Lectures 2015 - Focus : Polars, thrillers et romans noirs

konateMoussa Konaté, L’affaire des coupeurs de têtes

À Kita, à trois jours d’intervalle, trois mendiants sont retrouvés décapités. Un ou deux autres vont suivre. Rencontrés dans Meurtres à Tombouctou (réédité en poche), le commissaire Habib, dont c’est la ville natale (ainsi que celle de l’auteur), et son adjoint Sosso, un Bambara (ce qui n’est pas sans importance), sont envoyés en renfort du commissaire local dépassé par la situation. D’autant plus qu’une partie de la population en appelle à l’esprit des ancêtres. Pour eux, le coupable, c’est l’argent-roi et la «dérive» de la cité qui déplaît aux esprits auxquels, après avoir reconnu ses torts, il faut présenter ses excuses. Le policier navigue entre cet irrationnel qui finit par toucher presque toutes les couches de la population, mais qu’il ne veut pas heurter car il en connaît bien la prégnance, et son enquête, nettement plus prosaïque. Dans ce livre plein d’humour et de sagesse, où il est notamment question du pouvoir sexuel des bananes, on croise toute une série de personnages admirablement croqués, un fou et son coupe-coupe, sorte de coupable idéal, quelques notables affairistes et autres figures locales. Avec ce dernier ouvrage de l’écrivain malien mort en 2013, à l’écriture presque feutrée, on est très très loin de l’univers oppressant et terrifiant des polars et thrillers actuels. C’est presque un roman à l’ancienne, et c’est bien agréable aussi. (Métailié noir)

 

KharaDavid Khara, Une nuit éternelle

Werner von Lowinsky est né en 1812 à New-York où son père, un Prussien émigré avec sa femme française, avait créé une usine d’armements extrêmement prospère. Deux siècles plus tard, devenu un vampire désespérant de ne pouvoir «renouer avec les humains», il surfe avec frénésie sur le Net, de sites de rencontres en forums de discussion. C’est là qu’il a fait la connaissance de Barry Donavan, policier newyorkais trentenaire qui a perdu sa femme infirmière ainsi que sa fille dans les attentats du 11 Septembre. Une amitié va naître entre les deux hommes, racontée dans Les vestiges de l’aube (10/18) dont Une nuit éternelle est la suite chronologique. Le roman s’ouvre sur deux événements apparemment sans liens entre eux. En 1863, sur un champ de bataille de la Guerre de Sécession américaine, un officier sudiste échoue dans sa tentative de capturer un certain… Werner von Lowinsky. Et, en 2003, sont retrouvés égorgés un pasteur, ancien boxeur réputé, et son fils. La main gauche de l’homme est introuvable. Sur ce qui semble être l’arme du crime, une courte épée, on retrouve les traces d’un ex-toxicomane dont la victime s’occupait dans une institution appelée Le Possible Pardon. Dovanan se lance dans une enquête qui va s’avérer peu banale. Et au cours de laquelle son ami vampire ne reste pas inactif, au contraire, tentant de l’aider en usant de ses pouvoirs. Tout en devant affronter des personnages issus de son passé prêts à tout pour arriver à leurs fins. Instillant une dimension fantastique dans son cadre réaliste, David Khara tient fermement les rênes d’un suspense captivant où il sera notamment question des chevaliers maudits de l’Ordre du Temple et du sens caché du Requiem de Mozart. (Fleuve Noir)

 

SausseyJacques Saussey, La Pieuvre

La Pieuvre du titre, c’est la mafia. Au début des années 90, un juge français qui la combattait a été assassiné. Mais sa culpabilité n’a jamais pu être prouvée. Or, vingt ans plus tard, un coursier est abattu avec la même arme. Quel est le lien entre les deux meurtres? L’enquête est confiée au capitaine Daniel Magne dont la compagne, Lisa, également dans la police, n’est autre que la propre fille du juge anti-mafia. Il faut éviter qu’elle apprenne que la pieuvre s’est réveillée. Heureusement, la jeune femme n’est pas à Paris. Elle a en effet été appelée dans le sud de la France au chevet de sa mère moribonde qui l’a abandonnée lorsqu’elle avait 8 ans et qu’elle ne connait donc pas. Sur place, elle découvre un inattendu et terrible secret de famille. Pendant ce temps, son amoureux se plonge dans des vieux dossiers du juge. Et un autre homme est retrouvé égorgée. D’autres personnes subiront le même sort, liées soit à Lisa et à son père, soit à la société à laquelle appartenait le coursier gérée par un personnage extrêmement douteux. Ces différentes pistes vont conduire les protagonistes en Suisse, dans un chalet dont a hérité Lisa. La savante construction de ce thriller exige du lecteur une attention particulière. En effet, les deux événements – la descente de Lisa dans le sud et la mort du coursier – se passent à une semaine d’intervalle mais, racontés en alternance, ils peuvent sembler contemporains. Et tous deux se dirigent vers un mystérieux Jour J. (Toucan Noir)

