Corinne Hoex, Valets de nuit

HoexUn enseignant a-t-il le droit de chroniquer un livre érotique ? Dans les pages culturelles du site de l’université qui l’emploie ? Avec comme alibi qu’il s’agit des « lectures de l’été » ? Mais, se demande-t-on, au-delà de sa couverture gentiment coquine, Valets de nuit est-il vraiment un livre érotique ? Il y a là matière à discussion. Si la réponse est « oui », l’érotisme en question s’adresse aux femmes (voilà le second alibi du chroniqueur masculin) : ce sont les hommes ici qui sont objets de désir – peut-être même, qui sait ? Corinne Hoex met-elle en scène des hommes-objets, à la fois vaporeux, musclés et raffinés. Mais la réponse est peut-être « non » : car, avant tout, Valets de nuit est un livre onirique, un recueil de récits de rêves, fantasmatiques, certes, mais irréels. Et sans doute, l’efficace érotique demande-t-elle un tant soit peu de réalisme : il faut y croire ; il faut faire fonctionner la fameuse suspension volontaire de l’incrédulité de Coleridge pour que la libido se mette en marche. Non ?

Or, les récits de rêve, n’en déplaise aux surréalistes, sont le plus souvent ennuyeux. Rien de plus difficile, en effet, que d’intéresser autrui avec ce qui se présente d’emblée comme faux : l’auteur se prive de l’immense ressource de l’illusion réaliste et de toute possibilité d’identification du lecteur au personnage. Et, par ailleurs, aucun sujet n’est plus périlleux à aborder que le désir, qui est si souvent trop personnel pour être partager avec quiconque. Corinne Hoex parvient, en les cumulant, à relever ces deux défis : parler du désir et raconter des rêves. Et jamais l’on ne se sent exclu, et jamais l’on ne s’ennuie : on lit ces petits textes avec une vraie gourmandise. Ils ont la force d’être très brefs, de surprendre et de s’interrompre aussitôt, avant que l’on ne soit remis de sa surprise. Ils sonnent juste, vous effleurent, vous éveillent et puis s’éteignent, avec douceur ou cruauté, mais sans souffrir.

Enfin, si la rêverie est coquine, elle est aussi humoristique : le second degré, sans doute, met l’érotisme potentiel des scènes à distance, créant une sorte de tension, de va-et-vient entre écart et rapprochement – tension peut-être érotique tout de même, in fine. Qui sait ?

Quel est le secret de cette réussite inattendue et improbable ? Il n’est pas à chercher bien loin : il réside dans l’écriture, virevoltante, subtile, maîtrisée et audacieuse, de Corinne Hoex, ici au sommet de son art.

 

Laurent Demoulin

 

Corinne Hoex, Valets de nuit, Les impressions nouvelles, 2015, 128 p.
 

Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs

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