Lectures pour l'été 2016 - Poches - Romans français

AzzedineSaphia Azzeddine, Bilqiss

Bilqiss est en prison. Femme dans un pays (non cité) où il vaut mieux «être n’importe quoi d’autre, et si possible un volatile», elle est menacée de lapidation. Son crime ? Être libre et indépendante. Elle refuse de se conformer à cette société muselée où la musique et la poésie sont interdites, où les bibliothèques et les écoles sont brûlées, où les femmes n’ont pas le droit d’acheter des légumes de forme phallique. Un expert en droit islamique l’accuse d’une vingtaine d’infractions : porter des chaussures à talons, posséder un recueil de poésie persane, une peluche, des collants, une pince à épiler… Mais sa faute suprême est d’avoir remplacé le muezzin un matin où, ayant «englouti» des hectolitres d’arak, il était incapable d’atteindre le sommet du minaret. Tout en rappelant que «la prière est meilleure que le sommeil», elle a, dans son discours, félicité publiquement certains habitants – le boulanger, le jardinier, le maraîcher et le professeur – de vaquer à leurs bénéfiques occupations au lieu de prier. Scandale !

Son procès, qui aurait dû être promptement réglé, traîne en longueur. Le juge, qui fut un jeune homme gai et insouciant avant de devenir un accusateur impitoyable et craint, ne cesse en effet, sous les huées d’une assistance vindicative, de reporter son verdict au lendemain – un peu comme dans Les Mille et une nuits. Car il voudrait sauver celle qui fut la confidente de sa femme à la fin de sa vie. Chaque soir, il se rend dans sa cellule pour la convaincre de faire amende honorable. Mais, parce qu’elle préfère mourir que vivre dans ces conditions, elle refuse obstinément. Mais si Bilqiss s’insurge avec une telle force contre une société qu’elle juge mortifère, ce n’est pas du tout par athéisme. Elle en est convaincue, «il n’y a Dieu qu’Allah» et à Lui seul elle doit rendre compte. En voulant la condamner, ses juges s’arrogent donc un droit qui relève de l’«imposture». Dans ce monde obscurantiste et totalitaire dont l’actualité se fait quotidiennement l’écho, les États-Unis sont doublement présents. Par le biais de deux soldats violemment antimusulmans qui ont pris Bilqiss en affection et tiennent grâce aux psychotropes et à l’alcool. Et sous l’aspect d’une journaliste idéaliste mais farcie de préjugés alertée par ce procès au retentissement international. Et qui se rend compte que sa générosité ne suffit pas à vaincre l’hostilité d’un peuple à l’égard des Occidentaux et de leurs bons sentiments. (J’ai lu)

 

ParisGilles Paris, L’été des lucioles

«J’ai deux mamans et un papa qui ne veut pas grandir.» Par cette phrase, Victor, 9 ans, entame le récit de ses vacances estivales. Un été qu’il a passé, comme les années précédentes, à Roquebrune-Cap Martin, non loin de Nice, avec sa mère, sa sœur aînée et sa «seconde maman», une peintre argentine. Sa vraie maman a en effet fini par quitter son père, lassée de son immaturité. Dans la résidence, Victor s’est fait deux amis, Gaspard et Justine, auxquels sont venus s’adjoindre deux jumeaux de son âge habitant les environs, Tom et Nathan.

Débutant comme un charmant roman d’enfance, L’Été des lucioles prend progressivement une tonalité plus grave et acquiert un caractère mystérieux. Qui sont réellement ces deux jumeaux qui possèdent les clés des splendides villas bordant le chemin des douaniers? Et pourquoi le père du narrateur n’a-t-il jamais voulu accompagner sa famille dans cet appartement hérité de sa propre sœur alors qu’il y est venu petit, comme le prouve une photo ancienne? Ces deux énigmes sont intimement liées et c’est une baronne octogénaire, malmenée par la vie, qui va conduire le jeune détective vers leur résolution.

Ce roman est le quatrième publié par Gilles Paris depuis plus de vingt ans, après Papa et maman sont mort, L’autobiographie d’une courgette (dont l’adaptation en film d’animation a été dernièrement présentée à Cannes) et Au pays des kangourous. Abordant à chaque fois des sujets importants de la vie quotidienne (la mort, la dépression, les conflits parentaux, l’homosexualité) à travers les yeux d’un enfant de 9 ans, l’écrivain trouve toujours le ton juste, entre gravité et légèreté. Ces livres se singularisent aussi par leur dimension merveilleuse, onirique. (J’ai lu)

 

AdamOlivier Adam, Peine perdue

Peine perdue est le fruit d’un vrai travail d’écriture sur une matière romanesque peu traitée en littérature, le vécu d’hommes et de femmes qui, quotidiennement, se battent pour sauver leur travail, pour se faire une (petite) place dans la société, pour garder la tête hors de l’eau et permettre à leur vie de conserver une certaine dignité. Le décor assez sinistre est une cité balnéaire de la côte d’Azur entre Marseille et Nice, mais hors-saison. Le point de départ est le passage à tabac d’Antoine, un joueur de foot du club local engagé pour retaper des mobil-homes. L’intrigue progresse en se focalisant alternativement sur une vingtaine de personnages plus ou moins concernés par ce drame, au moment où une tempête ravage les hôtels et campings et voit la mer engloutir quelques corps et en rejeter un autre. C’est passionnant de bout en bout, formidablement écrit, terriblement humain, le lecteur est happé par ces individus aux contours complexes dont l’auteur de Je vais bien, ne t’en fais pas ou Le Cœur régulier (récemment adapté au cinéma) suit les méandres existentiels pour mieux faire émerger leur nature profonde. (J’ai Lu)

