Banksy ou l'humour effronté

banksyLe samedi 23 Janvier 2016, une œuvre énigmatique est apparue à Londres devant l'ambassade de France. La fresque met en scène Cosette, les yeux remplis de larmes suite à l'effusion de gaz lacrymogène, postée devant le drapeau français en lambeaux.

Savant mélange de poésie et d'irrévérence, cette œuvre qui emprunte à l'univers romanesque de Victor Hugo une de ses héroïnes fait directement référence à la politique d'accueil et de gestion des migrants. Pour preuve, le scan du QR code situé en dessous de celle-ci donne accès à une vidéo qui dénonce l'utilisation de bombes lacrymogènes par les autorités françaises dans les camps de Calais.

Audacieux certes, critique sans aucun doute, subversif probablement... Ce pochoir signé Banksy est détonant. Il interloque, offusque, amuse ou exaspère mais ne laisse pas indifférent, à tel point que sa durée de vie n'a pas excédé deux jours. Il a été recouvert le lundi matin «pour des raisons de conservation» à en croire la version officielle des autorités. Pourtant, si le recouvrement ou l'effacement des œuvres de street art sont monnaie courante, celles du célébrissime graffeur ne se voient pas toutes réserver le même sort. En fonction du lieu d'inscription et de la mise en tension qu'elles exhortent, certaines sont directement supprimées alors que d'autres sont jalousement conservées. La notoriété mondiale de l'artiste et sa cote élevée sur le marché de l'art y sont bien sûr pour quelque chose.

La crise migratoire vue par Banksy

Depuis quelques mois l'iconographie banksyienne porte sur le sort réservé aux migrants. La petite Cosette aveuglée par un épais nuage de fumée n'est en effet pas une représentation isolée. Elle s'inscrit dans la lignée d'autres peintures murales créées directement dans la "Jungle" de Calais ou dans des lieux publics moins connotés mais jouissant d'une plus grande visibilité. Parmi elles, une représentation grinçante de Steve Jobs affublé d'un baluchon et d'un vieil ordinateur sur la route de l'exil. Véritable pied de nez qui renvoie aux origines syriennes du créateur d'Apple.

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Ensuite, l'illustre Radeau de la Méduse de Théodore Géricault revisité sur un immeuble du centre ville de Calais. Dans cette version romantique reliftée, les colons naufragés ont laissés place aux migrants engagés dans la traversée Calais/Douvre et dépassés au loin par un ferry assurant la liaison vers l'Angleterre.

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Enfin, une autre œuvre tout aussi piquante. Une horde de pigeons brandissant des pancartes aux slogans racistes intimant à une hirondelle venue d'Afrique de rentrer chez elle.

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Toujours dans la même optique mais dans le registre de l'installation cette fois, le lugubre Dismaland. Antithèse de la féérie et du parc de divertissement par excellence, ce pastiche macabre de Disneyland donnait à voir une attraction plutôt morbide autour du thème des réfugiés. Les visiteurs pouvaient y contempler de petites embarcations dérivant au beau milieu d'un étang mais, en lieu et place de poupées joufflues et souriantes, se trouvaient de sombres petites silhouettes entassées dans les barques encerclées par des navires de la douane. Le soutien manifesté par Banksy aux réfugiés est tel qu'après la fermeture de son parc éphémère, le graffeur fait acheminer les matériaux de construction de différentes attractions vers Calais pour y construire des abris de fortune. 

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Ironiser pour mieux attaquer

Ces productions artistiques brûlantes d'actualité livrent toutes une lecture amère d'un monde en crise, en totale déperdition. Néanmoins, au lieu de s'apitoyer avec tristesse sur une réalité ou de la dénoncer avec virulence, Banksy lui donne une teinte ironique voire satirique. Cette tendance à s'emparer d'un fait actuel et à le commenter sous couvert de l'humour est symptomatique de la démarche poursuivie par l'artiste britannique depuis ses débuts. Pas étonnant donc qu'il soit souvent qualifié de « prankster », de farceur par les médias.

Banksy6Passé maitre dans l'art du canular, de l'infiltration ou encore de la raillerie, celui-ci éprouve en effet un malin plaisir à humilier ses cibles et, dans certains cas, à les désacraliser afin de les discréditer et de les affaiblir visuellement. Ce constat vaut pour l'ensemble de sa production artistique. Banksy n'hésite par exemple pas à s'en prendre à la royauté et à la ridiculiser en remplaçant le portrait de la reine par un faciès de singe, en l'équipant d'un masque à gaz ou encore en la mettant en scène au cours de pratiques sadomasochistes. De même, avec le système répressif incarné par les agents de police et  son dispositif sécuritaire matérialisé par les caméras de surveillance. Le monde politique n'est pas non plus épargné avec la représentation grotesque d'une séance au parlement britannique animée par des chimpanzés.   

Aussi surprenantes et poétiques qu'elles puissent paraitre, les créations du graffeur sont systématiquement sous-tendues par un principe dénonciation qui repose sur une logique de distanciation construite à partir de différentes formes et degrés de dérision. Selon le contexte, l'ennemi, l'urgence de la situation, etc., les procédés rhétoriques varient. Cinglant, décalé ou bon enfant, l'humour parvient néanmoins toujours à se frayer un chemin dans l'œuvre de Banksy parfois même jusqu'à devenir satirique. Plus qu'une simple récurrence stylistique ou visuelle, on peut sans hésiter parler de marque de fabrique, comme c'est le cas pour la célèbre pratique de l'entartrage développer par le belge Noël Godin.

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Marjorie Ranieri
Avril 2016

 

crayongris2Marjorie Ranieri est doctorante au département d'Arts et Techniques de Représentation au sein de la Faculté d'Architecture et d'Urbanisme de l'UMons. Ses recherches portent sur l'art participatif en milieu urbain.

 

 

Voir aussi Banksy: l’incognito au service de la célébrité (2013)