Un son... cosmique. Musique et astronomie

JohannesKeplerTout cela peut certainement mener à de la musique intéressante, mais quid des résultats pour la science astronomique ? En fait, cette recherche d’harmonie donna lieu à une découverte importante, par Johannes Kepler. Ce dernier était fasciné (faut-il écrire obsédé ?) par l’idée d’un cosmos harmonieux. Tout au long de sa carrière, il tenta de trouver les proportions du Système solaire. Il commença par emboîter des polyèdres réguliers pour simuler les écarts entre sphères planétaires, mais ce modèle ne s’avéra pas très bon. Il finit par se tourner vers… la musique ! Kepler envisagea d’abord des notes uniques pour chaque planète, comme dans l’Antiquité, mais cela ne fonctionnait pas très bien. Il imagina alors que la vitesse angulaire d’une planète sur son orbite autour du Soleil, mesurée en secondes d’arc par jour, fournit la fréquence de la note associée à la planète2.

Comme dans son modèle, l’orbite est elliptique et parcourue à vitesse variable (maximum au périhélie, minimum à l’aphélie), c’est toute une mélodie qu’il associe à chaque objet ! ecouter Bien sûr, le rapport entre les vitesses extrêmes doit être harmonieux, c’est-à-dire correspondre à une belle consonance musicale (comme une tierce, quarte, quinte, ou une octave). Toutefois, cette harmonie n’est jamais perceptible, vu qu’une planète ne peut être à la fois au périhélie et à l’aphélie. Pour créer une véritable harmonie céleste, il faut donc faire « sonner » les planètes entre elles, créant un véritable chant polyphonique. Pour y arriver, Kepler compara les vitesses extrêmes de différentes paires de planètes : après de longs calculs, il réussit à éviter au mieux les dissonances, qui se créent parfois en additionnant différents accords harmonieux, dénichant finalement un ensemble de proportions musicales planétaires (sans répétition, chaque rapport entre extrêmes étant unique). Ces rapports lui permettent alors de reproduire les caractéristiques orbitales (distance moyenne et excentricité) – il pense alors avoir trouvé le « design divin ». Ces recherches sur les gammes planétaires le conduisirent indirectement à la découverte de sa fameuse troisième loi, le rapport harmonieux tant cherché : le carré de la période est proportionnel au cube du demi grand-axe de l’ellipse orbitale… Musique képlérienne et troisième loi sont d’ailleurs toutes deux publiées dans le même livre, Harmonices mundi, en 1619.

 

Kepler-planetes Kepler2

 Partition planétaire de Kepler, originale et transposée suivant les usages modernes
 

FluddCette théorie d’harmonie cosmique était fort appréciée, mais tous les savants ne la soutenaient pas. Deux exceptions notables sont à souligner. Aristote, tout d’abord : « On doit voir évidemment, d'après tout ce qui précède, que, quand on nous parle d'une harmonie résultant du mouvement de ces corps pareille à l'harmonie de sons qui s'accorderaient entr'eux, on fait une comparaison fort brillante, sans doute, mais très vaine ; ce n'est pas là du tout la vérité. ». De Vinci, ensuite : « …s'il n'y a pas d'air dans les deux, il ne peut y avoir de son; mais s'il y a de l'air, les corps seraient usés depuis longtemps. De plus, les corps polis ne font pas de son en frottant et si les deux ne sont pas polis après des siècles de frottement, c'est qu'ils sont globuleux et rugueux : donc leur contact n'est pas continu. Il y aurait alors un vide dans la nature, ce qu'on ne peut admettre puisque la nature a horreur du vide. Enfin, le milieu tourne plus vite que les pôles : il devrait donc être plus usé et après usure il n'y aurait plus frottement et le son s'arrêterait… »

Ce sont ces opposants qui ont finalement gagné : la réalité de notre Système solaire s’avère moins bruyante qu’espéré, l’espace vide ne propageant pas le son. Toutefois, l’idée était belle, au point de continuer à exister. Diverses compositions intitulées « Harmonie des sphères » existent, tant anciennes (Cristofano Malvezzi ecouter, Joseph Straussecouter…) que plus modernes (Siegfried Karg-Elert ecouter, Rued Langgard ecouter, Paul Hindemith ecouter, Joep Franssens ecouter , Antoni Schonkenecouter, Philip Sparke ecouter… ou Willie Ruff et John Rodgers qui se concentrent sur l’harmonie képlérienne voir).

 

La gamme musicale céleste vue par Robert Fludd (1573-1637).
L’instrument actionné par la main de Dieu est un monocorde pythagoricien,
c’est-à-dire qu’il possède une seule corde et que chaque note (ici notée
avec des lettres, comme dans le système germanique) correspond à un morceau précis de la corde. On trouve de bas en haut les 4 éléments,puis les «planètes» et enfin les zones paradisiaques.Les proportions sont notées par des arcs de cercle. Ce type de représentation était assez populaire, il en existe diverses variantes. (wikimedia)
 
 

 

2 Kepler a donc une note aiguë pour Mercure et grave pour Saturne puisqu’une planète plus éloignée du Soleil se déplace plus lentement sur son orbite. Les Grecs antiques avaient souvent une relation inverse (Saturne aigu, Mercure grave) car ils considéraient le mouvement directement observé, sans enlever la contribution due au mouvement diurne (lié à la rotation de la Terre sur elle-même) comme l'a fait Kepler.
 

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