 

BoscAdrien Bosc, Constellation

Le premier roman d’Adrien Bosc, qui publie des revues littéraire et sportive, a reçu le Prix de la Vocation avant d’être présent sur les listes du Goncourt et du Renaudot en 2014. Son titre, Constellation, désigne l’avion qui, parti d’Orly dans la soirée du 27 octobre 1949 en direction de New-York, s’est écrasé dans l’Archipel des Açores. À son bord se trouvent deux «stars», Marcel Cerdan, réclamé par Édith Piaf qui l’a fait revenir par les airs plutôt que par la mer, et la violoniste Ginette Neveu, dont on retrouvera un morceau de l’un des deux instruments. Le premier va tenter de récupérer son titre mondial détenu par Jack La Motta, le second se lance à la conquête de l’Amérique. L’auteur raconte l’erreur d’orientation de l’avion, qui percute le Mont Redondo tout proche de l’île de Santa Maria où il doit se ravitailler, et les recherches menées ensuite. Tout en présentant quelques-uns parmi les 48 passagers et membres d’équipage morts dans l’accident : le peintre mondain Bernard Boutet de Monvel, Amélie Ringler, une ouvrière alsacienne venue rejoindre sa riche tante, cinq bergers basques s’en allant faire fortune outre-Atlantique, Kay Kamen, responsable du marchandising de Walt Disney, etc. (Le Livre de Poche)

 

DevillePatrick Deville, Viva

Primé en 2012 par la FNAC et le Femina, Peste & Choléra, la vie d’Alexandre Yersin, l’inventeur du vaccin contre la peste, a révélé son discret auteur à un plus large public. Pourtant, Patrick Deville était déjà l’auteur d’une dizaine de romans dont trois d’«aventures», Pura Vida, Equatoria et Kampuchéa, réunis en un volume sous le titre Sic transit (Seuil). À William Walker en Amérique centrale, à Brazza en Afrique et à Henri Mouhot découvrant les temples d’Angkor vient aujourd’hui s’ajouter Trotsky. Dans Viva, le compagnon de lutte de Lénine condamné à mort par Staline débarque en 1937 à Tampico, un port du Mexique où, après une décennie d’errance, il a reçu l’asile politique. Il est hébergé par les peintres Diego Rivera et Frida Kahlo avec qui il a une liaison passionnée. Il sera assassiné trois ans plus tard par Ramon Mercader. D’une plume travaillée, l’auteur élargit sa focale en s’intéressant au passé du révolutionnaire russe, aux écrivains français de passage (Antonin Arthaud, André Breton) et, surtout, à Malcolm Lowry qui y entame son œuvre majeure, Au-dessous du volcan. Tout en se mettant lui-même en scène sur la piste de ces ombres anciennes, du Mexique à la Sibérie. (Points)

 

BeleziMathieu Belezi, Un faux pas dans la vie d’Emma Picard

Lorsqu’elle pose le pied à Mercier-le-Duc, un village «tout neuf» bâti entre Alger et Sid Bel Abbès, Emma en est convaincue : une belle vie l’attend. À cette mère de quatre garçons, dont le dernier, Léon, a six ans, l’État français a offert vingt hectares de terres en Algérie, «pour la faire sortir du trou» dans lequel elle se débat depuis la mort de son mari. Nous sommes à la fin des années 1860 et la France encourage le peuplement de ses départements. Mais la ferme se situe à plusieurs heures de marche du village et le seul puits est à sec pendant les mois d’été. Aidée par «son Arabe», Mekika, ainsi que par ses aînés, les plus petits allant à l’école à Mercier, elle va tenter de faire vivre sa terre et ses quelques animaux – poules, lapins, vaches –, malgré la chaleur estivale, les rigueurs hivernales et les sauterelles qui dévorent tout sur leur passage. Mais son agriculture européenne, trop intensive, ne correspond pas au climat et elle échoue. Et pourtant, elle s’obstine, sourde à la demande pressante de Jules, un révolutionnaire parisien devenu son amant, de le suivre à Alger.

Après Notre terre et Les Vieux Fous, Mathieu Belezi referme avec ce roman remarquable sa trilogie algérienne. En modifiant son point de vue puisqu’il s’intéresse ici non plus aux riches colons mais aux victimes de l’engouement colonisateur. C’est un texte de Maupassant, Au soleil, dans lequel l’auteur du Horla croise une Alsacienne victime de ce leurre qui a coûté la vie à ses enfants en la plongeant dans la misère, qui a servi de terreau à son roman. Pour conter cette lente descente en enfer, le romancier adopte une forme originale. Le récit d’Emma, un long souffle sans point, avec de fréquents retours à la ligne, est régulièrement rompu par des adresses à son fils en train de mourir, laissant ainsi présager l’issue finale de ce combat perdu d’avance. (Le Livre de Poche)

 

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