Volker Weidermann, Ostende 1936

WeidermanSait-on encore que, l’année des premiers congés payés en France, la principale ville côtière belge allait devenir le point de convergence de grandes figures littéraires fuyant le nazisme, à cause de leurs origines, de leurs opinions, et souvent des deux en même temps ? L’immense Stefan Zweig comptera parmi ceux-là, et il est en toute logique le pilier central d’Ostende 1936 de Volker Weidermann. Lorsqu’il s’installe à la Maison Floréal, ce n’est pas la première fois que Zweig foule le sol de la Petite Belgique. Quelque vingt ans auparavant, dans un pays à la neutralité violée par les effets du Plan Schlieffen, Zweig y rencontrait une figure majeure à qui il allait consacrer une substantielle monographie, le poète Émile Verhaeren. Il revient maintenant dans une période de précarité littéraire et affective, oscillant entre deux éditeurs, deux femmes et deux continents, lui qui quitte l’Autriche avec l’idée de gagner l’Amérique du Sud. Ostende sera à ce titre l’un des quelques points de passage nodaux de son existence.

Voici que Joseph Roth débarque à son tour, d’Amsterdam où il réside depuis mai. Oui, vous avez bien lu : les auteurs d’Amok et de La Marche de Radetzky se retrouvent dans une ville qui n’est ni Paris ni Vienne. Ils partagent leurs repas à l’enseigne italienne d’Almondo, jouent des parties d’échecs, échangent tard dans les cafés (où Roth ne boit que du lait, pour complaire à son aîné qui le tance sur son alcoolisme rongeant). Ils fréquentent aussi toute une société d’exilés, de réfugiés, à demeure ou en transit, tels Arthur Koestler, qui ne brûle que d’aller régler son compte au Général Franco ; Toller, le dramaturge le plus populaire de la République de Weimar… Et puis la jeune, la belle, la libre Irmgard Keun, qui a laissé derrière elle son mari, son amant et plus globalement la moisissure mentale entière d’un pays où elle ne se reconnaît plus. Au terme d’un séjour à Bruxelles auprès de l’écrivain Hermann Kesten, elle pousse jusqu’à Ostende et s’installe à durée indéterminée à l’Hôtel de la Couronne. La rencontre avec Roth est fulgurante. Un ardent dialogue de peaux et d’âmes s’enflamme, dès la première entrevue, entre ces deux fortes personnalités, qui n’en sortiront d’ailleurs pas intactes une fois séparées.

Dans ce livre émaillé d’épisodes forts (dont, parmi les plus émouvants, les relectures mutuelles de Zweig et Roth), Volker Weidermann est parvenu à retisser les liens invisibles entre les destinées, à les prolonger loin dans l’avant et dans l’après de leur entrelacement, à les rendre dans leur plus intense, et parfois douloureuse, coprésence. En cela, il n’a pas fait œuvre d’essayiste, mais d’écrivain. Et Ostende 1936 ne relève pas de l’histoire littéraire, mais bien de la littérature même.

Frédéric Saenen

 
Volker Weidermann, Ostende 1936, Traduction de Frédéric Joly, Éditions Piranha, 2015, 160 p.
 

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