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Louise de Savoie, l'omniprésente mère de François Ier

27 octobre 2015
Louise de Savoie, l'omniprésente mère de François Ier

Louise de SavoieSes enfants furent élevés sous ses yeux, et l’ascendant qu’elle prit dès cette époque sur son fils devint, lorsque ce prince fut monté sur le trône, très préjudiciable à la France. Haineuse, vindicative, avide d’argent non moins que d’autorité et d’hommages, elle sacrifia toujours les intérêts de l’État à la satisfaction de ses passions mauvaises1.

Ces mots, d’une terrible sévérité, sont ceux des frères Firmin Didot, auteurs d’une Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés …, parue en 1850. Ils accablent celle qu’ils évoquent, Louise de Savoie, comtesse puis duchesse d’Angoulême, mère de Marguerite, future reine de Navarre, et de François, futur François Ier. On les comprend mieux quand on sait que l’historiographie du 19e siècle n’a guère apprécié le premier roi Valois, décrit comme un souverain débauché et manipulé par les femmes, sa mère d’abord, sa maîtresse, la duchesse d’Étampes, ensuite. L’année 2015 – qui commémore le 500e anniversaire de l’avènement de François Ier (1er janvier 1515) et celui de sa victoire à Marignan (13 et 14 septembre 1515) – donne l’occasion de revenir sur Louise de Savoie, qui, alors même qu’elle n’a jamais été ni reine, ni reine-mère, fut assurément l’une des personnalités les plus influentes de la première Modernité européenne. 

Anonyme français, Louise de Savoie.
Livre d’heures de Catherine de Médicis
, 1573,
Paris, BnF, ms. nouv. acq. lat. 82, folio 2v
 

En attendant l’heure de son « César » : de la Savoie à la cour du roi Louis XII   

Marguerite FrançoisFille de Philippe, comte de Bresse puis duc de Savoie, et de Marguerite de Bourbon, Louise naît le 11 septembre 1476. À la mort de sa mère, en 1483, elle est envoyée avec son frère Philibert (le Philibert de Marguerite d’Autriche) à Amboise, où leur tante, la régente Anne de France, bibliophile et femme de pouvoir avisée, se charge de leur éducation. Le 16 février 1488, alors âgée de douze ans, elle épouse Charles d’Orléans, comte d’Angoulême et chef d’une branche cadette de la maison de Valois. Elle s’installe à Cognac, où naîtront Marguerite (le 11 avril 1492) et François (le 12 septembre 1494).

Atelier de Jean Clouet, Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre. Recueil Mariette-Walpole, dessin original perdu daté de 1525, Knowsley, Derby collection, inv. W 418, folio 6r -  Atelier de Jean Clouet, François Ier, roi de France. Recueil Mariette-Walpole, dessin original daté de 1524, Knowsley, Derby collection, inv. W 418, folio 2r
 
 

La cour de Cognac est modeste mais les lettres y trouvent néanmoins une place de choix : les époux d’Angoulême enrichissent la bibliothèque familiale, ils soutiennent aussi le travail des frères Jean et Octovien Saint-Gelais, du copiste Jean Michel ou celui de l’enlumineur Robinet Testard. À la mort précoce de Charles, en janvier 1496, Louise est trop jeune pour disposer seule de la tutelle de ses enfants (elle a dix-neuf ans, or, l’âge légal minimum de tutelle est de vingt-cinq ans). Dès lors, après avoir vainement essayé de s’y opposer, elle est contrainte d’accepter le partage de cette tutelle avec Louis d’Orléans, le plus proche parent mâle de François et de Marguerite, qui, en 1498, à la mort inattendue de Charles VIII, devient le roi de France, sous le nom de Louis XII.

DamePrudenceEn 1499, après avoir créé le duché de Valois pour François – devenu l’héritier présomptif de la couronne –, Louis fait venir Louise à la cour, avec ses enfants. La comtesse veille à leur éducation : elle suscite leur intérêt pour la littérature et les arts ; elle apprend l’italien et l’espagnol à son fils ; elle commande et reçoit, pour soutenir cette entreprise, plusieurs ouvrages manuscrits et imprimés, spécialement des livres d’histoire et de dévotion. Les sources du temps – qui comparent sans cesse Louise à Dame Prudence – ne manquèrent d’ailleurs pas de souligner la qualité de cette éducation, à laquelle François Demoulins de Rochefort contribua également : alors même que François maîtrisait peu le latin et le grec moins encore, ses contemporains le considéraient comme un prince instruit, tandis que Marguerite était estimée comme particulièrement lettrée.

En 1506, Louis XII annonce les fiançailles de sa fille, Claude, avec François. De son côté, en 1508, Marguerite épouse le duc d’Alençon. Le 3 août 1508, François quitte sa mère pour s’installer en permanence à la cour. Louise retourne à Cognac, attendant – avec grande anxiété, comme le rapporte son Journal, un texte qu’elle conçoit visiblement comme une carte astrologique – l’avènement de son « César ». Le soulagement survint en janvier 1515.

 François Demoulins, Traité sur les vertus cardinales,
1510, Paris, BnF, ms. fr. 12247, folio 4r

 

Derrière le fils, il y a (presque toujours) la mère

Devenu François Ier, le fils couvre sa mère de bénéfices : il érige le comté d’Angoulême en duché et lui donne le duché d’Anjou, les comtés de Maine et de Beaufort-en-Vallée ainsi que la baronnie d’Amboise. Il la nomme aussi régente, une première fois en juillet 1515 (régence restreinte toutefois puisque le roi emporte en Italie le grand sceau, sans lequel les documents officiels ne peuvent être authentifiés), une seconde fois en 1524-1526, à la descente du roi en Italie et lors de sa captivité (régence exceptionnelle durant laquelle Louise, installée à l’abbaye de Saint-Just, près de Lyon, règne véritablement sur le Conseil).

