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Art et astronomie. Impressions célestes

21 September 2015
Art et astronomie. Impressions célestes

art et astronomieImaginez une soirée d’été, au moment où l’étouffante chaleur laisse enfin la place à une température parfaite ; allongé, vous vous laissez prendre par le spectacle des étoiles filantes… Imaginez un matin d’hiver, sur le pas de votre porte ; bien emmitouflé, vous ne pouvez résister et jetez un œil à ce ciel noir paré d’étoiles innombrables, dont la lueur cristalline marque déjà votre journée d’un sceau apaisant… Le ciel ne laisse pas indifférent : il peut provoquer une angoisse indicible, un bien-être mâtiné de rêverie, mais aussi une inspiration unique ou une curiosité inépuisable. Selon les époques et les caractères, cela conduit parfois à une vocation d’astronome… ou d’artiste !

100aspectsEn effet, on ne compte plus les œuvres dévoilant un bout de ciel… Bien sûr, celui-ci peut « juste » servir de décor d’arrière-plan, sans grand intérêt. Toutefois, il peut aussi imprégner les toiles d’une ambiance particulière, en ravivant les sentiments – tant positifs que négatifs – qui lui sont associés. La nuit, puisque qu’il faut la nommer, fait peur et sert de paravent à d’innombrables activés répréhensibles mais elle cache aussi le premier baiser des amoureux, apporte le repos, et est la complice de nos rêves. Parmi ces œuvres jouant sur l’ambiance, on peut citer en Orient la classique série des « 100 aspects de la Lune », et en Occident les toiles bleues de Chagall.

100 aspects de la Lune
Childe Hassam,Church

ChildeHassamD’autres artistes décident de tirer le portrait, réaliste, de nos compagnons célestes – Soleil (Munch), Lune (Jin Nong), une étoile esseulée (Childe Hassam, Church), voire des nuits étoilées (Millet, Van Gogh ainsi que, plus récemment, l’hyperréaliste Celmins). Dans certains cas, ce ciel réaliste peut même offrir un éclairage inédit sur l’artiste, l’astronomie devenant alors un outil supplémentaire de l’archéométrie. Ainsi, les détails de la Nuit étoilée de Munch permettent d’affirmer où était le peintre à l’été 1893, la configuration céleste de Route avec Cyprès et ciel étoilé de van Gogh est identifiée comme la conjonction Lune-Vénus-Mercure du 19 avril 1890 tandis que la Comète de 1858 vue des abords de Dartmoor de Palmer montre la conjonction comète-Arcturus du 5 octobre 1858 !

 Jin Hong

JIN-NONG

 

Samuel Palmer, Comète de 1858 vue des abords de DartmoorSamuel Palmer-dartmoor

Munch vanGogh  

Edvard Munch, Soleil - Vincent van Gogh, Route avec Cyprès et ciel étoilé

 

MoreauMuchabouddhaÀ l’opposé, certains préfèrent l’allégorie pure. Il faut dire que les astres étaient des dieux importants, partout dans le monde : les portraits divins (Râ, Hélios, Hamateratsu, Bouddha Tejaprabha) sont donc aussi des portraits célestes ! Mais ce courant personnifiant ne s’est pas arrêté à l’Antiquité ni ne s’est circonscrit au divin. On le retrouve au Moyen-Âge sous les traits plus profanes d’Astronomia, l’allégorie de l’un des enseignements du quadrivium, remplacée ensuite par Uranie, la muse céleste, au retour du classicisme. La tradition s’étend ensuite à la Lune, le Soleil, la Nuit, et même des étoiles (parfois filantes)… Parmi ce courant, particulièrement vivace au 19e siècle, se trouvent plusieurs œuvres célèbres, comme le Phaéton de Moreau, le « cycle de la Lune et des étoiles » de Mucha, ou Night with her train of stars de Hughes.

Hugues

Ci-dessus, de g à d : Gustave Moreau, Phaéton 
Mucha, Lune - Bouddha
 

 

Edward Robert Hugues,
Night with her train of stars
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Delaunay, Formes circulaires - Soleil et Lune

DelaunayIl existe aussi la possibilité de viser la perfection céleste – sphère, cercle, ellipse restent en effet les bases de l’astronomie… Ce sont évidemment les peintres abstraits (comme Kandinsky, Kupka, Delaunay) qui ont le mieux joué avec ces formes pures dans des œuvres colorées, d’une pureté céleste évidente. Cela ne se restreint pas au sphérique : l’œil cubiste de Léger n’a pu résister à la beauté des isocontours cométaires… Dans ce cadre, si on pousse la chose à son paroxysme, on peut parfois se retrouver avec de « simples » archétypes : disque solaire, croissant lunaire, étoile à cinq branches, etc. Ces symboles courants se retrouvent dans les œuvres d’artisans de par le monde, mais aussi sous les doigts d’artistes reconnus (comme Zorio et ses minimalistes Stelle).

Et puis, on peut aussi réfléchir à des concepts célestes, voire s’amuser un peu avec. Dans ce cadre, on retrouve de nombreux travaux sur les Constellations : Arp met en valeur leur côté de regroupement aléatoire, Radisic leur côté sensuel (souvenez-vous des histoires associées, emplies de demoiselles en détresse !), Miró leur côté foisonnant, Vasarely leur composante répétitive.

