Lectures 2015 - Focus : Polars, thrillers et romans noirs

SlocombeRomain Slocombe, Avis à mon exécuteur

Romain Slocombe aime les histoires à deux niveaux, qui s’emboîtent l’une dans l’autre, afin de brouiller la frontière entre réalité et fiction. Avis à mon exécuteur est présenté comme un texte trouvé dans une poubelle par un libraire de Lausanne. Le personnage principal en est Victor Krebnitsky (décalque romanesque du vrai Walter Krivitsky) que l’on suit durant les quelques années au cours desquelles il sert fidèlement la cause de Staline. Mais progressivement des doutes s’insinuent en lui quant à la validité de son combat et sur le chef du Kremlin lui-même. Il refuse néanmoins de faire défection, persuadé que «l’URSS demeure le seul espoir des travailleurs du monde». L’assassinat de son ami d’enfance Ignace Reiss qui, après l’avoir mis en garde, a publiquement démissionné, et qu’il n’a pas réussi à protéger, l’amène à franchir le pas fin 1937. Il publie dans la foulée J’étais agent de Staline. Avant d’être retrouvé «suicidé» dans une chambre d’un hôtel de Washington en février 1941. Cet homme était en effet au courant des plus grands secrets soviétiques : les activités répressives du NKVD en Espagne contre les socialistes et les anarchistes, les purges de Moscou ou les préparatifs du pacte germano-soviétique. Dans ce roman, on apprend différentes choses peu connues sur Staline : le vol du trésor de la banque d’Espagne dont il est l’auteur, qu’il aurait été dans sa jeunesse un informateur de la police tsariste, qu’il a utilisé des officiers tsaristes réfugiés en France pour exécuter des communistes «déviants» ou qu’il aurait été la cible d’un complot ourdi par des officiers supérieurs de l’Armée rouge, qui ont ensuite été exécutés sans jugement. (Robert Laffont)

 

LeonDonna Leon, L’inconnu du Grand Canal

Dans le paysage du roman policier actuel, le commissaire à la questure de Venise Guido Brunetti fait figure d’exception. Il n’est ni dépressif, ni alcoolique, ni solitaire, ni divorcé, ni en conflit avec sa fille. Il a une vie sentimentale, intellectuelle, culturelle et professionnelle saine, il aime sa femme et ses deux enfants, il mange bien, dort bien. Il lit Tacite et Cicéron. Et il boit un peu, car les Italiens aiment boire. Dans sa vie privée, il est donc heureux, ce qui compense sa vie professionnelle parfois terrifiante. Car, par sa profession, il est confronté à une humanité différente, celle des marges, de l’illégalité, de la noirceur. Au début de cette nouvelle enquête, un homme est repêché avec trois coups de couteau dans le dos. Ce qui frappe d’emblée Brunetti, c’est son cou. Ou plus exactement son absence de cou, une colonne de chair descendant d’un bloc des oreilles aux épaules. L’individu est atteint d’une maladie très rare dite de Madelung. C’est ce profil hors normes qui va lui permettre de retrouver sa trace. Ainsi que celle de sa femme, dont il s’était récemment séparé. Mais surtout de l’abattoir où ce vétérinaire travaillait deux jours par semaine. Persévérant, le commissaire va mettre au jour des pratiques d’autant plus condamnables que dangereuses pour la santé. (Traduit de l’américain par William Olivier Desmond, Calmann-Lévy).

 

 

Bourgoin1Stéphane Bourgoin, Serial Killers, Qui a tué le Dahlia Noir? et La bible du crime

