Le 10 septembre 2015, un avant-goût de rentrée a plané sur le site du Sart Tilman. Stands d'information, mini-conférences et performances d'étudiants-artistes... Des activités tout au long de la matinée ont permis aux nouveaux inscrits et aux Erasmus de se familiariser avec le campus et sa vie estudiantine. Les festivités ont surtout été ponctuées par l'inauguration des nouveaux bâtiments à proximité des amphithéâtres de l'Europe, d'un piétonnier et d'une installation artistique mise en place au Musée en plein air.
©Olivier Coroenne
Si la journée du 10 septembre était conviviale, elle a surrtout permis des découvertes en tous genres. L'occasion tout d'abord de découvrir les nouvelles infrastructures de la zone Nord réaménagée au cours de ces dernières années. La réfection a débuté en 2011 avec l'ouverture d'un nouveau restaurant entre les quartiers Agora et Polytech. Elle s'est ensuite poursuivie en 2014 avec la «cafétéria des mathématiques» et s'achève aujourd'hui avec la construction d'un nouveau point d'accueil et des salles de travaux pratiques pour les sciences appliquées. Pour couronner le tout, la zone est désormais traversée par un système d’éclairage intelligent mis au point par SmartNodes, une spin-off de l’ULg. Cet équipement qui s'étend du Trifacultaire aux nouvelles salles de cours du B52 détecte les mouvements et la vitesse de déplacement des piétons mais aussi des cyclistes pour éclairer leur route. Un moyen ingénieux d'effectuer le parcours en toute sécurité.
La découverte de cette nouvelle voie a été suivie de l'inauguration de «36 oliviers pour une œuvre collective», une installation située non loin du rond point Simone-David Constant et acquise très récemment par le Musée en plein air.
Des arbres, un récit commun
Nichées dans l'écrin de verdure du Sart Tilman, ces 36 silhouettes à l'apparence meurtrie interpellent. Au-delà de leur beauté et de leur majesté, elles véhiculent une symbolique forte. Derrière chaque écorce se profile une histoire. Pourtant, c'est la somme de ces troncs centenaires morts qui assoit leur force. Ceux-ci portent la marque du mercantilisme. Ils racontent le déracinement et la souffrance mais incarnent aussi la vie, l'abondance et enfin, la renaissance.
D'abord utilisés en Espagne pour l'exploitation agricole, de vieux oliviers ont été ensuite transportés en Belgique et reconvertis à des fins d'ornementation. «Les oliviers étaient revendus à des particuliers qui désiraient retrouver un air de méditerranée dans leur jardin », explique Bénédicte Maccatory, administratrice de l'asbl Songes impliquée dans le projet à l'origine de leur reconversion en œuvre d'art.
Mais l'hiver 2009 a été rude en Belgique et entraîné la perte de 36 des oliviers centenaires. Les propriétaires de l'exploitation liégeoise ont alors cherché un moyen de les valoriser autrement. L'anthropologue et membre de l'asbl Songes, Guy Massart est allé à leur rencontre. Un face à face qui ne l’a pas laissé indifférent, tant ces troncs tortueux suscitent des émotions enfouies.
Songes décide alors de les racheter pour leur offrir une nouvelle vie. Une nouvelle histoire débute... Le Projet Des racines voit le jour. Il durera jusqu'en 2015.
Photo : Atelier au Musée Curtius le 4 juin 2014 en préparation à l'exposition sur l'esplanade St Léonard.© Olivier Coroenne
Des arbres pour rassembler
Au cours de ces années, une dizaine d'hommes et de femmes venus de divers horizons sociaux et professionnels ont pris part au processus de valorisation artistique des arbres tout en veillant à respecter la démarche de participation citoyenne de l'asbl. « Nous voulions tout d'abord explorer toutes les histoires que ces arbres détiennent en eux et mettre l'accent sur le rapport entre l'humain et le végétal. Ensuite, au regard de la mission originelle de l'asbl, il était primordial de faire en sorte que l'initiative engendre des interactions entre des personnes issues de milieux différents et qu'elle débouche sur des rencontres sur la place publique. Au-delà de leur mort, les arbres ont continué à vivre à travers nos échanges. Il y a quelque chose de fort qui subsiste et qui continue d'agir », assure Bénédicte Maccatory.
À l'été 2014, le pouvoir fédérateur des oliviers a fait ses preuves sur l'esplanade Saint Léonard. Une œuvre collective a été produite à l'issue de deux ateliers collaboratifs mis en place avec l'aide des membres de l'asbl mais aussi de personnes extérieures, notamment des professeurs de l'ULg, des animateurs du CREAM et des personnes handicapées, des jeunes du quartier Saint Léonard et des artistes liégeois. Une petite fête populaire a été organisée pour l'occasion et les participants étaient invités à partager leurs ressentiments sur des petits billets puis à les accrocher sur les branchages.
16 juillet 2014 : Le quartier St Léonard est en effeverscence… beaucoup participent à la fête des oliviers… ©Olivier Coroenne
Un repos bien mérité
Après une halte remarquée à l'esplanade, les arbres plusieurs fois centenaires ont rejoint leur destination finale : la collection du Musée en plein air du Sart Tilman. Grâce aux efforts conjoints de l'asbl et de l'institution muséale, les oliviers sont en quelque sorte parvenus à atteindre l'immortalité en figurant aux côtés des chefs d'œuvre d'un Alechinsky ou d'un Buren. «Intégrer ces souches dans un site naturel aussi riche et varié que celui du Sart Tilman et dans lequel notre musée prend place faisait vraiment sens », explique Stéphanie Reynders, conservatrice du musée.
Arrivée des oliviers au Sart Tilman©Guy Massart
L'installation «36 oliviers pour une œuvre collective» résulte toujours d'une réflexion née de la mobilisation de divers acteurs; journalistes, artistes, anthropologues, professeurs etc. Dans cette optique, il a été décidé que le lot d'arbres serait exposé sans être soumis à quelconque altération ou technique de conservation. À terme, la nature pourrait reprendre ses droits et l'œuvre serait susceptible de changer de visage. «L'idée de départ était d'implanter ces souches, de les surveiller et d'espérer une renaissance mais au fond, de les laisser "en paix". Cela rejoint la démarche de plusieurs artistes ayant intégré des œuvres en plein air et qui désiraient que leur réalisation évolue, qu'elle se modifie d'elle-même au fil du temps et des intempéries », poursuit Stéphanie Reynders. «Les oliviers resteront sur le site le plus longtemps possible et nous espérons de tout cœur ne jamais devoir les enlever », conclut-elle.
Ces arbres et leur récit en ont inspiré plus d'un si bien que d'autres acteurs comme la Ville et la Province de Liège ou encore les cinémas Les Grignoux se sont ralliés au projet Des Racines. Ces partenariats ont donné naissance à des manifestations culturelles et des productions artistiques en tous genres. Exposition photos, musique, projection vidéo, dégustation d'huile d'olive et de plats méditerranéens...
Marjorie Ranieri
Août 2015
Marjorie Ranieri est journaliste indépendante