La jeune essayiste décrit en trois temps la «formidable amitié intellectuelle» qui lia Roland Barthes et Alain Robbe-Grillet : la découverte inspirante l’un de l’autre («Le Ravissement», 1944-1962), suivi de la crise («La Déprise», 1963-1966), avant leurs timides retrouvailles autour de leurs conceptions du «romanesque» (1967-1980). En 1953, Barthes, qui vient de réunir ses articles sous le titre Le Degré zéro de l’écriture, félicite son cadet de sept ans dont il qualifie le premier roman, Les Gommes, «d’important, d’avant-garde, en un mot réussi». Et dans la revue Critique, il lance le concept de «littérature objective», fondant ainsi «un des mythes qui suivra l’œuvre romanesque de Robbe-Grillet». Il récidive l’année suivant à propos du Voyeur, un livre marquant dans le parcours du futur «pape du Nouveau Roman» dont les textes théoriques autour de sa pratique romanesque, qu’il publie à l’époque, ont une «dette» envers ceux de son admirateur. Mais à la fin de la décennie, Barthes prend ses distances avec son jeune ami, tant à l’égard de son roman (Dans le labyrinthe) que de son discours théorique.
Cette évolution est longuement détaillée et argumentée par Fanny Lorent qui s’appuie sur les écrits des deux protagonistes mais aussi sur des apports critiques extérieurs tout en analysant au fond ce que sous-entend le concept de «littérature objective». Au milieu des années 1960, les liens entre les deux hommes vont encore se distendre suite à la publication de l’essai consacré à Robbe-Grillet par Bruce Morrissette qui développe une théorie différente de celle de Barthes… qui en signe la préface. L’universitaire américain provoque en effet un «renversement critique» en défendant l’idée de la subjectivité inhérente aux romans de l’écrivain de Minuit, opinion par ailleurs déjà défendue en 1960 par l’intéressé lui-même. Comme il l’écrit, le Robbe-Grillet n°1 et le Robbe-Grillet n°2 vont coexister, «donnant naissance à une nouvelle conception de [ses] œuvres (…), moins autoritaire, plus libre».
Il faudra attendre 1970 et la publication de Projet pour une révolution à New-York, pour que Barthes revienne vers son cadet, mais en privé, continuant à attaquer dans ses écrits le Nouveau Roman qu’il considère comme «une littérature obsolète». Mais s’ils divergent sur un certain nombre de points, se rencontrant sur d’autres (principalement le retour au sujet et la réhabilitation de l’auteur), jamais ils ne cesseront de se parler, même indirectement.
Fanny Lorent, Barthes et Robbe-Grillet. Un dialogue critique (Les Impressions nouvelles)Sorties de presse des ULgistes - Printemps 2016
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