Les nouveautés discographiques de Musique en Wallonie

Installée à l’Université de Liège, l’asbl Musique en Wallonie vient d’éditer le cinquième volume de la «biographie musicale» de Roland de Lassus ainsi que la Missa Transfigurationis, un livret anonyme écrit à Tournai aux 15e et 16e siècles. Sous ce label créé en 1971 dans la foulée du Festival de Wallonie afin de mettre en valeur, par le disque, le patrimoine musical de Wallonie et de Bruxelles entre le Moyen Âge et les années 1950, a récemment paru Pages intimes de Joseph Jongen, deuxième album d’une série consacrée à la Grande Guerre. Tous ces disques sont insérés dans de magnifiques livrets illustrés quadrilingues français, anglais, néerlandais et allemand.

 

Roland de Lassus, Biographie musicale vol. V

LassusDepuis 2011, Musique en Wallonie édite la «biographie musicale» de Roland de Lassus (Mons 1532-Munich 1594) sous la forme de CD reprenant des œuvres vocales jamais encore enregistrées. Le cinquième volume, qui vient de paraître, interprété par Vox Luminis sous la direction artistique de Lionel Meunier, est un peu particulier en ce qu’il se propose, écrivent ses concepteurs, «de rendre compte dans toute leur diversité de l’immense célébrité de ses œuvres depuis ses débuts jusqu’aux publications posthumes répandues par les imprimeurs-éditeurs de France, des Pays-Bas, d’Italie et d’Allemagne». D’où son sous-titre : «Lassus l’Européen».

En 1555, paraît à Venise le premier recueil d’«Orlando di Lasso» qui, fort de son succès, connaîtra quatorze rééditions jusqu’en 1586. Ce n’est que le début d’une longue série, ses œuvres seront ensuite publiées en Belgique (Anvers et Louvain), en Italie (Venise, Rome), en Allemagne (Nuremberg, Munich) et en Autriche (Graz). C’est une sélection de vingt d’entre elles qu’offre ce disque. Né Franco-flamand, devenu Franco-italien suite à son séjour transalpin durant sa jeunesse, Roland de Lassus va vivre près de quatre décennies à Munich, de 1556, date à laquelle il est recruté par le duc Albert V, jusqu’à sa mort trente-huit ans plus tard. Extrêmement célèbre, il écrit en français, en latin, en italien ou en allemand des musiques tantôt sacrées, tantôt profanes. Ce disque se referme sur un motet à 12 voix inédit, l’un des deux seuls qu’il ait composé pour un tel ensemble, précise Annie Cœurdevey dans le très complet livret accompagnant le CD.

- Qobuz : «Voilà bien un Lassus indispensable.»
- Sprezzatura e Glosas : «Ce dernier volume referme de manière magistrale la Biographie musicale de Roland de Lassus et recèle de petits bijoux qui ne tiennent qu’à la rigueur et l’amour portés à ce projet par Lionel Meunier et son ensemble.»

 

missaMissa transfigurationis, Tournai, 15e-16e siècles

En 2006, réapparaît à Tournai de manière totalement inattendue un manuscrit composé de plain-chant et de polyphonie, rédigé entre le 15e siècle et 1602, et que l’on croyait perdu après la Seconde Guerre mondiale, le Livret des confrères de la confrérie de la transfiguration du Seigneur à la cathédrale de Tournai. Ce joyau musical est enregistré pour la première fois, par l’ensemble Psallentes sous la direction d’Hendrik Vanden Abeele. Dans la notice introductive, Anne-Emmanuelle Ceulemans raconte l’histoire de cette confrérie tournaisienne qui comptait huit prêtres et se réunissait deux puis une fois par an lors de célébrations rencontrant la sympathie d’un vaste public. Ce Livret, volume composé à différentes époques et entièrement en parchemin, est formé de quatre sections distinctes: une vigile de la Transfiguration, une procession, une messe et des prières pour les confrères défunts, une Missa Sancta Trinitas anonyme à quatre voix suivi d’un motet et, enfin, une séance polyphonique de la Transfiguration.

 

 

- 5 diapasons : «La beauté du plain-chant ne cède en rien à celle de la polyphonie, où s'épanouissent les voix moelleuses et veloutées des Psallentes»
- Le Soir/Le Mad : «un superbe mélange de rigueur et de ferveur»
- MusicWeb Int :  «Psallentes’ singing on this CD is unfussy, purposeful, directed, technically unostentatious and polished. […] it’s singing full of dedication, sincerity and color.»
- Wunderkammern.fr : "un très beau disque de musique sacrée dont émane une spiritualité simple et rassérénante"
- ★★★✩ dans La Libre
 

