Lectures pour l'été 2016 - Poches - Romans français

EnardMathias Énard, Remonter l’Orénoque

Mathias Enard prouve, avec son deuxième roman publié en 2005, qu’un grand roman ne se résume pas à son intrigue. Car de quoi est-il question ici, sinon d’un triangle amoureux classique. Dans le Paris caniculaire de l’été 2003, Youri le chirurgien russe aime la même infirmière qu’Ignacio, son ami et collègue vénézuélien marié et père d’une fillette. La jeune femme décide de remonter le fleuve vénézuélien comme pour remonter le temps, à la recherche de son père disparu lorsqu’elle était petite. Pourtant, Remonter l’Orénoque, porté au cinéma sous le titre À cœur ouvert, parle de bien d’autres choses. Et d’abord de la difficulté de vivre et d’aimer, l’auteur de Boussole, par son écriture baroque, flamboyante, poétique, s’aventurant dans les tréfonds de l’âme humaine. (Babel)

 

LadjaliCécile Ladjali, Shâb ou la nuit

Cécile est née «dans une grande maison en Suisse» où Robert (en fait Rabia) et Julie (en réalité Jeannine) sont allés la chercher en décembre 1971. Elle s’appelle alors Roshan. C’est le point de départ du roman autobiographique de Cécile Ladjali, professeure de littérature et auteure de plusieurs romans. Elle raconte son enfance, son adolescence, sa scolarité médiocre – ce qui lui vaut des coups de martinet –, sa conviction de n’être pas faite pour un «métier d’intellectuelle» – même si elle lit beaucoup, notamment de la poésie. Mais, jugée «limitée», elle se retrouve dans une filière technologique au milieu de «cas sociaux». Avant d’être réorientée vers la filière littéraire. On assiste à la mort de Robert, souffrant éternellement du dos et profondément hanté par sa Guerre d’Algérie – pays où il était né. Puis à celle, lente, de Jeannine. Et aussi à la naissance de son fils. Et aux retrouvailles avec sa mère biologique via une correspondance à laquelle, déçue par «cette adolescente attardée qui faisait comme si le passé n’avait pas d’importance», elle mit rapidement fin. (Babel)

 

VitouxFrédéric Vitoux, Il me semble désormais que Roger est en Italie

Ce très bref récit biographique – au titre magnifique décalqué d’un mot trouvé chez Stendhal – est à la fois l’histoire d’une révolution et le portrait d’une amitié. La révolution est celle vécue par Roger Tailleur, critique cinéma à Positif et à France Observateur, ardent défenseur des films américains, qui, peu après Mai 68, plaque tout pour se consacrer entièrement, exclusivement à l’Italie, tant sous ses aspects artistiques que géographiques, l’explorant région par région. Avant d’y vivre durablement. L’amitié, c’est celle qui le lie ensuite à Frédéric Vitoux, lui-même atteint dans ses jeunes années d’une «cinéphilie galopante» et collaborateur occasionnel à Positif dans la deuxième moitié des années 1960. Le futur Académicien, qui le reçoit plusieurs fois par mois à manger après son départ de la revue, le pousse à écrire sur sa nouvelle passion, en vain. Même si, l’été 1985, il semble être «sur le point de fléchir», non pour traiter tel ou tel sujet mais pour parler de lui, de ses voyages – ce qu’il ne fera jamais. D’autant plus qu’il meurt d’une leucémie le 15 septembre – une seconde mort –, au moment, étrange clin d’œil du destin, où son ami est en Toscane d’où il lui envoie une carte postale. Ne voulant y croire, Frédéric Vitoux écrit cet affectueux hommage à chaud, publié l’année suivante chez Actes Sud. Il s’interroge notamment, sans apporter de réponse, sur les raisons de ce basculement, dix-sept ans plus tôt, «vers le silence et l’isolement le plus absolu». (Équateurs parallèles)

 

