Lectures 2015 - Focus : Polars, thrillers et romans noirs

quintMichel Quint, J’existe à peine

Michel Quint est originaire de la région lilloise, où il vit toujours, et cette identité, il ne cesse de la revendiquer en y situant la plupart de ses livres. Dans ce nouveau roman, un an après En dépit des étoiles, fascinante errance dans le Vieux Lille à la suite de la disparition d’un jeune joueur de foot, l’auteur d’Effroyables jardins s’éloigne de quelques kilomètres jusque Wattrelos, petite ville limitrophe de la Belgique. Le narrateur est un comédien de deuxième ordre méprisé par ses pairs parce qu’il monte des spectacles inspirés de faits divers sanguinolents, un genre qu’il qualifie de «populaire à sensations» où il tient quasiment tous les rôles. Esseulé suite à un accident survenu dans sa troupe, il revient sur sa terre natale. Il y retrouve un prêtre qu’il a bien connu jadis qui lui propose de mettre en scène une crèche vivante. Il découvre un territoire en déshérence sociale depuis la fermeture de la Lainière dont les reliques sont désormais entreposées dans un Musée des Arts et Traditions. C’est là qu’il crée son nouveau spectacle, le couronnement d’Élisabeth II, destiné aux anciens de la Lainière. Mais bientôt vont s’inviter deux autres projets: un troisième spectacle sur un hold-up survenu dans un tram en mai 68 et une quête d’un genre très différent, celle de sa mère qu’il n’a jamais vraiment connue. Résumer la trame d’un livre de Michel Quint n’est pas lui rendre totalement justice car, en plus de l’histoire elle-même, toujours très structurée et prenante (l’auteur vient du polar) et des personnages très construits, solidement ancrés dans un lieu et une époque, il y a le style, fondamental. Une écriture charnelle qui agrippe le lecteur au col et le traîne dans des intrigues à forte dimension sociale. (Héloïse d’Ormesson)

 

bettoniLaurent Bettoni, Mauvais garçon

Thomas en est convaincu: «bientôt, les années noires ne seront plus qu’un souvenir». Adieu la cité des Pléiades, sa misère, sa crasse, ses glandeurs, adieu le deal auquel il s’adonne pour avoir un peu d’argent à lui, adieu aussi sa famille au sein de laquelle il étouffe, son frère qui file un très mauvais coton, Malika sa copine dont les frères ne lui veulent pas que du bien. Car c’est sûr, le poste de directeur créé dans la boîte où il a fait son stage, c’est pour lui. Douche froide : le job est attribué à un «nul», un «usurpateur» mais fils d’une huile locale. Le jeune homme en colère est alors recruté par un ancien professeur, qu’il admire énormément, pour l’épauler dans une entreprise aussi ambitieuse que secrète : écrire sur un site, Ideo, qui prône une révolution des esprits et des pratiques par le haut, en faisant l’apologie de la méritocratie, en récompensant l’intelligence, le talent, l’excellence. Exit donc les pistonnés et les incapables, mais aussi les «parasites» et les «assistés», ce qui ne manque pas de troubler la fibre sociale et de gauche de Thomas peu à l’aise avec des idées flirtant avec des thèses fascistes. D’autant que ce site se trouve sur le Darknet, cette face sombre d’Internet où n’entre pas qui veut. Très vite, les choses vont prendre une tournure dramatique, entraînant le jeune homme idéaliste dans une spirale diabolique qu’il aura de plus en plus de mal à contrôler. (Don Quichotte)

 

indridasonArnaldur Indridason, Les Nuits de Reykjavik

Un prequel (ou, francisé, une préquelle) raconte des événements antérieurs au récit initial, souvent le passé des personnages. Si la BD en abonde (la Jeunesse de Blueberry, Kid Lucky, Le P’tit Spirou, Louis Ferchot, P’tits Bob et Bobette…), la littérature y a aussi parfois recours pour expliquer comment s’est forgé le héros.

