Benoit Peeters, Raoul Ruiz, le magicien et Lire Tintin. Les bijoux ravis

De Benoît Peeters, paraissent simultanément deux livres : l’un, cosigné avec Guy Scarpetta, consacré au cinéaste Raoul Ruiz et la réédition de son analyse très pointue des Bijoux de la Castafiore qui marque ses premiers pas dans un univers – celui de Tintin et d’Hergé – qui le passionne depuis quarante ans.

Peeters-RuizRaoul Ruiz, le magicien. C’est en 1982 dans le village ardennais de Rossignol, où la Cinémathèque française organise une rétrospective de son œuvre «labyrinthique», que Benoît Peeters rencontre pour la première fois Raoul Ruiz. Ensemble, ils vont «écrire les scénarios d’un film, La Chouette aveugle (1987), et d’un livre, Le Transpatagonien (1989), illustré par Patrick Deubelbeiss. Cet essai, qui paraît quatre ans après la mort du réalisateur franco-chilien, reprend (sur 85 pages !) les nombreuses conversations qu’ils ont eues, principalement entre 1984 et 1987 et partiellement publiées. On y apprend que l’’auteur des Destins de Manoël a été dans son enfance abreuvé de films – jusqu’à  huit par semaine –, principalement américains mais aussi français considérés comme «érotiques», et qu’à 16 ans, il a commencé à écrire ses premières pièces de théâtre – il en signera plus d’une centaine. Son premier film tourné en 1961, La Maleta, un moyen-métrage jamais sorti, est d’ailleurs l’adaptation de l’une d’entre elles. Après de nombreux allers-retours entre le Chili, l’Argentine et les États-Unis, après plusieurs films restés inachevés, il réalise en 1968 Trois tristes tigres qui remporte ex-aequo le grand Prix du Festival de Locarno.
Membre du Parti socialiste au moment de la victoire d’Allende en 1970, il réalise une dizaines de films pendant les trois années du gouvernement de l’Unité Populaire, notamment une libre adaptation de La Colonie pénitentiaire de Kafka (dans laquelle certains voient une caricature de Cuba). Au lendemain du Coup d’État, après un détour par L’Allemagne, et faute de pouvoir  s’exiler dans un autre pays d’Amérique latine, il se retrouve en France où il tourne Dialogues d’exilés, qui, par la vision qu’il donne de ses concitoyens,  déclenche une unanimité… contre lui. Au fil de ces échanges passionnants, il est encore question d’autres films – La Vocation suspendue (1977), L’Hypothèse d’un tableau volé (1978), Les Trois Couronnes du matelot (1982), La Ville des pirates (1983) –, toujours envisagés sous des angles multiples: intentions du réalisateur, étapes de l’écriture, conditions du tournage, analyse cinématographique, etc.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, Guy Scarpetta analyse neuf films de Ruiz – Les Trois Couronnes du matelot, La Ville des pirates, Trois vies et une seule mort, Généalogies d’un crime, Le Temps retrouvé, Combat d’amour en songe, Klimt, Les Mystères de Lisbonne, La Nuit d’en face – et donne la parole à plusieurs de ses acteurs (Arielle Dombasle, John Malkovich, Melvil Poupaud, Edith Scob…). Benoît Peeters clôt l’ensemble, avant une filmographie commentée, par l’interview de Valeria Sarmiento qui fut la compagne et la monteuse du cinéaste. Elle se souvient par exemple de leur arrivée sans le sous à Paris, que l’atelier qu’ils avaient fini par louer grâce à un réseau d’entraide était rapidement devenu un lieu de rencontres... Elle raconte aussi leur retour au Chili en 1982, un pays alors sous couvre-feu – ce qui n’empêche pas Ruiz d’y tourner un film en super 8 –, et les rapports parfois difficiles avec ceux qui étaient restés sous la dictature de Pinochet. (Les Impressions Nouvelles)

 

