils occupent une place de choix. Elle nous invite à l’accompagner au fil de délicieuses balades littéraires auprès d’écrivains qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lus pour en goûter les saveurs. Jean-Jacques Rousseau, peut-être à l’origine de la vogue du jardin paysager, ouvre naturellement la promenade, suivi par Georges Sand dont les livres sont entièrement habités par la nature qui la passionnait. Nous nous aventurons dans les jardins de Proust, celui de Combray, bien sûr, mais également les Champs-Élysées où Marcel joue enfant et où le jeune narrateur rencontre Gilberte. «Le plus épris de jardins» est Gide, selon l’auteure, qui suit ensuite Sartre et Simone de Beauvoir dans le Jardin du Luxembourg ou Duras dans sa maison de Neauphle-le-Château achetée «à la seule vue du parc». Elle part aussi sur les traces du très parisien Patrick Modiano dont les livres, rappelle un texte d’une grande finesse, sont parsemés d’«herbes folles» et de squares. (Le Livre de Poche)

 

TessonSylvain Tesson, Berezina

À bord d’un side-car baptisé Oural, accompagné d’un ami et d’un photographe ainsi que de deux motards russes, Sylvain Tesson a, pendant douze jours de décembre 2012, refait le chemin effectué par Napoléon deux siècles plus tôt. S’appuyant sur de nombreux récits et mémoires de l’époque, mais aussi sur La Guerre et la Paix de Tolstoï, l’auteur de Dans les forêts de Sibérie fait revivre, depuis son départ de Moscou après cinq semaines d’attente, le périple de la Grande Armée terrassée par les raids cosaques, les privations, les épidémies mais, surtout, le froid. Six semaines plus tard, l’empereur arrive seul à Paris, ayant abandonné ses hommes du côté de Vilnius. Tesson raconte Borodino, théâtre à l’aller d’une bataille sanglante, ou la tragique traversée de la Berezina, les boulets s’abattant sur les dizaines de milliers d’hommes apeurés qui n’ont pas encore pu la franchir, sacrifiés par Napoléon ordonnant d’incendier les ponts afin de ralentir l’ennemi Il relate aussi son propre voyage, témoignant de son amour pour les Russes (qu’il côtoie depuis 1991) issus de 70 ans de joug soviétique et de dix années «d’anarchie eltsinienne». (Folio)

 

KahnAxel Kahn, Entre deux mers, voyage au bout de soi

Un an après sa traversée de la France, des Ardennes au Pays basque, retracée dans Pensées en chemin (Le, Livre de Poche), Axel Kahn a récidivé au printemps 2014, reliant la pointe Bretonne à la frontière italienne. À près de 70 ans, ce marcheur au long cours est ainsi resté fidèle à une ancienne promesse faite à la lecture de Chemin faisant de Jacques Lacarrière. «Je voulais mettre ce trajet sous le signe de la recherche des beautés», témoigne celui qui n’a cessé de s’émerveiller face à celles que lui prodiguent les paysages et les nombreuses rencontres. Et qu’il a partagées via les réseaux sociaux au fil d’un périple de 2057 km qui s’est avéré plus ardu que le précédent. «Qui ne voudrait être à ma place», s’enthousiasme-t-il néanmoins. De ses découvertes, mais aussi ses craintes à la vue de l’état de certains territoires, il en rend subtilement compte dans ce livre. Tout en prenant le pouls économique, social, architectural, culturel, politique et historique des régions qu’il traverse, le généticien opère un retour sur soi que favorisent ces longues journées solitaires. Avec pour seule compagne, accrochée à son sac, Princesse Mascotte, «un espiègle poulain alezan en peluche affublé d’un gilet vert criard». (Le Livre de Poche)

 

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