Ainsi, après avoir écrit une douzaine d’enquêtes d’Erlendur, Arnaldur Indridason, le plus célèbre auteur de polars islandais, raconte les débuts de son commissaire dans Les nuits de Reykjavik. Né dans le nord de l’île et arrivé enfant dans la capitale islandaise, celui qui reste marqué par la mort de son frère est attaché aux patrouilles de nuit. Où il fait déjà preuve d’un tempérament indépendant et opiniâtre. Il refuse en effet d’accepter que la mort par noyade d’un SDF soit accidentelle. Et que l’on ne recherche plus la jeune femme qui s’est volatilisée une nuit en rentrant chez elle. Interrogeant les sans-abris qui ont croisé la victime ainsi que les proches de la disparue, il va bien sûr parvenir à relier ces deux enquêtes. Cette intrigue excellemment construite fait en outre découvrir au lecteur Reykjavik qui en est le décor. (Traduit par Éric Boury, Métailié)

 

MussoGuillaume Musso, L’instant présent

Arthur, célibataire de 25 ans, urgentiste dans un hôpital de Boston, hérite d’une petite maison reliée à un ancien phare sur la côte est des États-Unis, achetée en 1954 par son grand-père. Qui, alors qu’il y faisait des travaux, a soudainement disparu sans laisser de traces. En acceptant ce legs, le jeune homme s’engage à ne pas pénétrer dans une pièce jadis murée par son père. Il rompt sa promesse, bien sûr, et, après de longs efforts, parvient à en ouvrir la lourde porte en fer. Et… Le jeune homme va faire la connaissance de Lisa, une apprentie comédienne de 20 ans, d’une manière, disons, intrusive. Et sans comprendre comment, il va vivre à New-York vingt-quatre jours qui vont passer comme vingt-quatre ans. Ou l’inverse, «visitant» successivement les multiples boroughs de la métropole américaine, de Manhattan au Queens, du Bronx à Staten Island – avec un crochet par Paris. Le phare de Cap Cod existe vraiment. Il fait partie des biens nationaux que l’État américain a vendus après la Deuxième Guerre mondiale. Avec ce roman, Musso donne vie à une envie ancienne: raconter en plusieurs tableaux l’histoire d’un couple qui ne se verrait qu’un seul jour par an. Une histoire qui, finalement, ressemble par bien des aspects à celle d’un couple ordinaire: la rencontre, les premiers émois, les hésitations, les enfants, les crises de jalousie, les engueulades, les tentatives pour faire durer l’amour… (XO Éditions)

 

BelloAntoine Bello, Les producteurs

Après Les Falsificateurs (2007) et Les Éclaireurs (2009), l’aventure éditoriale imaginée par le Français Antoine Bello, ancien créateur d’entreprises installé à New York, trouve son terme avec ce troisième volet. Une entreprise ambitieuse tant par son ampleur (quelque 1500 pages) que par son propos puisqu’elle pose la question de l’écriture de l’Histoire, de la manipulation, des théories du complot, de la fabrication des images, de la distorsion de la réalité, etc. Ce triptyque met en scène, dans les années 1990-2000, une organisation secrète mondiale, le CFR (Consortium de Falsification du Réel), dont les membres, de toutes nationalités, inventent des scénarios pour ensuite les installer dans la réalité en créant de fausses sources ou en modifiant les documents existants. Par exemple, si l’un d’eux invente une ville, il doit aussi créer une association culturelle liée à cette ville, donner des noms à ses habitants, etc. Chaque dossier comprend donc deux parties, «scénario» et «falsification». Il est dès lors quasi impossible de savoir si tel événement historique – le premier pas sur la lune, par exemple – a réellement eu lieu ou ne relève que de l’affabulation. Le héros, le géographe islandais Sliv Dartunghuver, se pose des questions quant à la finalité du CFR. Ce qui ne l’empêche pas, au cours des deux premiers tomes, d’en être un membre actif, proposant des scénarios et réformes, tout en veillant à ce que ses activités conservent une certaine légalité. Certaines sont limites. En 2003, par exemple, pour justifier son intervention en Irak, l’administration Bush a avancé l’existence d’armes de destruction massive en se basant sur certains documents qui semblent avoir été fabriqués par l’organisation. Qui, elle, se sent coupable d’avoir attisé l’antiaméricanisme de groupuscules islamistes dans les années 1990. Tout cela est raconté dans les deux premiers tomes. Peut-être d’ailleurs Bello en serait-il resté là (il a écrit trois autres romans dans l’intervalle) si les réseaux sociaux n’avaient pas pris une telle ampleur. En effet, face à leur pouvoir manipulateur, leur capacité à créer des rumeurs, à inventer ou falsifier des réalités, de quelle latitude dispose encore le CFR ? C’est la question soulevée ici sur fond d’élection d’Obama à la Maison blanche. Doublée d’une autre: certaines fins louables (par exemple l’alerte sur les dangers provoqués par le réchauffement climatique) justifient-elles le recours à des moyens qui le sont moins, à des travestissements de la réalité ? (Gallimard)

