Lectures pour l'été 2016 - Poches - Romans français

MukasongaScholastique Mukasonga, La vache du roi Musinga

Ces trois nouvelles sont extraites de Ce que murmurent les collines, un recueil paru en 2014 à travers lesquelles l'écrivaine rwandaise installée en France fait revivre la culture de son pays natal (et qui possèdent chacune en guise de postface des «notes à l'attention du lecteur curieux»). Dans celle qui donne son titre au livre, il est question d’une rivalité entre le roi Musinga, qui affirme que le Rwanda lui appartient, et les autorités belges qui, vantant leur apport civilisationnel, veulent le faire venir à Kigali, «leur» capitale. Le bois de la croix, à travers une cordelette à laquelle est accroché un bout de bois et dont une étudiante en sociologie, même nue, ne se sépare pas, raconte la cohabitation entre les croyances et légendes vernaculaires et les rites religieux importés par les pères chrétiens. Le héros d’Un pygmée à l’école, enfin, un pygmée (Cyprien le Mutwa) envoyé par un missionnaire dans une école où il devient le meilleur élève, révèle le rejet dont sont victimes ces «parias» de la part des Rwandais. (Folio 2€)

 

DelperdangePatrick Delperdange, Chants de gorges

Réédition chez Espace Nord d’un ancien roman de l’auteur belge de romans noirs Patrick Delperdange, couronné en 2005 par le prix Rossel. Il est avant tout question d’écriture dans ce récit en sept chants. Car ses six principaux personnages, qui prennent alternativement la parole, existent davantage par ce qu’ils disent que par ce qu’ils font. Un garçon, qui ne connaît ni son âge, ni son prénom – il est simplement «le fils de Marie» –, fuit son village «noir et pourri» suite au meurtre du curé dont il est accusé. Il s’en défend, se souvenant seulement que le saint homme, à qui il était venu demander du travail, voulait faire «des saletés» avec lui. Dans son parcours à la fois violent et spirituel, cet enfant silencieux, innocent, croise un responsable de chantier, le chef d’une famille gitane ou des êtres paumés, perdus. Sur chacun d’eux, il exerce une fascination aussi puissante qu’inexplicable.

La magie du livre de Delperdange est de créer un univers impalpable, indéfinissable. Où sommes-nous ? Dans le réel ou dans l’imaginaire ? Dans notre monde ou dans un autre fantasmé ? Son écriture, très forte, emprisonne le lecteur dans les mêmes filets que ceux qui retiennent ses ombres, ne cessant de le déstabiliser, de provoquer chez lui ce sentiment de dépaysement que seule engendre la grande littérature. Ce Chants des gorges est un livre hors du commun dont on ne se libère pas aisément. (Espace Nord)

 

LahensYanick Lahens, Bain de lune

Un an après la Franco-camerounaise Leonora Miano, c’est une autre romancière issue de la francophonie, Yanick Lahens, que les dames du Femina ont couronné en 2014. Pour un très beau livre, Bain de lune, publié chez une «petite» éditrice, Sabine Wespieser. Rythmée par la voix d’une jeune naufragée qui remonte le fil de son existence, l’histoire contée est celle de deux familles du village haïtien d’Anse Bleue liées par un mélange d’amour et de rivalités depuis la rencontre de Tertulien Mésidor et d’Olmène Lafleur. Ce récit est aussi celui d’une île douloureusement marquée par les dictatures successives des Duvalier père et fils, et leurs tristement fameux Tonton Macoutes, puis par la présidence contestée de Jean-Baptiste Aristide. Bain de Lune est enfin le portrait d’une communauté où la vie est dure, surtout pour les femmes éternellement soumises aux hommes. (Points)

 

