Lectures pour l'été 2016 - Poches - Romans français

NohantGaëlle Nohant, La Part des flammes

Né en 1885, le Bazar de la Charité rassemble des œuvres de bienfaisance organisées par des aristocrates parisiennes où l’on vend des objets et des vêtements en faveur des pauvres. En 1897, il déménage dans un hangar en bois de 80 mètres de long bordé de part et d’autre par vingt-deux comptoirs. Les places sont chères, les dames patronnesses considérant cette manifestation annuelle comme la juste récompense de leur temps consacré aux plus démunis et aux malades. Notamment auprès des très contagieux tuberculeux enfermés dans des sanatoriums en plein Paris. L’un de ces comptoirs, celui des noviciats dominicains, est tenu par la joviale et généreuse duchesse de Bavière, sœur de l’impératrice Sissi, devenue duchesse d’Alençon suite à son mariage avec le petit-fils du roi Louis-Philippe.

C’est vers 16h30, le mardi 4 mai, peu après la bénédiction par le nonce apostolique, que le feu se déclenche dans le local mitoyen où est installé le cinématographe projetant des films des frères Lumière. Rapidement, un rideau s’enflamme. Une rumeur dira que les hommes se fraient un passage avec leurs cannes, n’hésitant à piétiner les femmes, majoritaires en ce lieu. Tandis que certaines d’entre elles tentent de s’extraire du brasier par la porte à double battants qui donne sur la rue, d’autres se réfugient dans la cour intérieur fermée par l’Hôtel du Palais. D’où, brisant les barreaux d’une fenêtre, le personnel tente d’extraire les malheureuses.

On dénombrera plus de cent-vingt victimes, dont la duchesse d’Alençon. Mais pas les deux femmes qu’elle avait invitées à son comptoir, les héroïnes – fictives – du roman, Violaine de Raezal et la jeune Constance d’Estingel. La première, qui se languit depuis la mort de son mari, rejetée par les enfants que celui-ci a eus d’un premier lit, «brûle du désir de [se] consacrer à des œuvres de charité.». La seconde, sur les conseils de la mère dominicaine chez qui elle a été pensionnaire, vient de rompre avec son fiancé, Laszlo de Nérac. Mais l’infortuné délaissé, convaincu de la réciprocité de son amour, veut à tout prix la faire changer d’avis. Or, cet apprenti écrivain est accusé d’avoir trahi sa caste en signant des articles favorables à la Commune de Paris qui a secoué la capitale un quart de siècle plus tôt. C’est comme journaliste pour Le Matin qu’il se retrouve sur les lieux de la tragédie. Si Violaine se remet rapidement de ses brûlures, ce n’est pas le cas de Constance en proie à des crises qui conduisent sa mère, qu’elle déteste, à la faire interner dans un institut psychiatrique situé non loin de la célèbre clinique du Docteur Blanche.

Autour d’un drame et d’une époque admirablement reconstruits, Gaëlle Nohant crée une intrigue d’une grande puissance dramatique et émotionnelle. (Le Livre de Poche)

 

DidierlaurentJean-Paul Didierlaurent, Le liseur du 6h27

Ce Liseur du 6h27 est un premier roman tout à fait enthousiasmant remarqué lors de sa sortie en 2014. Pour tromper la tristesse de voir des milliers de livres envoyés quotidiennement au pilon, son héros sauve régulièrement de l’impitoyable broyeuse, la Zerstor 500, des feuillets qu’il lit aux passagers partageant la voiture de son RER matutinal. Autant de morceaux d’histoires volées au temps qui passe, sans débuts, ni fins, avant ni après. Il est si convaincant que deux vieilles dames lui proposent de venir lire dans leur résidence. Guylain a deux compagnons, son poisson rouge et l’un de ses anciens collègues dont les jambes ont été broyées par la «Chose» et qui recherche depuis, avec l’appui des bouquinistes parisiens, les 1299 exemplaires d’un certain livre de jardinage. À ce mystère, vient s’en ajouter un autre, celui d’une clé USB retrouvée sous son siège par le conteur. Elle contient les extraits d’un journal tenu par une Madame Pipi qui ne laisse pas de marbre son indiscret lecteur. À qui il ne reste plus qu’à retrouver son auteur dans l’un des multiples centres commerciaux bâtis autour de Paris. (Folio)

 

CartonVirginie Carton, La blancheur qu’on croyait éternelle

Dans le premier roman de Virginie Carton, Des amours dérisoires, l’un des personnages apercevait Julien Clerc en rue. Dans celui-ci, c’est Alain Souchon que l’on voit en maillot de bain sur une plage de la côte d’Azur. D’ailleurs, son titre, La blancheur qu’on croyait éternelle, est extrait de L’Amour à la machine, une chanson de 1994. La chanson française, qui forge notre imaginaire culturel, mais aussi émotionnel, constitue la matrice de cette histoire. D’un côté Lucien, pédiatre, terriblement old school dans ses goûts – d’intérieur notamment. De l’autre Mathilde, vendeuse de chocolats sortie d’une grande école de commerce, qui désespère sa mère qui la voudrait plus «rigolote» et ambitieuse. Ils se croisent à une soirée costumée chez le nouveau locataire de leur immeuble. Lui est déguisé en Joe Dassin, elle en fantôme. Moyennant de fréquents retours dans leurs enfances, l’auteure trace à mi-voix et avec tendresse, comme dans un murmure, les chemins parfois chaotiques de ces deux solitaires qui finiront par se rencontrer. (Le Livre de Poche)

