Lectures pour l'été 2016 - Poches - Romans français

 

DuboisJean-Paul Dubois, La nouvelle vie de Paul Sneijder

S’engouffrer dans l’univers de l’auteur d’Une vie française (Prix Femina) ou de Vous plaisantez Monsieur Tanner constitue une expérience littéraire et émotionnelle forte. Le romancier met à chaque fois en scène un personnage évoluant sur la crête d’une dépression douloureusement communicative bien qu’émaillée ci et là de traits d’humour générateurs de francs éclats de rire. Peu d’écrivains font en effet cohabiter avec une telle force tristesse et drôlerie. Et de l’un et l’autre, Le cas Sneijder, son vingtième livre rebaptisé La nouvelle vie de Paul Sneijder, titre du film qui en est l’adaptation, n’en est pas avare.

Depuis que Marie, la fille de son premier mariage, est morte dans la chute d’un ascenseur d’où il a miraculeusement réchappé. Paul, qui ne s’entend plus guère avec sa deuxième femme, passe une partie de ses journées à lire des revues sur ces engins potentiellement mortels auprès de l’urne contenant les cendres de la seule personne qu’il aimait vraiment. Conscient qu’il lui faut trouver un emploi, il prend le seul qui semble lui convenir, promeneur de chiens. Il s’agit, par tous les temps, de faire faire pipi à Watson, Charlie ou Julius et, parfois, de les ramener chez leur maître. Il prend plaisir à ce travail, qui fait honte à sa femme, et sympathise avec son patron, un Chypriote amateur de nombres palindromiques. Comment le monde tourne-t-il et comment les hommes ont-ils encore la force d’y vivre, ne cesse de ressasser ce sexagénaire profondément marqué par se descente dans des enfers dont il garde pour lui la teneur exacte, refusant de révéler ce qu’il a vu avant de perdre connaissance. (Points)

 

BlasdeRoblesJean-Marie Blas de Roblès, Là où les tigres sont chez eux

Lauréat du Prix Fnac en 2008, ce roman de Jean-Marie Blas de Roblès qui a bien failli avoir le Goncourt, reparaît dans la collection poche de son éditeur originel, Zulma. Il a fallu dix ans à son auteur, lui-même archéologue, pour mener à bien ce projet extrêmement puissant et ambitieux, ample saga épique qui, par certains côtés, fait penser aux films amazoniens de Werner Herzog. Eléazard von Wogau, un journaliste perdu dans la Nordeste brésilienne, est chargé de retravailler une hagiographie d’un jésuite allemand, Athanase Kirscher, savant polyglotte très célèbre en son temps, le 17e siècle, pour sa curiosité tout azimut et ses multiples inventions et travaux, même inaboutis, même ratés (et d’ailleurs cités par Flaubert). Le récit de cette vie riche et variée est l’œuvre d’un autre jésuite qui lui témoigne une admiration absolue. Il est interrompu par plusieurs histoires contemporaines, le quotidien de son lecteur, souvent sous forme de carnets, la mission sur le fleuve Paraguay de son ex-femme archéologue, une mission qui tourne rapidement très mal, ou les voyages dans l’univers de la drogue de sa fille étudiante qui lui réclame de l’argent. Ou encore, reflets de la situation brésilienne, un politicien louche et un adolescent infirme des favelas.

Là où les tigres sont chez eux est un livre dense, aux dimensions multiples, riche en événements et péripéties contés dans une langue limpide et fluide et dans lequel on s’aventure comme dans une forêt touffue en se frayant son propre chemin. Sa lecture patiente et exigeante est néanmoins «facilitée» par sa construction éclatée, le lecteur passant, non sans une certaine délectation, d’une époque à une autre, d’un univers à un autre, d’un personnage à un autre. (Zulma Poches)

 

AssoulinePierre Assouline, Sigmaringen

Sigmaringen se situe dans le Bade-Wurtemberg, un Land du sud de l’Allemagne à quelque 170 km de la frontière française. C’est là que, sur décision d’Hitler, le gouvernement de Vichy est envoyé en septembre 1944. Il va y rester jusqu’en avril 1945. S’y réfugient également de nombreux collabos et miliciens avec leurs familles, soit quelque deux mille Français qui vont souffrir du froid et de la faim – l’hiver sera très rude. Tels Céline et sa compagne Lucette (plus leur chat Bébert) en transit vers la Suisse, imaginent-ils d’abord, finalement vers le Danemark. L’auteur de Voyage au bout de la nuit est l’un de deux seuls médecins de la ville qui s’étend en contrebas du château dont ses propriétaires, les Hohenzollern, ont été chassés et remplacés par Pétain, Laval, Doriot ou Déat qui se détestent. Le lieu jouit d’un statut d’extraterritorialité et accueille les ambassadeurs d’Allemagne (Otto Abetz), du Japon et d’Italie. Et il est également occupé par la gestapo. Se considérant prisonnier, le vieux maréchal boude, n’adressant plus la parole à personne. Et les autres veulent tous prendre la main sur ce «gouvernement en exil» pompeusement intitulé Commission gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux et présidé par l’ancien journaliste Fernand de Brinon. Dans l’espoir de récupérer les rênes de la France, ce que l’offensive des Ardennes peut un temps laisser espérer. À défaut, ils seront malgré eux des otages de luxe.