EekhoudGeorges Eekhoud, La Nouvelle Carthage

La Nouvelle Carthage du titre de cette œuvre-clé de la littérature belge écrite en 1888, c’est Anvers à la fin du 19e siècle, ville natale de l’auteur. Élevé par son oncle, patron autoritaire d’une grande usine, Laurent Paridael s’éprend de sa cousine qui le dédaigne, lui préférant les salons. Leurs histoires à l’un et à l’autre seront particulièrement mouvementées, tant professionnellement qu’humainement et sentimentalement. Tandis que le jeune homme découvre le monde des ouvriers et des voyous de la ville et du port, sa cousine fait un mariage obligé qui échoue. Collaborateur à la revue littéraire La Jeune Belgique, Georges Eekhoud (1854-1927) est considéré, avec Camille Lemonnier, comme l’un des plus brillants représentants du naturalisme belge. À travers son roman, il fait le portrait de la Belgique à la fin du 19e siècle sous ses multiples aspects, sociaux, économiques, sociétaux, etc., dénonçant notamment les injustices sociales. L’intrigue, écrit Paul Gorceix dans sa postface, «n’est que le fil conducteur sur lequel viennent se greffer une suite de tableaux et de descriptions spectaculaires, un foisonnement de situations disparates et de situations hétérogènes, choisis en fonction des types qu’ils représentent.» (Espace Nord)

 

PaulhanJean Paulhan, Le Guerrier appliqué

Jean Paulhan est bien plus connu pour ses longs et précieux états de service chez Gallimard du milieu des années 1920 à sa mort, en 1968, principalement comme directeur de la Nouvelle Revue française dans l’entre-deux guerres, ou encore comme auteur des Fleurs de Tarbes en 1963 de la fameuse Lettres au directeur de la Résistance en 1952, que comme romancier. Le Guerrier appliqué, qui ouvre ce volume, rend compte, sous une forme semi-romanesque, de son expérience comme sergent chez les Zouaves où il n’est resté que quelques mois, blessé le jour de Noël 1914. Il raconte sa montée au front, les tranchées, ses premiers combats, ses premiers morts et l’évolution dans sa vision de la guerre. Les deux autres textes, Progrès en amour assez lents et Lalie, écrits en 1915 et 1916, sont de brefs textes de teneurs très différentes. Le héros du premier, soldat au repos dans un village, a une aventure avec une fille du coin. Et le deuxième, sur un ton détaché, conte les déambulations champêtres de Lalie et d’un jeune garçon de passage au village. (L‘Imaginaire)

 

 

ZenattiValérie Zenatti, Jacob Jacob

Jacob, le personnage qui donne son nom au roman de Valérie Zenatti, Prix du Livre Inter 2015, est un jeune juif d’Algérie parti combattre sur le sol français en 1944, alors que deux ans plus tôt, la France de Pétain l’avait exclu de son lycée. Il débarque en Provence au mois d’août avant d’aller mourir en Alsace, à 19 ans et 7 mois. Mais Jacob est, en vrai, le grand-oncle de la romancière. Dans ce roman, celle-ci fait revivre, dans un style envoûtant, la communauté juive de Constantine dans les années 1940 à travers une famille dominée par le père, patriarche rude avec les siens, et où la femme occupe une place bien peu enviable. La mère, Rachel, pleure l’absence de ce fils qu’elle aimait tant, qui illuminait la maison, et sa vie. Le benjamin de la fratrie, avide de lectures, qui portait le prénom d’un frère aîné mort à trois ans. Minée par la douleur, elle part à sa recherche, de casernes en casernes, avec ses victuailles. (Points)

 

FranceAnatole France, Histoire contemporaine

L’Orme du Mail, Le Mannequin d’osier, L’Anneau d’améthyste, Monsieur Bergeret à Paris : à travers ces quatre romans publiés entre 1897 et 1901 et regroupés sous le titre d’Histoire contemporaine, Anatole France offre un tableau panoramique de la France à la fin du 19e siècle, «un panorama coloré et satirique de la Belle Époque», comme le cerne François Taillandier dans la préface. Il choisit des personnages d’horizons très divers – clergé, administration, armée, aristocratie –, à Paris ou en province, pour mettre en scène les tensions propres à cette époque, notamment l’Affaire Dreyfus face à l’antisémitisme et les querelles religieuses entre la République et les cléricaux qui déboucheront sur la séparation de l’Église et de l’État. Le fil conducteur est Lucien Bergeret, personnage érudit malheureux en ménage qui discute de tous les sujets possibles avec son libraire. Avec cette tétralogie, l’auteur de La Rôtisserie de la reine Pédauque prouve, une fois de plus, que le roman est un merveilleux biais pour pénétrer la vérité historique, non seulement celle des faits et des événements mais, surtout, celle des mentalités et émotions. (La Petite Vermillon).

 

Michel Paquot
Juin 2016

 

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

 

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