Manneken-Pis, les chats et la gamelle de la police

Free Katz

Quelques jours après les attentats parisiens du 13 novembre 2015, la police belge procède à plusieurs perquisitions dans des quartiers bruxellois qualifiés de sensibles. Dans ce contexte, les forces de l’ordre adressent une injonction claire aux journalistes et aux internautes. Prière de ne pas communiquer au sujet des opérations en cours. La consigne de blackout est largement suivie. Sur les plateaux de jt ainsi que sur les sites de la presse écrite, le flux d’informations sur les opérations anti-terroristes est interrompu. Et pendant quelques heures les journalistes-connectés responsables du dossier sont libérés de leur abonnement aux plateaux de l’actualité. La passivité, l’interruption du flux médiatique est pourtant une impossibilité. « On ne peut pas ne pas communiquer. » Ce constat trouve dans les réseaux un nouveau support matériel qui dépasse de loin l’inévitable échange de signes, même involontaire, qu’il visait à l’origine. Très vite, au lieu de se taire, les internautes reprennent en effet leur souris pour inonder les réseaux d’innombrables images de chats. Ici aussi, comme dans le cas des cornets de frites et du Manneken-Pis, le phénomène est viral et fait rapidement le buzz au point d’être relayé par de grands médias qui saluent la capacité des belges à « détendre l’atmosphère1 ».

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policeCes facéties belgo-belges aux yeux de nos voisins français ne répondent pourtant pas à des actes terroristes. Elles ne peuvent pas être assimilées aux cornets de frites et autres blagues grivoises adressées aux djihadistes. L’apparition des inoffensives frimousses de félins répond en effet à une injonction des forces de l’ordre elles-mêmes, et réalise une autocensure sans nul doute légitime qui se déploie pourtant dans le lieu même de ce que certains considèrent comme la Saint-Siège de la liberté d’expression. Ces chats me sont plus sympathiques que le Manneken-Pis. Certes, ils réalisent eux aussi l’apparition provisoire de la bonne humeur généralisée en heures sombres. Mais ils ne participent pas d’une marginalisation de nos libertés ou de notre envie « d’avoir bon ». D’abord parce que l’invasion des chats ne recycle nullement ce qui n’est qu’un amas de clichés nationaux. Ensuite parce que l’objet de la dérision est ici la liberté d’expression elle-même. Et cette dérision-là est bien plus contagieuse que tout autre consensus autour d’un « vivre-ensemble » passager.

Le 23 novembre 2015, pour remercier les belges d’avoir respecté son invitation au silence, la police fédérale twitte à son tour une photo pour le moins inhabituelle : une gamelle de croquettes pour chat. Cet humour ne vise personne, si ce n’est le sérieux de la police lui-même. De l’autodérision dans sa plus simple expression.  

« …sinon, ce sont les terroristes qui gagnent. »

Dans ce texte rédigé « à froid », alors que la réflexion sur ce qui vient de se passer en Belgique n’est pas encore aisée, j’ai essayé d’aborder la dérision, l’humour et le satirique qui se généralisent chaque fois que nous sommes touchés par un événement terroriste. Les objets rapidement évoqués dans ce cadre associent nos libertés fondamentales aux plaisirs simples et à l’envie de vivre joyeux. Il ne m’appartient pas de dire ici si cela est souhaitable ou non. Par contre, il me semble impératif de réfléchir sans trop tarder à la place d’exception qu’occupe dans notre société l’envie de vivre joyeux. Car si nous croyons que le plaisir fait notre liberté, s’il faut réellement faire l’amour plutôt que la guerre et sortir pour boire un verre plutôt que de se murer dans la tristesse, alors il est une victoire qu’il ne faut pas accorder aux terroristes : de décider à notre place quand il est temps de se souvenir de l’importance de la dérision généralisée.

 

Jeremy Hamers
mars 2016

crayongris2Jeremy Hamers est chercheur au département des Arts et sciences de la communication de l’ULg. Ses principales recherches portent sur la représentation cinématographique et médiatique d'actes de violence politique et sur les rapports entre théorie critique, télévision et cinéma allemand après 1945.

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