 

PennyLouise Penny, Enterrez vos morts

C’est toujours avec le même plaisir que l’on retrouve l’inspecteur-chef Armand Gamache que la Canadienne Louise Penny fait vivre à travers des enquêtes, dont celle-ci, couronnée par de nombreux prix et best-seller international, est l’une des plus riches et captivantes. En convalescence chez un ami à Québec, ville qui s’apprête à fêter le carnaval sous la neige, le policier renvoie son collègue Beaulieu à Three Pines pour éclaircir certains points de leur dernière enquête (racontée dans le précédent épisode, Révélation brutale) dont il commence à douter des conclusions qui ont abouti à la condamnation du présumé coupable à dix ans de prison. Ce passionné d’Histoire en profite pour passer ses journées à la Literary and Historical Society, une bibliothèque anglophone. Et c’est justement dans son sous-sol qu’est découvert le cadavre d’un archéologue amateur qui y recherchait la sépulture de Samuel de Champlain, le fondateur de la ville. Il n’en faut pas plus pour pousser l’inspecteur à partir, à son tour, quatre siècles plus tôt sur les rives du Saint-Laurent. Ce voyage dans le passé permet aussi à la romancière anglophone née à Toronto en 1958, dont le héros est francophone et a fait ses études en Angleterre, de parler des relations entre les deux communautés linguistiques dans la Belle Province et de l’identité québécoise. Il se dégage de ses livres un charme certain. Un charme un peu «vieille Angleterre» qui la distingue de son confères et consœurs sur le terrain policier. (Traduit de l’anglais par Claire et Louise Chabalier, Actes Sud actes noirs)

 

MazaAro Sáinz de la Maza, Le Bourreau de Gaudí

Magnifiée par Eduardo Mendoza ou Manuel Montalban, Barcelone est au centre de cette haletante course-poursuite de quelque 650 pages. De même que l’architecte Antoni Gaudí, figure emblématique de la capitale catalane. C’est au balcon de l’un de ses plus fameux immeubles, la Pedrera, qu’un homme en flamme est retrouvé pendu. Filmé par son meurtrier, le voici sur Internet. L’enquête est confiée à l’imprévisible Milo Manart, pourtant mis sur la touche depuis une altercation avec son supérieur, flanqué d’une équipière fascinée par les séries américaines. D’autres meurtres de notables sont perpétrés, tous en lien avec l’artisan de la Sagrada Familia. C’est donc le génie créateur de cet artiste que magnifie ce polar qui permet à son auteur, Aro Sáinz de la Maza, de méchamment écorner l’image de sa ville natale avec ses scandales financiers et politiques, une corruption endémique, ses activités bancaires douteuses, etc. Mais c’est l’Espagne elle-même qui est disséquée dans cette après-crise de 2008 qui l’a projetée dans une situation économique cruciale. À cela vient s’ajouter l’histoire toujours mystérieuse des francs-maçons, à quelques jours d’une visite papale. (Traduit de l’espagnol par Serge Mestre, Babel Noir)

 

 

 

KellyErin Kelly, Un feu dans la nuit

Une jeune femme disparaît avec le bébé qu’elle gardait en l’absence de ses parents. L’a-t-elle enlevé? Ont-ils été tous deux enlevés? La famille de l’enfant s’inquiète, se pose des questions sur cette femme qui était la petite amie de l’un de ses membres mais que, finalement, personne ne connaissait très bien. Le point de départ d’Un feu dans la nuit n’est pas vraiment original. Ce qui l’est davantage, c’est sa construction. Car au lieu d’embrayer sur les recherches, donc sur le suspense lui-même, l’auteure britannique change de point de vue et remonte dans le temps. Prend ainsi la parole un certain Darcy dont la mère voulait faire un «autre que moi réussi». Et dont la route, adolescent, a croisé celle des MacBride, ce qui nous amène à connaître l’enfance des différents personnages découverts adultes. Mais aussi à rencontrer leur mère, Lydia, qui tenait un journal et dont la mort a ouvert le roman. Darcy fait le récit de toutes ces années et raconte ses ruses pour parvenir à assouvir une mystérieuse vengeance. Jusqu’à revenir à la disparition initiale et à la résolution du mystère. C’est parfois un peu bavard mais habile et intrigant. (Traduit de l’anglais par Éva Roques, JC Lattès)

 

Michel Paquot
Juin 2015

 

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

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