Art et astronomie. Impressions célestes
 

MoreauMuchabouddhaÀ l’opposé, certains préfèrent l’allégorie pure. Il faut dire que les astres étaient des dieux importants, partout dans le monde : les portraits divins (Râ, Hélios, Hamateratsu, Bouddha Tejaprabha) sont donc aussi des portraits célestes ! Mais ce courant personnifiant ne s’est pas arrêté à l’Antiquité ni ne s’est circonscrit au divin. On le retrouve au Moyen-Âge sous les traits plus profanes d’Astronomia, l’allégorie de l’un des enseignements du quadrivium, remplacée ensuite par Uranie, la muse céleste, au retour du classicisme. La tradition s’étend ensuite à la Lune, le Soleil, la Nuit, et même des étoiles (parfois filantes)… Parmi ce courant, particulièrement vivace au 19e siècle, se trouvent plusieurs œuvres célèbres, comme le Phaéton de Moreau, le « cycle de la Lune et des étoiles » de Mucha, ou Night with her train of stars de Hughes.

Hugues

Ci-dessus, de g à d : Gustave Moreau, Phaéton 
Mucha, Lune - Bouddha
 

 

Edward Robert Hugues,
Night with her train of stars
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Delaunay, Formes circulaires - Soleil et Lune

DelaunayIl existe aussi la possibilité de viser la perfection céleste – sphère, cercle, ellipse restent en effet les bases de l’astronomie… Ce sont évidemment les peintres abstraits (comme Kandinsky, Kupka, Delaunay) qui ont le mieux joué avec ces formes pures dans des œuvres colorées, d’une pureté céleste évidente. Cela ne se restreint pas au sphérique : l’œil cubiste de Léger n’a pu résister à la beauté des isocontours cométaires… Dans ce cadre, si on pousse la chose à son paroxysme, on peut parfois se retrouver avec de « simples » archétypes : disque solaire, croissant lunaire, étoile à cinq branches, etc. Ces symboles courants se retrouvent dans les œuvres d’artisans de par le monde, mais aussi sous les doigts d’artistes reconnus (comme Zorio et ses minimalistes Stelle).

Et puis, on peut aussi réfléchir à des concepts célestes, voire s’amuser un peu avec. Dans ce cadre, on retrouve de nombreux travaux sur les Constellations : Arp met en valeur leur côté de regroupement aléatoire, Radisic leur côté sensuel (souvenez-vous des histoires associées, emplies de demoiselles en détresse !), Miró leur côté foisonnant, Vasarely leur composante répétitive.

MalevitchAutre possibilité : le mouvement, associé au ciel par essence même car le Soleil et les étoiles se lèvent tous les jours – les humains, tout auréolés de leur sentiment de supériorité, ne peuvent en dire autant ! Depuis le 20e siècle, le caractère mouvant du cosmos s’est d’ailleurs encore plus affirmé : migration de planètes, évasion stellaire, collisions de galaxies, expansion de l’Univers… Mais comment représenter ce mouvement ? Les réponses varient : Vasarely tente des effets d’optiques (Supernova, série Véga), Calder propose des sphères armillaires en mouvement, Balla et Pollock entremêlent les trajectoires. Enfin, il faut aussi représenter l’espace… De nombreuses expériences seront tentées : certains jouent avec la pesanteur, comme Takis et ses aimants ou Klein et son célèbre saut, d’autres avec la 3e dimension d’une toile qui n’en possède pourtant que deux (Fontana et ses buchi), d’aucuns tentent même de représenter l’infini (Malevitch et ses carrés blancs ou noirs) ou notre lien direct avec le ciel (de nombreuses toiles de Remedios Varo).

vermeerKazimir Malevitch, Carré blanc sur fond blanc
 

Il est également possible de représenter, sinon le ciel, ceux qui l’étudient ! Les œuvres s’insèrent ici dans deux courants principaux. Tout d’abord, la représentation d’un astronome connu, paré de ce qui fait sa renommée (lunette pour Galilée1). La ressemblance avec le modèle peut s’avérer assez lointaine, surtout si l’œuvre est produite bien après la mort du savant, comme pour l’École d’Athènes de Raphaël.

Johannes Vermeer, l'Astronome

 

Ensuite, il existe aussi des portraits d’astronomes « génériques » – homme seul, rêveur et mélancolique, entouré des instruments de son art. Le cas le plus célèbre est celui de l’Astronome de Vermeer, mais il en existe bien d’autres, souvent de la même époque quoiqu’il existe quelques œuvres récentes (dont des toiles ironiques de Delvaux). Une œuvre défie cependant toute classification dans ce cadre : le livre Maximiliana ou l’exercice illégal de l’astronomie, par Max Ernst. En s’identifiant à l’astronome (son parcours, ses problèmes, ses conflits), Ernst propose une véritable démonstration du processus scientifique dans ce livre surréaliste.

galilee vaneyck-détailIl ne faudrait pas oublier l’aide apportée aux astronomes. Si l’astronomie actuelle regorge d’images, les livres astronomiques proposaient au mieux quelques schémas (éclipses, modèle géocentrique, constellations peu réalistes) jusqu’au 17e siècle. C’est alors que Galilée utilisa l’image dans son Sidereus Nuncius pour convaincre, et le procédé fut largement adopté en quelques décennies seulement, avec au final une volonté de réalisme très forte. On voit alors surgir des dessins précis de nébuleuses pour voir si elles varient ou de constellations pour repérer les choses convenablement. Hélas, tous les astronomes n’étaient pas doués pour le dessin : les observatoires engagèrent donc des artistes, pour les aider.

Galilée, Sidereus Nuncius (à gauche)
Van Eyck, Crucifixion (détail) (à droite)

 

Rassurez-vous, ils ne se retrouvèrent pas au chômage au moment de l’invention de la photographie, ils adaptèrent simplement le métier ! Ils produisent désormais des vues d’artistes, qui sont aujourd’hui innombrables : elles illustrent les dernières découvertes, quand l’image n’existe pas – ainsi, les superbes vues exoplanétaires n’ont pas été enregistrées par un instrument, mais proviennent du pinceau et du cerveau des artistes astronomiques !

vanhoeydonckSignalons au passage que les artistes n’ont pas été que de simples « aides » : avant même la révolution scientifique du 17e siècle, et durant celles-ci, ils participèrent à renverser les vues aristotéliciennes. Van Eyck présente ainsi dans sa Crucifixion une Lune imparfaite, avec des taches et un terminateur rugueux ; da Vinci, Pacheco et Cigoli discutent, par toiles interposées, de la lumière cendrée et de la transparence de la Lune.

Pour terminer, signalons qu’il existe des œuvres… dans l’espace ! Embarquées sur des satellites, déposées sur la Lune ou Mars, elles constituent les avant-postes de notre conquête spatiale, une trace indubitablement humaine…

 

Paul van Hoeydonck,
Fallen Astronaut


 

Yaël Nazé
Septembre 2015

 

crayongris2

Yaël Nazé est astrophysicienne, Chargée de recherches FNRS au département AGO de l'ULg.  Elle est également l'auteure de plusieurs ouvrages et publications de vulgarisation scientifique. Elle s'intéresse notamment aux relations entre astrophysique et arts.

 



1 Même si Galilée n’a ni inventé la lunette, ni été le premier à la tourner vers le ciel.
 
Yaël Nazé, Art et Astronomie. Impressions célestes, Paris, Omniscience, 1er octobre 2015.

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