Daniel Charneux, More

CharneuxAinsi que l’écrit l’auteur lui-même, More touche à plusieurs domaines : l’autobiographie, l’essai, la biographie… Au cinéma, ce serait à la fois le film et son making of. En effet, Daniel Charneux (Nuage et eau, Maman Jeanne, Comme un roman fleuve) y raconte à la fois comment il en est venu à écrire un livre sur Thomas More et ce que ce livre contient. Répondant à la proposition qui lui est faite d’«évoquer la vie d’un bienheureux», commande finalement annulée par l’éditeur initial, il choisit d’examiner la vie et l’œuvre de celui qui, en 1535, est condamné à avoir la tête tranchée sur ordre d’Henri VIII d’Angleterre qu’il a pourtant auparavant servi. Leur désaccord porte une question religieuse de taille puisqu’elle est à l’origine de la religion anglicane. Afin de pouvoir épouser en secondes noces Anne Boleyn, le monarque rompt avec le pape qui refuse d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon. Mais son ex-Chancelier, fervent catholique, ne peut renier Rome et refuse de signer l’Acte de succession et le serment reconnaissant l’autorité du roi en matière spirituelle. L’Église catholique lui rendra justice en le canonisant en 1935.

More est construit comme un jeu de piste au cours duquel Daniel Charneux n’hésite pas à se mettre en scène. Il se souvient avoir découvert à dix ans l’auteur de L’Utopie dans le dictionnaire Larousse, il parle de ses contacts avec Anne Staquet, auteure du livre L’Utopie ou les fictions subversives, ou retrace son voyage à Londres sur les traces de son héros. Il lit aussi dans le détail la pièce de théâtre d’Anouilh, Thomas More ou l’homme libre, dont il recopie de nombreux extraits significatifs. Ou remarque que ce catholique opposé aux thèses luthériennes, portant un cilice et pratiquant diverses mortifications, devint, durant les trente-et-un mois où il est le deuxième personnage du royaume, «un procureur intransigeant» qui n’hésite pas à appliquer «avec zèle» la loi commandant de brûler les hérétiques.

Or, dans son œuvre majeure publié en 1515, Utopia, réponse à L’Éloge de la folie d’Érasme, il prône une certaine liberté religieuse, comme le note Daniel Charneux qui en explicite le contenu. More se met d’abord en scène avant de donner la parole à un marin portugais, Raphaël Hythlodée, Après avoir, dans la première partie, dressé un «réquisitoire en règle contre l’organisation de l’Angleterre au tournant du Moyen Âge et de la Renaissance», sans que son auteur ne soit pour autant nullement inquiété, celui dont le nom signifie «habile raconteur d’histoires» ou «professeur en sornettes» décrit ensuite l’organisation de l’île d’Utopie présentée comme «la meilleure forme de gouvernement». Cependant, par certains aspects – la surveillance stricte opérée sur ses habitants soumis à toute une série de règles et d’obligations (en matières sexuelle, de liberté individuelle, de voyage, de travail, de vie familiale) –, cette société «idéale» qui a, pour une large part, inspiré l’idée communiste, «apparaît plutôt comme totalitaire», souligne l’écrivain wallon. Mais, dans sa conclusion, reprenant la parole, More lui-même prend ses distances avec son narrateur, qualifiant d’«absurdes» plusieurs éléments de son discours. Certains commentateurs de L’Utopie, pointant de nombreuses incohérences et invraisemblances, le considèrent d’ailleurs comme une fantaisie.

Daniel Charneux, More (M.E.O.)
 

Sorties de presse des ULgistes - Printemps 2016
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