L’influence de Louise ne se réduit toutefois pas à ces périodes de régence. Loin s’en faut. L’omniprésente mère – que l’on appelle désormais Madame – bénéficie de l’oreille de son fils, elle domine le Conseil et pèse d’un poids considérable sur la politique, intérieure et étrangère, de François Ier. La correspondance du temps en témoigne : François signe certaines de ses lettres par les mots « le roi et Madame », tandis que Louise ponctue ses propres missives par « à mon seul plaisir », une expression ordinairement réservée au souverain. Dans les affaires internationales également le pouvoir de Louise est manifeste : en 1529 par exemple, les négociations avec Marguerite d’Autriche conduisent au traité de Cambrai, dénommé « La Paix des Dames ». Les brillantes carrières de ses proches montrent encore combien l’importance de Louise fut considérable. Madame confirme dans leurs prérogatives d’anciens serviteurs de Louis XII, comme le trésorier Florimond Robertet ou le financier Jacques de Beaune, baron de Semblançay, mais elle introduit également à la cour de nouveaux venus, comme son frère, René de Savoie, Antoine Duprat ou Artus Gouffier. Il est d’ailleurs significatif de constater qu’au début du règne, bon nombre d’officiers sont autant liés à la maison du fils qu’à celle de la mère, au point qu’il est parfois difficile de distinguer les rôles. Mais Madame peut aussi détourner sa faveur, comme ce fut le cas pour Semblançay et les siens.

L’action de Louise de Savoie concerne encore les lettres et les arts, comme le prouve l’une de ses devises « libris et liberis », « des livres et des enfants ». Bibliophile avertie et amatrice d’objets et d’œuvres d’art, elle protège les artistes et les poètes, soutenant ainsi voire suscitant la création artistique et littéraire des quinze premières années du règne de François Ier. La duchesse puis comtesse d’Angoulême accorde une importance particulière aux idées et aux formes venues d’Italie. Ainsi, elle joua un rôle dans l’initiative d’inviter Léonard de Vinci en France. Elle lui demande en effet d’édifier, sur ses propres terres, à Romorantin, une ville nouvelle pour la cour et un palais neuf, projet qui, malheureusement, ne sera pas mené à son terme.

LeonarddeVinciLéonard de Vinci, Ébauche de planimétrie de palais et de cours disposés à côté d’une rivière.
Codex Arundel
, vers 1517-1518, Londres, British Library, Codex Arundel, folios 263r et 270v
 

Sa maison est vaste : en 1518, elle compte 160 officiers, à sa mort, en 1531, 295 personnes (par comparaison, la maison de la reine Anne de Bretagne comprend 325 officiers en 1496, celle de Claude de France 209 personnes tandis que celle de François Ier, dans la première partie du règne, regroupe environ 540 officiers).

Louise meurt le 22 septembre 1531, à Grez-sur-Loing, près de Fontainebleau. Ses funérailles, ordonnées par François inconsolable, ont quasiment été royales : une effigie, honneur traditionnellement réservé au cérémonial funèbre des rois et des reines de France, reposait sur le cercueil, mais cette effigie portait un manteau ducal et une couronne ducale. Même dans la mort, Louise ne fut donc jamais reine.

 

Laure Fagnart
Octobre 2015

crayongris2Laure Fagnart est chercheuse du F.R.S.-FNRS au sein de Transitions. Département de recherches sur le Moyen Âge et la première Modernité, de l'ULg. Elle vient de publier, avec Pascal Brioist et Cédric Michon, Louise de Savoie 1476-1531 

 

Louise de Savoie-coverPascal Brioist, Laure Fagnart et Cédric Michon (dir),  Louise de Savoie. 1476-1531, Tours-Rennes, Presses universitaires François Rabelais de Tours/Presses universitaires de Rennes, 2015.


 

Journal de Louise de Savoie, Duchesse d’Angoulesme et d’Aniou & de Valois & Comtesse du Mayne, Mère du Roy François Ier dit Le Grand, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 3435, édité par S. Guichenon, « Journal de Louise de Savoie », Histoire généalogique de la royale maison de Savoye, II, Lyon, G. Barbier, 1660, p. 457-464 ; René de Maulde La Clavière, Louise de Savoie et François Ier. Trente ans de jeunesse (1485-1515), Paris, 1895 ; Anne-Marie Lecoq, François Ier imaginaire. Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, 1987 ; Philippe Hamon, « Louise de Savoie (Pont-d’Ain, 11 ou 14 septembre 1476 – Grez-sur-Loing, 22 septembre 1531) », dans Arlette Jouana (dir.), La France de la Renaissance. Histoire et dictionnaire, Paris, 2001, p. 923-926 ; Mary Beth Winn, « Louise de Savoie, ses enfants et ses livres : du pouvoir familial au pouvoir d’État », dans Kathleen Wilson-Chevalier, Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Saint-Étienne, 2007, p. 251-281. Robert J. Knecht, « Louise de Savoie (1476-1531) », dans Cédric Michon (dir.), Les conseillers de François Ier, Rennes, 2011, p. 173-186 ; Pascal Brioist, Laure Fagnart et Cédric Michon (dir.), Louise de Savoie 1476-1531, Tours-Rennes, 2015.  

 


 

1 Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à 1850-1860 publiée par les frères Firmin Didot, 32, Paris, Firmin Didot Frères, 1850 (réédition Copenhague, 1967, colonnes 2-4).


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