JacquesPaula Jacques, Au moins il ne pleut pas

En 1959, deux orphelins venus d’Égypte, Solly, 14 ans, et Lola, 15 ans, débarquent à Haïfa. Craignant d’être séparés par l’Agence juive qui a financé leur voyage, ils se réfugient chez Magda et Ruthie dont la maison ayant appartenu à un juge de religion musulmane est la plus belle de Wadi Salib. Dans ce quartier où se sont progressivement regroupés les juifs pauvres d’Afrique du Nord, la splendeur passée se laisse encore deviner sous son aspect délabré. Tandis que l’adolescente rêveuse suit des cours d’hébreu, son frère se livre à de fructueux trafics avec Georgie, le neveu de Magda. Née en France – pays qu’elle déteste pour l’avoir obligée de porter l’étoile jaune avant de la déporter -, Magda est arrivée en Israël en 1947. C’est une femme chaleureuse et accueillante, débordante d’humanité. Ruthie, quant à elle, Belge issue du «grand monde» et auteure de poèmes, est tout son contraire: peu amicale, méprisante, «froide comme un poisson en gelée». Elles étaient toutes deux détenues au camp de Ravensbrück et si Ruthie a survécu, c’est grâce à son aînée qui a réussi à la «caser» comme secrétaire de bureau. Cette réalité, Lola, totalement ignorante des crimes nazis, la découvre progressivement. Tout comme elle apprend l’existence de kapos, ces déportés choisis pour faire régner l’ordre, parfois pires que les gardiens eux-mêmes. Cette accusation est portée sur Magda, reconnue au marché et interrogée par la police. Mais qui nie farouchement.

Pour écrire ce roman, Paula Jacques s’est partiellement inspirée de son vécu. Née en 1949 au Caire d’où elle a été chassée par la révolution nassérienne, elle s’est retrouvée à la fin des années 1950 en Israël, immédiatement séparée de son frère par l’Agence juive. Mais elle y est peu restée, gagnant bientôt le France qu’elle considère comme sa vraie patrie. Elle est aujourd’hui journaliste sur France Inter où elle présente l’émission Cosmopolitaine le dimanche après-midi. (Folio)

 

Tong-CuongValérie Tong-Cuong, Pardonnable, impardonnable

Après L’Atelier des miracles (J’ai lu), un magnifique roman construit autour du thème de l’entraide, Pardonnable, impardonnable s’attache au pardon. Comment, une fois la colère puis la haine dépassées, la vengeance et l’amertume vaincues, vient le temps du pardon ? Une question éminemment actuelle que l’auteure déploie autour d’une cellule familiale infectée par les non-dits.

Un jour d’été sur une route de campagne. Milo, 12 ans, censé réviser avec sa jeune tante, Marguerite, fait une chute de vélo. Il est plongé dans le coma, les médecins sont d’un optimisme mesuré. Ce drame provoque une crise familiale. Lino, le père, issu d’une famille ouvrière qui l’a rejeté, sans pour autant être accepté par sa belle-mère, se culpabilise de s’être toujours montré très exigeant envers son fils afin de le voir arriver «au sommet de la pyramide», oubliant de lui dire son amour. Il condamne sans jugement sa belle-sœur avec qui il est lié par un terrible secret. Céleste, la mère, voit remonter en elle une douleur ancienne, la perte d’un enfant mort-né. Quant à Jeanne, l’intransigeante grand-mère, divorcée, elle se montre de plus en plus envahissante auprès de sa fille chérie tout en étant confortée dans son désamour assumé pour sa cadette.

Ces quatre êtres ravagés par le chagrin prennent alternativement la parole, comme dans les deux romans précédents de Valérie Tong Cuong, Providence et L’Atelier des miracles. Leurs périples intérieurs sont merveilleusement retracés, Lino, Céleste, Marguerite et Jeanne fournissant petit à petit les pièces d’un puzzle qui ne sera dévoilé qu’en toute fin du livre. Un livre porteur d’une charge émotionnelle tout à fait sidérante qui naît de la richesse humaine dont sont dotés tous les personnages, même ceux qui, a priori, en sont le moins pourvus. Car, à défaut de justifier ou même d’excuser tel acte, tel comportement, le lecteur est amené à le comprendre. Et dès lors à ne plus condamner d’emblée quelqu’un dont le comportement lui semble blâmable. À réviser son jugement. Ce qui, au final, constitue une admirable leçon de vie. (J’ai lu)

 

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