MalevitchAutre possibilité : le mouvement, associé au ciel par essence même car le Soleil et les étoiles se lèvent tous les jours – les humains, tout auréolés de leur sentiment de supériorité, ne peuvent en dire autant ! Depuis le 20e siècle, le caractère mouvant du cosmos s’est d’ailleurs encore plus affirmé : migration de planètes, évasion stellaire, collisions de galaxies, expansion de l’Univers… Mais comment représenter ce mouvement ? Les réponses varient : Vasarely tente des effets d’optiques (Supernova, série Véga), Calder propose des sphères armillaires en mouvement, Balla et Pollock entremêlent les trajectoires. Enfin, il faut aussi représenter l’espace… De nombreuses expériences seront tentées : certains jouent avec la pesanteur, comme Takis et ses aimants ou Klein et son célèbre saut, d’autres avec la 3e dimension d’une toile qui n’en possède pourtant que deux (Fontana et ses buchi), d’aucuns tentent même de représenter l’infini (Malevitch et ses carrés blancs ou noirs) ou notre lien direct avec le ciel (de nombreuses toiles de Remedios Varo).

vermeerKazimir Malevitch, Carré blanc sur fond blanc
 

Il est également possible de représenter, sinon le ciel, ceux qui l’étudient ! Les œuvres s’insèrent ici dans deux courants principaux. Tout d’abord, la représentation d’un astronome connu, paré de ce qui fait sa renommée (lunette pour Galilée1). La ressemblance avec le modèle peut s’avérer assez lointaine, surtout si l’œuvre est produite bien après la mort du savant, comme pour l’École d’Athènes de Raphaël.

Johannes Vermeer, l'Astronome

 

Ensuite, il existe aussi des portraits d’astronomes « génériques » – homme seul, rêveur et mélancolique, entouré des instruments de son art. Le cas le plus célèbre est celui de l’Astronome de Vermeer, mais il en existe bien d’autres, souvent de la même époque quoiqu’il existe quelques œuvres récentes (dont des toiles ironiques de Delvaux). Une œuvre défie cependant toute classification dans ce cadre : le livre Maximiliana ou l’exercice illégal de l’astronomie, par Max Ernst. En s’identifiant à l’astronome (son parcours, ses problèmes, ses conflits), Ernst propose une véritable démonstration du processus scientifique dans ce livre surréaliste.

galilee vaneyck-détailIl ne faudrait pas oublier l’aide apportée aux astronomes. Si l’astronomie actuelle regorge d’images, les livres astronomiques proposaient au mieux quelques schémas (éclipses, modèle géocentrique, constellations peu réalistes) jusqu’au 17e siècle. C’est alors que Galilée utilisa l’image dans son Sidereus Nuncius pour convaincre, et le procédé fut largement adopté en quelques décennies seulement, avec au final une volonté de réalisme très forte. On voit alors surgir des dessins précis de nébuleuses pour voir si elles varient ou de constellations pour repérer les choses convenablement. Hélas, tous les astronomes n’étaient pas doués pour le dessin : les observatoires engagèrent donc des artistes, pour les aider.

Galilée, Sidereus Nuncius (à gauche)
Van Eyck, Crucifixion (détail) (à droite)

 

Rassurez-vous, ils ne se retrouvèrent pas au chômage au moment de l’invention de la photographie, ils adaptèrent simplement le métier ! Ils produisent désormais des vues d’artistes, qui sont aujourd’hui innombrables : elles illustrent les dernières découvertes, quand l’image n’existe pas – ainsi, les superbes vues exoplanétaires n’ont pas été enregistrées par un instrument, mais proviennent du pinceau et du cerveau des artistes astronomiques !

vanhoeydonckSignalons au passage que les artistes n’ont pas été que de simples « aides » : avant même la révolution scientifique du 17e siècle, et durant celles-ci, ils participèrent à renverser les vues aristotéliciennes. Van Eyck présente ainsi dans sa Crucifixion une Lune imparfaite, avec des taches et un terminateur rugueux ; da Vinci, Pacheco et Cigoli discutent, par toiles interposées, de la lumière cendrée et de la transparence de la Lune.

Pour terminer, signalons qu’il existe des œuvres… dans l’espace ! Embarquées sur des satellites, déposées sur la Lune ou Mars, elles constituent les avant-postes de notre conquête spatiale, une trace indubitablement humaine…

 

Paul van Hoeydonck,
Fallen Astronaut


 

Yaël Nazé
Septembre 2015

 

crayongris2

Yaël Nazé est astrophysicienne, Chargée de recherches FNRS au département AGO de l'ULg.  Elle est également l'auteure de plusieurs ouvrages et publications de vulgarisation scientifique. Elle s'intéresse notamment aux relations entre astrophysique et arts.

 



1 Même si Galilée n’a ni inventé la lunette, ni été le premier à la tourner vers le ciel.
 
Yaël Nazé, Art et Astronomie. Impressions célestes, Paris, Omniscience, 1er octobre 2015.


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