Paul Auster, La pipe d’Oppen

AusterCe recueil de textes divers (préfaces, discours, contributions à des hommages, interviews), dont le titre allitératif laisse dubitatif (qui connaît le poète George Oppen, relativement oublié aux États-Unis, comme le signale Auster lui-même?), n’est en rien un ouvrage secondaire de l’auteur de L’Invention de la solitude. Il fournit au contraire un bon nombre d’informations parfois inédites sur sa vie, son œuvre, ses admirations ou influences littéraires.

Paul Auster signe par exemple un émouvant hommage à Georges Perec (écrit en 2001 pour un ouvrage collectif), écrivain qu’il lie au mot «plaisir». «Je ne connais aucun auteur contemporain dont l’œuvre rende aussi pleinement l’étonnement et le bonheur qui nous submerge lorsque nous lisons pour la première fois un livre qui change notre vie, qui nous confronte aux possibilités infinies de ce que peut être un livre», remarque-il. Admirant, chez l’auteur de La Vie mode d’emploi, qui aurait eu 80 ans ces jours-ci, «l’innocence» et «la plénitude», la première renvoyant à «une pureté d’intention absolue», la seconde à «une foi absolue dans l’imagination». Il est dès lors assez surprenant qu’une dizaine d’années plus tard, dans son bel hommage à Jo Brainard, l’auteur de I Remerber qu’il estime avoir «sept ou huit fois en tout peut-être», il ne cite pas Perec qui s’en est inspiré pour son Je me souviens.

Revenant sur sa jeunesse, l’écrivain new-yorkais se souvient avoir manifesté en 1968, à l’Université de Columbia contre la construction d’un gymnase disposant d’une entrée séparée pour les habitants du quartier (en majorité noirs) et, au-delà, contre la politique de son pays (au Vietnam principalement). Mais, surtout, il revient sur son séjour en France entre février 1971 et juillet 1974, s’attardant sur les premières années passées à Paris où il rencontre les poètes qui deviendront ses amis, Jacques Dupin et André du Bouchet. Dupin, dont il a traduit des poèmes en anglais, qui l’aident financièrement (sans le lui dire) en lui faisant faire, pour la fondation Maeght où il travaille, des traductions destinées à un éditeur fantôme. Il se souvient également de ses rencontres avec Beckett, tout étonné qu’il trouve «très bon» son premier roman écrit en français, Mercier et Camier, que lui-même trouvait en partie raté, et Robbe-Grillet dont la lecture des Gommes en 1965, à l’âge de 18 ans, a considérablement modifié sa conception du roman.

Dans son discours de réception du prix Prince des Asturies des Lettres prononcé en 2006, après s’être demandé pourquoi il écrit («nécessité» ressentie depuis sa «prime adolescence»), Paul Auster se pose la question de l’utilité de l’art et de la fiction «dans ce que nous appelons la réalité». À rien sur le plan pratique, répond-il, un livre n’ayant jamais «permis de remplir l’estomac d’un enfant affamé», «empêché une balle de transpercer la victime d’un meurtre» ou «en temps de guerre, les bombes de tomber sur des civils innocents». De plus, il n’est pas convaincu que l’art puisse rendre l’homme meilleur. Mais n’est-ce pas cette «inutilité même de l’art qui lui confère sa valeur?», objecte-t-il. Et n’est-ce pas la création artistique qui caractérise l’être humain? «Réaliser quelque chose pour le simple plaisir, pour le beauté du geste.» Et s’il ne croit pas en la mort du roman, c’est parce que, dès l’enfance, «l’être humain a besoin d’histoires» et qu’il est «impossible d’imaginer la vie sans elles».

Paul Auster, La pipe d’Oppen (Actes Sud) Traductions de l’américain par Céline Curiol, Christine Le Bœuf, Emmelene Landron et David Boratav.
 

Sorties de presse des ULgistes - Printemps 2016
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