Oscar WiIde, L’Âme de l’homme sous le socialisme

WildeWilde écrivain, Wilde dandy, Wilde homosexuel… mais Wilde socialiste ? C’est là une facette assez méconnue du personnage, qu’illustre un court ouvrage publié en 1891 : « L’Âme de l’homme sous le socialisme ». Il ne s’agit pas là d’un socialisme de caserne, évoqué par Wilde, en prophète involontaire des crimes staliniens. On n’y trouve pas non plus la pensée de partis politiques actuels, dits socialistes, célébrant comme M. Valls l’amour de l’entreprise. Il est ici question d’un socialisme fondé sur les piliers définis par Marx : abolition de la propriété privée, substitution du principe de coopération au principe de concurrence. Dans quel but ? L’individualisme. Là, Wilde développe son originalité : le socialisme n’a d’intérêt qu’en ce qu’il permettra à l’être humain de s’extraire de l’attention portée aux choses matérielles, soit par nécessité (la pauvreté), soit par désir d’appropriation. Pour l’auteur, l’abolition des bases du capitalisme sera utile à tous, car elle permettra aux individus de se réaliser pleinement, en se consacrant à leur personnalité, à l’Art.

L’individualisme entendu comme l’accaparement infini de richesses est ainsi refusé : « Car l’acceptation de la propriété privée a réellement nui à l’individualisme, et l’a obscurci, en confondant l’homme avec ce qu’il possède. Elle a complètement dévoyé l’individualisme. Elle lui a donné pour visée le gain matériel, et non le développement moral. De sorte que les hommes ont pensé que la chose importante est d’avoir et n’ont pas compris que la chose importante est d’être. » Le programme politique du dandy n’est pas la reprise de la croissance, mais « le vrai plaisir et la joie de vivre ». Dans cette optique, l’Art s’avère central, car il est le meilleur médium de totale expression d’une personnalité. 

En quelques pages, nombreux sont les points abordés : le discours émancipateur de Jésus, l’abolition du mariage bourgeois bridant le Moi, la multiplicité des formes d’épanouissement (poésie, science…), le refus du conformisme, l’inefficacité des peines infligées par le droit pénal, la réduction du travail grâce au machinisme… Pour Wilde, « L’État doit s’occuper de l’utile. L’individu doit s’occuper du beau. » Et dans un monde où les inégalités et les mesures répressives s’accroissent, la prose libertaire de Wilde surprend le lecteur par son actualité. Wilde conteste le capitalisme car il l’estime aliénant, producteur de laideur et de misère. Le collectivisme trouve son sens dans la liberté qu’il offrira aux individus de se consacrer à leur vie et de lui donner une orientation esthétique grâce à l’Art.

Projet irréaliste, utopie, diront certains. À ces derniers, Wilde adresse quelques mots : « Une carte du monde qui ne contient pas Utopie n’est pas même digne qu’on y jette un regard, car elle omet la seule contrée à laquelle l’humanité aborde toujours. Et lorsque l’humanité y aborde, elle regarde plus loin et, apercevant une contrée meilleure, remet à la voile. Le progrès est la réalisation des utopies ». 

À vous de voir !

Vincent Danau

 

Oscar Wilde, L’Âme de l’homme sous le socialisme, Paris, Fayard/Mille et une nuits, La Petite Collection, 2013,  96 p.
 

Lectures pour l'été 2016
Essais, Documents, Non-fiction
<<< Précédent   •   Suivant >>>