 

LevyJustine Lévy, La gaieté

La gaieté est le quatrième roman de Justine Lévy en deux décennies. Dans le premier, Le rendez-vous, la demoiselle d’à peine vingt ans réveillait des souvenirs d’enfance en faisant le portrait de sa mère, le mannequin Isabelle Doutreluigne. Dont la mort d’un cancer il y a une dizaine d’années était au centre de son troisième livre, Mauvaise fille, porté à l’écran en 2012 par son compagnon Patrick Mille. Entre les deux, dans Rien de grave, la fille de BHL avait donné libre cours à sa colère contre son mari, Raphaël Enthoven, parti avec Carla Bruni (pas encore Sarkozy). Tout cela sous des dehors romanesques, l’auteure n’hésitant pas à jouer avec la réalité et rebaptisant sa narratrice Louise et ses parents Alice et Georges.

Dans La gaieté, Louise a un compagnon et deux enfants. Elle qui, très tôt, «avant de savoir lire, écrire et compter», savait que «c’est la gaieté qui allait tout changer», était pourtant triste. C’est sa rencontre avec Pablo qui l’a sortie de cet état. Et ce parti-pris d’être gaie, encore balbutiant, s’est définitivement affermi à l’annonce de son premier enfant. Même si elle est encore, de temps en temps, victime de rechutes. Ce roman, finalement, ne raconte rien d’autre que la vie d’une famille parisienne aujourd’hui. Une photographie dans laquelle chacun, placé dans une situation proche, pourra se reconnaître. Il est par exemple question du regard amoureux porté par Louise sur son conjoint. Ou de sa peur. Auparavant, elle craignait «pour maman» qui abusait de médicaments et de vraies drogues. Aujourd’hui, ce n’est plus la fille mais la mère qui a peur «de tout». Et du lendemain. Ses enfants à peine nés, elle s’est demandé avec angoisse comment elle fera «quand ils seront grands». S’y préparant, elle s’en «attriste déjà».

Au fil de ce récit discontinu, d’une écriture souvent rapide, faite de bouts de phrases accrochées les uns aux autres comme les wagons d’un train, la narratrice voyage entre le passé et le présent. Elle raconte la douleur du manque d’une mère perdue trop tôt. Et l’amour d’un père qui, où qu’il soit (chez «les Afghans ? les Ingouches ? les Kosovars ?»), accourt au moindre souci, veillant aujourd’hui avec la même tendresse sur ses petits-enfants. Qui, semble-t-il, le lui rendent bien. (Le Livre de Poche)

 

FerneyAlice Ferney, Le ventre de la fée

Publié en 1993, le premier roman d’Alice Ferney, auteure qui a fait du chemin depuis (Dans la guerre, Les Autres, Cherchez la femme, Conversation amoureuse), vient seulement de paraître en poche. Du ventre de la fée, qui, avec l’homme qu’elle aime, se réjouit tant de cette naissance, sort un diable nommé Gabriel. Un garçon taciturne qui enferme les cadavres de petits animaux dans des boîtes en bois qu’il sculpte lui-même. Un adolescent grand et athlétique qui couvre les murs de sa chambre d’images «obscènes» en pétrissant la chair d’une fille qui tente de l’en empêcher, la pénétrant à son corps défendant. Et pire encore. Le corps des femmes est, pour lui, «une surface douce à griffer, une moiteur cachée à découvrir, une chaude niche qui se défend». Après la mort de sa mère et le départ de son père, il devient un monstre livré à lui-même, écumant la ville en quête de chair fraiche. Le Ventre de la fée  est un conte très intrigant, dérangeant même, porté par une écriture riche et intérieure. (Babel)

 

VallejoFrançois Vallejo, Métamorphoses

Drame pour Alix, spécialiste en art contemporain reconvertie dans la restauration de peintures anciennes : son demi-frère, avec lequel elle partage tant de beaux souvenirs d’enfance et devenu spécialiste en chimie moléculaire, s’est converti à l’islam radical. Que lui est-il passé par la tête ? François Vallejo, excellent auteur de Madame Angeloso, Ouest ou Les Sœurs Brelan, retrace l'itinéraire de ce parfait apprenti djihadiste: changement d’identité, étude de l’arabe et du Coran, camp d’entraînement, etc. Alix se lance dans une enquête, parvenant même à retrouver Alban, pourtant surveillé par la DCRI, qui lui annonce «un événement majeur». En creux, mettant en scène un jeune homme en quête de sens, en perte de repères, c’est le constat de la crise morale de la société que dresse l’auteur.  Publié en 2012, ce propos est plus que jamais d’une extrême actualité. (Points)

 

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