Peeters-TintinLire Tintin. Les bijoux ravis. Avant d’écrire plusieurs ouvrages sur Tintin et Hergé, dont une biographie qui fait référence, Benoît Peeters a consacré, en 1978, son travail de fin d’études à l’École Pratique des Hautes Études aux Bijoux de la Castafiore (histoire située en un seul lieu, le Château de Moulinsart, qui déconcerta à sa sortie en1963). Cette thèse, il l’a placée sous la figure tutélaire de Roland Barthes, peu féru de bandes dessinées mais curieux et ouvert d’esprit, d’une part en lui demandant d’en assurer la direction, d’autre part en s’inspirant de la méthode appliquée par le sémiologue sur Sarrasine de Balzac dans S/Z. À cette époque, le 9e art n’est pas le sujet d’études qu’il est devenu et n’a donc pas droit de cité dans le monde universitaire. Celui-ci avait au contraire été «scandalisé» par Michel Serres (à qui est d’ailleurs dédié l’ouvrage) qui avait commenté le même album en 1970 dans un article de la revue Critique repris deux ans plus tard dans L’Interférence. Hermès II. Depuis, l’étudiant a considérablement affiné sa connaissance de l’univers du reporter et de son créateur et c’est de ce savoir qu’est enrichie cette réédition, à défaut d’avoir été réécrite de fond en comble (mais elle est toujours privée de vignettes de l’album, on sait pourquoi).
Divisée en quarante-trois segments, cette lecture des Bijoux de la Castafiore – exercice sans doute inégalé – est aussi riche que stimulante. Peeters décrit chaque case de chaque planche de l’album, analysant et l’image et le texte même si, comme il le rappelle à juste titre, l’un et l’autre sont indissociables. Il remarque ainsi des récurrences, des associations, des renvois, internes mais aussi à d’autres tomes de la série, etc. Il fait ainsi ressortir la «densité» d’un récit dont le principal fil conducteur pourrait être la communication – plutôt son absence : de la célèbre boucherie Sanzot au tout aussi fameux quiproquo concernant le futur mariage d’Haddock avec la Castafiore, en passant par le dérèglement de la télévision mise au point par Tournesol. L’auteur donne ainsi à cet album une cohérence et une profondeur qu’une simple lecture ne révèle que superficiellement (ou pas du tout). Tout y serait donc longuement pensé et réfléchi ?
Que nenni, répond l’intéressé lui-même à Benoît Peeters et Patrice Hamel dans l’interview qu’il leur a accordée en 1977 (reprise intégralement en fin d’ouvrage). À la surprise de ses deux jeunes admirateurs, Hergé explique en effet que, si le scénario de cette histoire était plus «charpenté» que d’autres, rien n’était décidé d’avance, lui-même choisissant au dernier moment la direction à lui donner. Assez systématiquement, d’ailleurs, que ce soit face aux associations (également pointées par Michel Serres) auxquelles il affirme n’avoir jamais songé (comme les vaches) ou lorsque ses interlocuteurs relèvent par exemple la récurrence dans ses albums d’oiseaux aux rôles maléfiques ou inquiétants («C’est la première fois que je me pose la question»), il botte en touche ou répond par l’évidence (c’est plus joli, pour surprendre, pour créer une complicité avec le lecteur). Poussé dans ses retranchements à propos d’une autre question (l’absence de vin rouge), il finit par répondre: «Vous me voyez totalement groggy ! Il m’est impossible de vous répondre. Je ne me suis pas rendu compte de toutes ces coïncidences. (…) Je suis incapable de vous donner l’amorce d’un explication ou d’une justification.» «C’est probablement mon inconscient qui a travaillé», admet-il (consentant tout de même à mentionner le «démon de la Pureté» qui l’habite). Thèse que développera longuement Benoît Peeters dans sa biographie, Hergé, fils de Tintin. (Les Impressions Nouvelles)

Voir aussi : Benoît Peeters

 Sorties de presse des ULgistes - automne 2015
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