Pour raconter l’histoire de cette «tragi-comédie bouffonne sur fond d’apocalypse», Pierre Assouline, auteur de nombreuses biographies (Jardin, Simenon, Gallimard, Hergé) traversant cette époque, a choisi le biais romanesque. Son narrateur, Julius Stein, est le majordome imaginaire de la famille Hohenzollern resté sur place. Il est chargé de veiller qu’à leur retour, ses maîtres retrouvent les lieux comme ils les ont laissés. Parfaitement francophone, il se lie d’amitié avec Mlle Wolfermann, la gouvernante de Pétain. S’ils ne dit pas grand-chose, tendant à passer inaperçu, il a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Il est donc le témoin privilégié de ce monde qui s’écroule inexorablement. (Folio)

 

FoenkinosDavid Foenkinos, Charlotte

L’auteur de La Délicatesse a surpris en publiant à la rentrée 2014 ce roman biographique plus grave, dépourvu de l’humour qui lui était coutumier et écrit à la manière d’un long poème en prose. L’existence de l’artiste peintre Charlotte Salomon, née en 1917 à Berlin, morte à Auschwitz vingt-six ans plus tard, est un constant face-à-face avec la mort. Le suicide de sa mère quand elle a huit ans (mais qui ne lui sera révélé que longtemps après) est «l’aboutissement d’une longue lignée suicidaire», pas moins de huit membres de sa famille maternelle s’étant en effet donné la mort, dont sa tante qui portait le même prénom qu’elle et jusque sa grand-mère au début de la guerre. Son père, médecin, se remarie avec une cantatrice qu’elle adore, mais les lois antijuives les empêchent, lui de soigner, elle de chanter. Et bientôt Charlotte est exclue de l’Académie des Beaux-Arts où elle a remporté le premier prix… qui ne lui a pas été attribué. Tout la pousse donc à partir, si ce n’est l’amour qu’elle porte pour le professeur de chant de sa belle-mère, un personnage torturé, insaisissable. Elle rejoint finalement Nice où ses grands-parents sont hébergés par une Américaine riche et veuve d’origine allemande, Ottilie Moore. Obligée de se signaler, d’abord comme Allemande, puis comme Juive, elle sera enfermée au camp du Gurs et échappera de peu à une première déportation.

Dans son roman, Foenkinos confie que la découverte de cet univers pictural lui a donné «le sentiment d’avoir enfin trouvé ce qu’[il cherchait]». Il relate ses visites à Charlottenburg, le quartier où a vécu Charlotte, dans l’école qu’elle a fréquenté, à hôtel de Saint-Jean-Cap-Ferrat où, pendant presque deux ans, elle a peint et écrit. Il rencontre aussi la fille du médecin qui l’a soignée et à qui elle a confié une valise contenant plus d’un millier de gouaches ainsi que son livre autobiographique Vie? ou Théâtre? (réédité il y a quelques mois), Ottilie étant retournée aux États-Unis. En lui disant: «C’est toute ma vie». (Folio)

 

 

BofaneIn Koli Jean Bofane, Congo Inc.

Récemment couronné par le prix des Cinq continents de la francophonie, Congo Inc., sous-titré «Le Testament de Bismarck», est un roman formidablement subtil et intelligent, d’un humour particulièrement noir. Un pygmée nommé Isookanga  quitte son village pour Kinshasa avec l’ordinateur dérobé à une africaniste belge venue enquêter sur sa communauté (et particulièrement intéressée pas lui) et sur lequel il a appris à jouer en ligne. Logeant parmi les enfants des rues, ce «mondialiste» convaincu s’associe avec un Chinois pour vendre une eau soi-disant suisse. Il est contacté par un ancien rebelle qui, pour «venger» le génocide rwandais, a massacré des villages entiers au Kivu et s’est livré à des trafics d’armes avec un officier de l’ONU, avant de devenir ministre en RDC. À travers son héros ingénieux et volontaire et cet individu sans scrupules, l’auteur congolais (de la RDC), qui vit à Bruxelles, se livre à une terrifiante plongée dans cette région du monde en proie aux pires dérives. (Babel)

 

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