Lectures pour l'été 2016 - Poches - Polars et thrillers

GilbersHarald Gilbers, Germania

C’est un auteur allemand qui signe ce premier roman soufflant sur les braises encore fumantes du Troisième Reich. A Berlin, l’été 1944, alors que les dignitaires nazis, faisant fi des bombes alliées, continuent à galvaniser la population, les corps nus et mutilés de jeunes femmes sont retrouvés devant des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. L’enquête est confiée par le SS Vogler à Richard Oppenhemer, un ex-commissaire de police révoqué parce que Juif mais non déporté grâce à son épouse aryenne. Dans cette course contre la montre pour retrouver le tueur en série, la cohabitation entre les deux hommes ne va pas sans mal. Au-delà de la tension qu’il génère, l’un des très grands intérêts du livre est la description de la vie dans la capitale allemande au cours de ces semaines décisives, une réalité que l’on connaît mal. Habitué aux grands défilés militaires et aux manifestations enthousiastes vues et revues à la télévision, on se surprend par exemple à découvrir que la foi nazie n’avait pas pénétré tous les esprits et que l’usage de la force contre les opposants était monnaie courante. Ce roman dans le roman montre qu’il existait une résistance, y compris au plus haut niveau. (Traduit de l’allemand par Joël Falcoz, 10/18))

 

MinierBernard Minier, Une putain d’histoire

Sur le ferry qui, comme chaque jour, les ramène du continent où ils sont scolarisés à leur domicile sur Glass Island, au large de Detroit, Henry, 16 ans, apprend de Naomi, sa petit amie, qu’elle veut «faire un break» car elle a découvert «qui il est». Il tombe des nues, ne comprend rien à ce qu’elle dit. Et lorsque, le lendemain, on retrouve le cadavre de la jeune fille sur une plage, la bande de copains dont elle faisait partie décide de mener sa propre enquête, un peu à la manière du Club des Cinq (sans le chien) – référence d’ailleurs citée. Mais il y a un «hic»: pour la police, Henry est le principal suspect puisque Naomi a disparu suite à leur dispute assez violente sur le bateau – filmée par les caméras de surveillance. De là à penser que ce garçon adopté enfant par deux mères l’aurait lui-même poussée à l’eau, il n’y a qu’un pas que le procureur n’hésite pas à franchir. S’engage ainsi une course contre la montre d’autant plus pimentée qu’il est aussi question d’un «corbeau» qui fait chanter pas mal de monde sur l’île à propos de soirées libertines. Pendant ce temps, loin de là, Grant Augustine, directeur de l’une de ces nombreuses sociétés de surveillance nées après le 11-Septembre, fait campagne pour devenir gouverneur de l’Etat de Virginie. Grâce aux antennes qu’il possède sur quasiment tout le territoire des Etats-Unis, il est enfin parvenu à localiser le fils qu’il recherche depuis 16 ans… à Glass Island. Au-delà d’un suspense très solide, l’auteur de Glacé et de N’éteint pas la lumière soulève la question on ne peut plus actuelle de la surveillance totale dont nous sommes les cibles via Internet, nos téléphones portables et autres merveilles technologiques. (Pocket)

 

SardouRomain Sardou, Mademoiselle France

Il existe des centaines d’ouvrages sur la Deuxième Guerre mondiale et sur l’Occupation, livres historiques, romans, journaux ou biographies, alors pourquoi en ajouter un nouveau? Parce que Romain Sardou voulait axer sa focale sur un pan peu éclairé de ce vaste tableau: l’univers des maisons closes. C’est à travers l’une d’elles, le Sphinx, exclusivement fréquentée par des «Allemands galonnés», qu’il observe les quatre années d’Occupation. Plus précisément par les yeux de sa nouvelle pensionnaire, la jeune et jolie France arrivée de Poitiers. La jeune fille fait tourner bien des têtes, et d’abord celle du commandant Friedrich Grimm auquel elle s’attache, jusqu’à le suivre après la débâcle dans son exil argentin. Ce fringant trentenaire s’est illustré lors d’un événement peu connu en France, mais davantage en Belgique, la prise par des planeurs et des parachutistes de la Wehrmacht, dans la nuit du 10 au 11 mai 1940, du fort d’Eben-Emael, au nord de la province de Liège. Le chemin de France va aussi croiser celui d’un groupe de résistants maréchalistes, d’étudiants de la Sorbonne, ainsi qu’un policier démis de ses fonctions parce qu’il s’est opposé à l’exécution par la Gestapo de travestis qu’il avait lui-même identifiés comme témoins lors du meurtre d’un officier allemand. Mademoiselle France ne se limite pourtant pas à la chronique fidèle et vivante d’une époque. Romain Sardou construit en effet une véritable intrigue centrée sur son héroïne qui apparaît bientôt sous son vrai jour, animée par un projet qu’elle entend mener à bien coûte que coûte, même au prix de grands sacrifices personnels. (Pocket)

 

 

Lucovich

Jean-Pierre de Lucovich, Occupe-toi d’Arletty !
Michel Moatti, Retour à Whitechapel et Blackout Baby

Ces trois romans policiers se déroulent tous pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais des deux côté de la Manche.

