Frédéric Saenen, Drieu de la Rochelle face à son œuvre

SaenenIl ne s’agit pas à proprement parler d’une nouvelle biographie de Drieu la Rochelle – une très bonne est notamment parue en 2011 sous la plume de Jacques Cantier (Perrin) – mais d’une tentative d’approche de l’œuvre multiforme de celui qui, après avoir cru au «rêve fasciste», s’est donné la mort en mars 1945. Puisqu’il n’existe plus de témoins directs de sa vie, constate Frédéric Saenen dans son avant-propos, ce n’est plus que par son œuvre qu’est accessible cet écrivain entré dans la Pléiade il y a trois ans. Une œuvre, ajoute-t-il, «dont la valeur exacte est toujours occultée par les choix idéologiques de son signataire». Les deux dimensions – littéraire et biographique – étant indissociables, Frédéric Saenen passe de l’une à l’autre, ne dissocie jamais l’homme de lettres de l’homme d'idées, sans jamais pour autant «réhabiliter» le personnage. C’est ainsi que le récit fragmenté de sa vie est suivi par l’analyse de ses livres et jalonné d’encadrés venant préciser certains points de son parcours, ses rapports avec Barrès, Maurras, Céline, Doriot ou Aragon, mais aussi avec le théâtre, la nouvelle ou l’antisémitisme.

«La vocation littéraire de Drieu découle de son expérience du feu», écrit l’auteur de cet essai qui rappelle que c’est durant son hospitalisation en 1916 qu’il écrit les poèmes composant Interrogation, plaquette publiée en août 1917 chez Gallimard. Et il n’a pas encore trente ans lorsqu’en 1921 paraît État civil où il dissèque «cette période fondatrice et obscure qu’est l’enfance». Lui qui se définit comme «communiste et réactionnaire, libéral et autoritaire» lance avec Emmanuel Berl une revue, Derniers jours : cahier politique et littéraire, qui «entérine simplement le constat de faillite de la société et proclame l’urgente nécessité d’une révolution, sans en définir les modalités», commente Saenen. Toujours, par la suite, Drieu va alterner romans (Une femme à sa fenêtre, Le Feu follet) et essais (L’Europe contre les patries). Après avoir prédit, dans Mesure de la France, la disparition des nations au profit d’une «civilisation mondiale» («chose inconsciente, uniforme et obscure»), rejette maintenant les patries au profit de la création d’États-Unis d’Europe sur un modèle fédéraliste.

Au début des années 1930, il rencontre le futur ambassadeur du Reich à Paris, Otto Abetz, et, lors de la journée insurrectionnelle du 6 février 1934, «bascule» dans le camp des opposants à la démocratie parlementaire qu’il voudrait remplacer par un régime autoritaire qualifié de «socialisme fasciste», titre donné à un recueil d’articles. Pour autant, sa position politique n’est pas des plus claires, comme le note son biographe. Le totalitarisme provoque en effet chez lui un mélange d’attraction, de méfiance et de rejet. Et il pressent en effet qu’Hitler «menace l’harmonie européenne dont il rêve», ce qui lui conduit à s’opposer à «la mascarade» des Accords de Munich et à se rapprocher du Parti communiste. Pour, finalement, se résigner, «face à la destinée historique que Hitler est appelé à assumer». C'est durant ces années-là qu’il publie trois de ses romans majeurs, La Comédie de Charleroi, Rêveuse bourgeoise et Gilles, «la pierre angulaire de son œuvre». Fin 1940, il prend la direction de la NRF (jusqu’à juillet 1943) où il exprime sa confiance dans la Révolution nationale lui qui, quelques mois plus tôt, note Saenen, manifestait son «aversion» pour la droite maréchaliste installée à Vichy. Parallèlement, il écrit dans la presse collaborationniste (des articles souvent caviardés car favorables à l’URSS stalinienne !), publie quelques livres (Notes pour comprendre le siècle, L’Homme à cheval, Les Chiens de paille), sombrant dans un pessimisme de plus en plus «absolu». Mais aussi dans un immense dégoût (envers lui-même, envers la guerre, envers l’amour, envers la droite vichyssoise et la Collaboration..) dont on trouvera trace dans son Journal 1939-1985 publié pour la première fois en 1992 chez Gallimard. (Infolio)

Voir aussi : Drieu la Rochelle face à nous
Voir aussi : Frédéric Saenen

Sorties de presse des ULgistes - automne 2015
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