 

SansonIan Sanson, Le mystère des livres disparus et J.J. Murphy, Le cercle des plumes assassines

Le point commun entre ces deux livres, outre que ce sont des enquêtes, est leur dimension humoristique. On rit de bonne grâce plus qu’on ne frémit à leur lecture, chacun des auteurs témoignant un esprit blagueur et facétieux qui fait merveille. Le mystère des livres disparus débute mal pour son héros, Israël Armstrong, un Anglais fou de livres et végétarien, fatigué par le long voyage qui l’a conduit de son île natale à sa voisine nord-irlandaise : la bibliothèque de la ville de Tumdrum, où un emploi était censé l’attendre, est fermée sine die. Pour qu’il accepte, bien à contrecœur, le plan B, la conduite du bibliobus, enfin du «centre de documentation itinérant», à travers la verdoyante mais néanmoins pluvieuses Irlande, il lui faut se souvenir ne plus avoir un sou vaillant devant lui. Il y pense d’autant plus que le véhicule censé apporter la lecture aux populations isolées est une «épave» abandonnée dans une grange, recouverte d’une bâche décorée de fientes de poules. Cette déconvenue n’est que peccadille au regard de celles qui l’attendent. Car les populations quelque peu rustiques visitées sont bien peu portées sur les joies de la lecture. Et quand sa supérieure, une Irlando-chinoise, le charge de retrouver les 15000 bouquins volatilisés, il se dit qu’il aurait peut-être mieux fait de louper le ferry qui l’a amené sur cette terre maudite. (Traduit de l’anglais par Dominique Chevallier, Hoëbeke)

MurphyL’héroïne du Cercle des plumes assassines, la poète et critique à la dent dure Dorothy Parker, a bien existé, de même que la Table Ronde de l’Algonquin qui, dans les années 1920, rassemblait des écrivains et acteurs américains dans l’hôtel newyorkais du même nom. Au début du roman, sous ladite table, la jeune femme découvre un homme poignardé en plein cœur. Les premiers soupçons se portent sur un jeune et timide écrivain en devenir, William Faulkner, qui, attendant son idole dans le hall de l’hôtel, aurait aperçu un individu louche. Afin de le sortir l’infortuné «Teckel» des griffes du redoutable inspecteur O’Ranningan, la journaliste de Vanity Fair le cache d’abord chez elle. Puis, aidée par son ami écrivain Robert Benchley (le savoureux auteur de L’expédition polaire à bicyclette et de Psychologie du pingouin), elle va chercher à savoir qui est venu perturber leurs rituelles réunions. Gangsters et stars de l’écran, personnages réels et fictifs viennent habiller cette intrigue menée tambour-battant. L’intelligence de l’auteur est d’avoir trouvé, dans ce qui est devenu une série, un ton qui aurait parfaitement convenu à son héroïne: une suite de dialogues vifs, concis, incisifs, désobligeants, à l’humour décalé et acide, donnant à son roman une dimension théâtrale tout à fait réussie. (Traduit de l’américain par Hélène Collon Baker Street)

 

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