Pour son premier livre récompensé par la Prix Arsène Lupin 2012, l’ancien journaliste Jean-Pierre de Lucovich fait preuve d’une certaine témérité, non seulement en mettant en scène la célèbre comédienne française qui file le parfait amour avec un officier allemand sous l’Occupation, et sans s’en cacher («Mon cœur est français mais mon cul est international», aurait-elle lancé), mais surtout en lui faisant vivre une aventure imaginaire. En effet, en 1942, la vedette des Enfants du Paradis reçoit des petits cercueils et lettres de menaces. A la demande de son père, fils d’un ex commissaire de la brigade mondaine, Jérôme Dracena, un ancien flic de la Crim’ devenu détective privé, prend l’affaire en mains, sans savoir précisément où il met les pieds. Engagé sur la piste de l’actrice Dita Parlo, il découvre rapidement des photos compromettantes prises à Berlin, sur lesquelles figurent notamment son ancienne femme. Multipliant les personnages, certains véridiques (le chef de la Gestapo Henri Lafont, les comédiens Carette ou Ginette Leclerc), d’autres fictionnels, passant du Fouquet’s au fameux One Two Two, l’auteur recrée avec maestria le clair-obscur de ces années dont il cerne intelligemment la complexité. (10/18)

Moatti Moatti2

C’est à Londres, à la même époque, que Michel Moatti a situé ses deux premiers polars. En réalité, pas tout à fait. Car si Retour à Whitechapel se passe bien en 1941, il remonte aussi un demi-siècle en arrière. Infirmière au London Hospital dans une ville en proie aux bombardements allemands, Amelia Pritlowe apprend, par une lettre posthume de son père, que sa mère fut la dernière victime de Jack l’Eventreur. Le roman alterne alors deux époques, les carnets de l’héroïne où elle raconte sa jeunesse et son enquête et l’automne 1888 où le terrible tueur œuvre à plusieurs reprises. Pour écrire ce livre et s’approcher au plus près de la vérité, l’auteur, qui a vécu dans la capitale anglaise, a lui-même enquêté plusieurs années, consultant les rapports de police et médicaux-légaux.

C’est un tueur qui hante également son deuxième roman, Blackout Baby, mais en 1942. Pendant le blitz, il assassine, en les mutilant, quatre prostituées selon un modus operandi qui évoque celui de son prestigieux prédécesseur, ce conduit Amelia, toujours infirmière, à reprendre du service, la police étant occupée sur d’autres fronts. La jeune femme travaille avec un policier retraité qui avait déjà enquêté sur Jack l’Eventreur. Tout comme il l’avait fait avec l’ère victorienne, l’auteur parvient à superbement recréer l’atmosphère londonienne pendant ces mois où le gouvernement tente de protéger la population des bombes ennemies. (10/18)

 

PrevostGuillaume Prévost, La berceuse de Staline

La berceuse de Staline est, après La Valse des gueules cassés, Le Bal de l’équarisseur et La quadrille des maudits, la quatrième enquête menée par François-Claudius Simon à Paris au lendemain de la Première Guerre mondiale. Mais celle-ci l’oblige à se rendre à Moscou où est emprisonné pour meurtre le neveu du ministre de l’Intérieur. C’est en réalité une autre enquête qui l’intéresse: celle portant sur l’assassinat d’un couple de Russes dans la ville Lumière où, après la Révolution de 1917, de nombreux Russes blancs ont trouvé refuge. Ses recherches le conduisent du côté de l’Okhana, l’ancienne police politique du tsar, suite à la découverte d’un document où figure également une berceuse russe suivi d’un nom, Sosso, qui était celui que portait Staline enfant. Mais à son arrivée dans la capitale russe, on lui déconseille de se montrer trop curieux. Après avoir parfaitement restitué la France de l’après-guerre, l’agrégé d’histoire récidive avec la peinture d’une société minée par l’opposition entre Lénine, Trotsky et Staline. Cette Berceuse est donc à la fois palpitante et passionnante d’un point de vue historique. (10/18)

 

DaillonJean d’Aillon, Le chien des Basqueville

Maître du polar historique, Jean d’Aillon a créé l’an dernier une nouvelle série s’inspirant affectueusement de l’univers de Conan Doyle en mettant en scène les ancêtres de ses héros, Edward Holmes, un ancien clerc anglais, et Gower Watson, un archer blessé à Azincourt en 1415. Dans Une étude en écarlate, il rappelait qu’en vertu du Traité de Troyes signé en 1420, Paris fut brièvement anglais sous la régence du duc de Bedford, sur fond de guerre civile entre Bourguignons et Armagnacs arbitrée par la puissante confrérie des bouchers.  Dans ce deuxième épisode, Holmes est chargé par Isabeau de Bavière, épouse du roi Charles VI le Fou, de conduire l’une de ses dames d’honneur au château de Basqueville où repose son époux. Mais il se fait berner et, de retour à Paris avec un molosse – le chien du titre -, il part à la recherche de la jeune femme, aidé par son ami Watson. Mais c’est d’une affaire nettement plus cruciale, et secrète, que le duo va être bientôt chargé: retrouver des lettres compromettantes pour la reine puisqu’elles révèlent sa liaison avec Philippe d’Orléans dont elle aurait eu plusieurs enfants illégitimes. Intégrant des personnages historiques – telle l’obscure Yolande d’Aragon, belle-mère de celui qui prétend être le dauphin – dans des mystères savamment élaborés, le romancier porte un éclairage bienvenu sur une époque mal connue. (10/18)

 

 

Michel Paquot
Juin 2016

 

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

 

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