 Joseph Jongen, Pages intimes

jongenCe disque est le quatrième de Joseph Jongen (Liège 1873-Sart-lez-Spa 1953) édité par Musique en Wallonie, après Comala (1897) et Clair de lune (1908 et 1915), la Symphonie concertante composée en 1926 et orchestrée l’année suivante et deux concertos, l’un pour piano, l’autre pour harpe, datant de la Seconde Guerre mondiale. Il succède à Quatuor et Sonates de Georges Antoine dans une série consacrée aux musiciens de la Première Guerre mondiale. C’est à Londres, où il va rester jusqu’à la fin du conflit et où, rappelle Christophe Pirenne dans le livret, il «se retrouve au sein d’une diaspora en exil», que le musicien compose des pièces pour orchestre dont plusieurs sont réunies dans cet album. Écrit l’été 1917, Tableaux pittoresques, que son auteur dédie «très respectueusement»  à «sa majesté Élisabeth reine des Belges», est exécuté pour la première fois le 20 décembre de cette année-là dans une vaste salle. Il faudra attendre un an, et la fin de la guerre, pour qu’il soit créé en France. Pages intimes, morceau composé de trois parties qui donne son titre à ce disque, est composé entre avril 1917 et juillet 1918. Il s’agit d’une œuvre, écrit encore Pirenne, «qui traduit la poésie du monde de l’enfance et s’inscrit dans la continuité de ce que Ravel avait entrepris dans Ma Mère l’Oye». Cet album comprend encore la Sarabande triste, l’une des dernières compositions du musicien à voir le jour sur le sol anglais, et une Suite pour alto et orchestre. De retour chez lui en janvier 1919 seulement, Joseph Jongen connaît alors une «grave crise créatrice». En découvrant «toute cette musique bouleversante, nouvelle peut-être, mais si rarement belle», celui qui ambitionnait d’arriver à écrire une œuvre «digne de [ses] maîtres (Wagner, Franck)» avoue commencer «à perdre pied et à [se] demander ce qu’était véritablement la musique».

- Discovery of the Month sur MusicWeb International : "This is just fabulous; what a find."
- ★★★✩ dans La Libre
- Nominé aux ICMA 2016 (International Classical Music Awards) dans la catégorie Musique symphonique
 

Interview de Christophe Pirenne

Pouvez-vous nous rappeler les raisons qui ont présidé à l’édition par Musique en Wallonie de la «biographie musicale» de Roland de Lassus en cinq volumes?

Quand, il y a cinq ans, nous avons fait l’inventaire de ce qui avait été enregistré de Roland de Lassus, nous nous sommes rendu compte que ce n’était qu’à peine le dixième de ce qu’il avait composé. Annie Cœurdevey, la responsable du projet, a dès lors choisi une très large majorité de pièces inédites, le but de Musique en Wallonie étant de promouvoir et des compositeurs et des œuvres qui n’ont encore eu le bonheur d’une production discographique. Quasiment l’intégralité de l’œuvre de Roland de Lassus a été éditée sous forme de partitions modernes et c’est parmi celles-ci que nous sommes allés chercher celles que nous avons soumises aux musiciens.

 

Ce cinquième volume est particulier car les morceaux choisis traversent toute sa vie.

On suit en effet son parcours européen en choisissant des pièces qui ont été publiées dans différents pays et à différents moments. Elles offrent ainsi une vision générale de la diversité de son œuvre et de sa diffusion. Nous voulions montrer qu’il était un compositeur chanté un peu partout en Europe. Dans la seconde moitié du 16e siècle, il est, avec Palestrina, le plus grand compositeur européen.

 

Ce cosmopolitisme était-il une exception à son époque?

Non, son parcours est assez banal, il est commun aux musiciens franco-flamands de la Renaissance, issus de la Belgique actuelle, du nord de la France ou du sud des Pays-Bas. On les retrouve en France en Espagne, en Italie, en Allemagne.

 

Roland de Lassus compose de la musique profane et sacrée.

Il compose des chansons dans toutes les langues européennes qu’il maitrise, des motets profanes, des messes, des Magnificat. Quand on est attaché à un aristocrate, on compose pour la vie religieuse mais aussi pour tout ce qui touche à la vie profane, les divertissements, les repas, les soirées, etc. Il a composé beaucoup de motets car ce sont des pièces très souvent insérées dans la liturgie et interprétées lors de célébrations un peu fastueuses.

 

Quelle fut son influence, tant sur ses contemporains que posthume?

De son vivant, son influence sur ses contemporains est considérable. De nombreux compositeurs italiens veulent apprendre auprès de  lui. Mais après 1600, elle disparaît car quelques années après sa mort, le langage musical change, c’est le début de la seconde pratique de Monteverdi, de la musique baroque et, comme bien d’autres, il va être oublié. Il faudra attendre le 20e siècle pour qu’apparaissent des éditions critiques de son œuvre et les années 1960-70 marquées par la redécouverte de la musique ancienne pour qu’il commence à être véritablement rejoué et enregistré. Aujourd’hui, s’intéresser à Roland de Lassus n’a plus rien de révolutionnaire. Il est reconnu comme un compositeur majeur de la deuxième moitié du 16e siècle et presque toutes les firmes de disques l’ont mis à leur catalogue.

 

Vous en avez fini avec lui?

Nous allons peut-être encore faire un disque car son œuvre est comme un puits sans fond.

 

Quels sont vos projets pour 2016?

Nous en avons plusieurs. Nous allons publier début 2016 le deuxième volume des poèmes symphoniques d’Eugène Ysaÿe, des pièces pour violon et orchestre enregistrées par l’Orchestre philharmonique de Liège sous la direction de Jean-Jacques Kantorow. Nous venons également de terminer l’enregistrement avec l’ensemble américain Cut Circle de l’intégrale des messes sur teneur de Guillaume Dufay, un compositeur du début de la Renaissance qui, comme l’a récemment découvert un musicologue, est né sur ce qui est aujourd’hui le territoire belge. Nous allons aussi poursuivre notre collection sur la guerre 14-18 et à nouveau travailler sur les pièces de Pietro Antonio Fiocco, un musicien italien installé à Bruxelles au début des années 1680.

 

http://www.musiwall.ulg.ac.be

 

 

Michel Paquot
Novembre 2015

 

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant

 

microgrisChristophe Pirenne enseigne la musicologie à l'ULg. Il est administrateur délégué de Musique en Wallonie.