David Jones, In Parenthesis – poème en prose ?

Prenons ce paragraphe de la quatrième partie, où nous suivons la section de John Ball au fil d’une journée dans les tranchées, du lever au coucher du soleil, de corvées inutiles en partage du thé, entre ennui et fuite instinctive à l’approche d’un obus.

Mr Jenkins and his platoon sergeant came again from their tour of inspection; mired and blue-slimed with liquid mud from ‘P’ sap, where No. 4 kept watch in isolation in a night-digged ditch, dyked between enemy and friend. The two detailed for section’s rations silently rose up, together with the lance-corporal; as silently fell behind, filed heavy-footed, disappeared at the earth-work’s turn8. (68)

DaivdJonesC’est un moment d’intensité quasi nulle. La syntaxe est presque banale, mais pas tout à fait. Ainsi les deux points virgules introduisent-ils une pause un peu plus longue (comme une marque de lassitude ?). La portion de phrase qui décrit l’état dans lequel reviennent les deux officiers (« mired and blue-slimed with liquid mud ») a un rythme de pentamètre et est mimétiquement collante de la répétition de la labiale [m] et de la liquide [l]. Deux lignes plus loin, le fossé (même pas une tranchée, une précaire excavation)  est en quelque sorte creusé à nouveau dans l’allitération en [d]. De même que les soldats n’échangent pas de mots inutiles, nous n’avons ici aucun mot de transition ou de liaison, juste l’efficacité discrète et aussi lourde que les bottines chargées de glaise de ces soldats qui connaissent désormais ‘les disciplines des guerres’9.

La dernière page de la 2e partie décrit ce moment souvent cité où John Ball, le personnage central du récit, vit pour la première fois et par tous ses sens la violence de la guerre : son bataillon est en France et sur le point d’être conduit, de nuit, à une position sur le front. Après avoir donné des ordres un peu confus, le jeune lieutenant responsable de la section, Mr Piers Dorian Isambart Jenkins, s’arrête à hauteur de Ball pour lui demander du feu et sans vraiment se parler les deux jeunes gens se trouvent dans un rapport d’égalité qui invite à ne plus s’encombrer de formule hiérarchique, ce qui amène un sous-officier (Sergeant Snell) présent à débiter une habituelle tirade. Or il s’arrête brusquement et disparaît dans leur logis temporaire.

 

John Ball would have followed, but stood fixed and alone in the little yard – his senses highly alert, his body incapable of movement or response. The exact disposition of small things – the precise shape of trees, the tilt of a bucket, the movement of a straw, the disappearing right boot of Sergeant Snell – all minute noises, separate and distinct, in a stillness charged through with some approaching violence – registered not by the ear nor any single faculty – an on-rushing pervasion, saturating all existence; with exactitude, logarithmic, dial-timed, millesimal – of calculated velocity, some mean chemist’s contrivance, a stinking physicist’s destroying toy.

He stood alone on the stones, his mess-tin spilled at his feet. Out of the vortex, rifling the air it came – bright, brass-shot, Pandoran; with all-filling screaming the howling crescendo’s up-piling snapt. The universal world, breath held, one half second, a bludgeoned stillness. Then the pent violence released a consummation of all burstings out; all sudden up-rendings and rivings-through – all taking-out of vents – all barrier-breaking – all unmaking. Pernitric begetting – the dissolving and splitting of solid things10.  (p. 24)

 


 

 

8« M. Jenkins et son sergent de section revinrent de leur tournée d’inspection ; maculés de la vase et de la boue collante de la sape ‘P’, où la N°4 montait la garde isolée dans un fossé creusé de nuit, endigué entre ennemi et ami. Les deux hommes de corvée rations se levèrent en silence, en même temps que le caporal suppléant ; en silence toujours, ils s’éloignèrent en file, d’un pas lourd, et disparurent au tournant de la tranchée. »

9 « The disciplines of the wars », une expression utilisée plusieurs fois par Jones, mais aussi par Wilfred Owen, reprise à une réplique de Fluellen dans Henri V, Acte 3, scène 2.

10« John Ball aurait voulu suivre, mais resta là debout seul dans la petite cour  – les sens en alerte, le corps incapable de bouger ou réagir. La disposition exacte de petites choses  – la forme précise des arbres, l’inclinaison d’un seau, le mouvement d’un fétu de paille, la bottine droite du Sergent Snell au moment où elle disparaît – tous les bruits infimes, séparés et distincts, dans un silence chargé d’une violence en approche – perçue non par l’ouïe ou par quelque faculté isolée – une ubiquité précipitée, qui sature toute existence ; avec exactitude, logarithmique, minutée, millésimée – d’une vélocité calculée, dispositif d’un chimiste malveillant, jouet destructeur d’un physicien fétide.
         Il était seul sur les pavés, sa gamelle renversée à ses pieds. Sortant du vortex, déchirant l’air elle s’abat – lumineuse, cuivrée, pandorique ; tout vide comblé de son hurlement l’accumulation du rugissement crescendo se brise. Le monde universel, souffle retenu, une demi seconde, un silence abasourdi. Puis la violence engrangée libérée en une orgie de déflagrations ; toutes crevures et échancrées – tout arrachage de ventaux – toute brisure de barrières – toute défaisance. Conception sulphurique – dissolution et déchirure des choses solides. »

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