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Timotéo Sergoï, Les Cages thoraciques

09 juin 2016
Timotéo Sergoï, Les Cages thoraciques

SergoiTimotéo Sergoï est un auteur souriant. Comme il est également comédien – un comédien digne de la bande du capitaine Fracasse, qui parcourt le monde avec des spectacles personnels, de Singapour à Arkhangelsk, de Melbourne à Buenos Aires, en passant par Liège ou par Bruxelles –, il défend volontiers ses textes avec conviction quand on le lui propose. Mais il demeure modeste et nourrit une douce ironie par rapport à sa propre production. Or, il a déjà publié une dizaine de livres, dont des recueils de poèmes chez plusieurs éditeurs de poésie en Belgique : Suppositoire (Tétras Lyre, 2006), Les Mots, le miel et mille fois l’or (Le Coudrier, 2008), Le tour du monde est large comme tes hanches (Tétras Lyre, coup de cœur de l’académie Charles Cros, 2010) et Le Diagonaute amouraché (LeFram, 2011) – à quoi s’ajoutent d’autres livres, qui relèvent de l’essai plus que de la poésie : Le Triomphe du saltimbanque, La Solitude du marin dans la forêt et Blaise Cendrars, brasier d’étoiles filantes (Transboréal, 2014). Cette bibliographie honorable ne semble pas modifier son attitude d’écrivain : Timotéo Sergoï, qui est né en 1964, se cherche toujours, expérimente, doute, demeure à l’écoute des commentaires, des remarques, des conseils bienveillants et des critiques, comme un débutant, comme un débutant discret, souriant et jovial.

Pourtant, avec Les Cages thoraciques, il semble avoir vraiment trouvé sa propre voix, sa propre poétique. Il s’agit d’un recueil de la maturité, pourrait-on dire en sacrifiant ainsi à un cliché critique : la fantaisie imaginaire se coule dans une forme précisément scandée, un cadre sémantique, des anaphores et des répétitions de structures verbales. Et une espèce de gravité profonde semble sourdre de la légèreté même.

Mais cette maturité est paradoxale dans la mesure où la poétique ici trouvée se ressent toujours du doute, de l’imagination ouverte, de l’esprit de recherche et de l’éternelle jeunesse évoquée ci-dessus. Car l’homme et sa poésie se ressemblent étrangement. Le même sourire, qui se traduit en mots par un humour frais et une belle inventivité verbale. La même ouverture à autrui, qui se manifeste, très concrètement dans l’écriture, par de la polyphonie : souvent deux voix se mêlent dans le même poème, en alternant leur prise de parole sans ménager de transition.

L’éternel sourire de Timotéo Sergoï ne constitue toutefois nullement un frein à l’expression de l’émotion : il ne s’agit pas ici de cette ironie glaçante qui permet de lutter contre le penchant romantique de toute poésie. Timotéo est à la fois ludique et lyrique, humoristique et sérieux, parfois absurde, parfois réaliste, comme Robert Desnos, comme Jacques Prévert et comme Boris Vian.

Pour illustrer mon propos, je citerai le premier poème du recueil, qui dès son titre, s’adresse à autrui :

                            Vous

 Au tigre, au tamanoir, à l’ange et à l’abîme :
Je ne vis que par vous.
Aux chairs, aux cheminées, aux tubes et aux alcools :
Faut-il vivre sans vous ?
Au crayon, à l’asile, à Rimbaud, à l’alliée :
Je vis bien loin de vous.
Aux murailles, aux forêts,  aux labyrinthes rouges :
Je ne vis que par vous.
Aux savants, aux sachants, aux sages renommées :
Je vivrai bien sans vous.
Aux mains chaudes, aux yeux clairs, ; aux corps à réchauffer :
Je vis. Où êtes-vous ?

 

Laurent Demoulin

 

Timotéo Sergoï, Les Cages thoraciques, Le Cormier, 2016, 64p.
 

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