Plus de 1000 pages! Serial Killers. Enquête mondiale sur les tueurs en série, dont paraît l’édition «définitive», est le fruit de plusieurs décennies de «cohabitation» entre Stéphane Bourgoin et les pires criminels qui soient. Cette somme, qui reprend des longues interviews de ces hommes à l’allure de bons pères de famille, dévoile le «mécanisme» du tueur, son profil psychologique, son mode opératoire, sa détection et la traque jusqu’à son arrestation. C’est suite à l’assassinat de sa femme à Los Angeles par l’un d’eux dans les années 1970, que l’auteur a commencé à s’intéresser aux tueurs en séries. À cette époque, ni le mot ni le concept n’existe et aucune étude n’a été faite sur ce sujet. Aidé par le policier qui a enquêté sur le meurtre de sa femme, il mène ses propres recherches, ce qui lui permet de rencontrer des criminels récidivistes. Il en verra 77 très différents les uns des autres mais tous animés par une volonté de toute-puissance, le désir de devenir «l’égal de Dieu». Comme ils ont une piètre opinion d’eux-mêmes, ils veulent être reconnus pour leur «œuvre». Tout en évitant de se faire prendre. (Grasset)

Bourgoin3Bourgoin2En janvier 1947, le corps d’Elizabeth Short, dit le Dahlia Noir, est découvert coupé en deux dans un terrain vague. Le criminel n’a jamais été retrouvé. Cette affaire a donné lieu en 1987 au célèbre livre de James Ellroy adapté au cinéma par Brian De Palma en 2006. Dans Qui a tué le Dahlia Noir ?, Stéphane Bourgoin reprend l’affaire à zéro, dévoilant notamment pour la première fois au monde son rapport d’autopsie. Sans prétendre détenir à 100% la vérité, montrant d’ailleurs les éléments qui ne collent pas avec ses hypothèses. Mais il a établi un énorme faisceau de présomptions visant le même individu qu’il accuse de vingt autres crimes entre 1934 et 1950. Trois profiler du FBI ont d’ailleurs validé sa théorie. (Ring)

Dans le même ordre d’idée, paraît chez Points, réactualisé, Le livre rouge de Jack L’éventreur. Contestant son identification récente par l’ADN (trouvé sur un châle ramassé sur le lieu d’un crime), le criminologue revient à la réalité des faits pour dénoncer les accusations «ridicules» (plus de 500) et les légendes colportées depuis 1888.

Enfin, Stéphane Bourgoin vient de publier une éphéméride un peu particulière. Présenté comme un agenda universel, La bible du crime recense, pour chaque jour, du 1er janvier au 31 décembre, un fait criminel (un meurtre, des aveux, une arrestation, une exécution…) qui a eu lieu quelque part dans le monde au cours de ces derniers siècles. La date la plus ancienne est la décapitation du prévôt de Paris le 1er juillet 1413 et l’une des plus récentes, le 15 juillet 2014, jour où le cinéaste belge de l’absurde, Jean-Jacques Rousseau, est mort après s’être fait renverser par une voiture à Courcelles. Chacun peut ainsi découvrir de quelle tâche sanglante est imprégné le jour de sa naissance (mais pas la date, à moins d’un coup de bol inouï). Chaque fait divers est plus ou moins longuement commenté. On apprend par exemple que le film de Francis Girod, Le trio infernal, est basée sur l’histoire du tueur en série français Georges Sarret, guillotiné en place publique le 10 avril 1934. Outre un intérêt sociologique et criminologique, ces 365 histoires viennent rappeler que, souvent, la réalité dépasse la fiction. (La Martinière)

 

berenboomAlain Berenboom, La fortune Gutmeyer

Deux ans après Monsieur Optimiste, couronné par le Prix Rossel, Alain Berenboom revient pour la quatrième fois à son personnage fétiche, Michel Van Loo, après Périls en ce royaume, Le roi du Congo et La recette du pigeon à l’italienne. Chargé par la frémissante épouse d’un diplomate français de découvrir qui, sous l’identité de son père, juif tchécoslovaque mort au camp de Terezin, a retiré d’une banque suisse la fortune devant lui revenir, ce détective privé bruxellois se retrouve en Israël. Pas pour faire du tourisme, d’autant plus qu’il se sent amputé d’une partie de lui-même lorsqu’il s’éloigne du café de la place des Bienfaiteurs où l’on sert la meilleure gueuze-grenadine du monde. Mais parce que plusieurs pistes y mènent. Et puis, c’est ça ou la prison, la police l’ayant dans son collimateur. Cette nouvelle enquête, que l’on dévore avec un constant sourire aux lèvres, tourne autour de ce jeune État qu’à coups de remèdes médicamenteux soutient le pharmacien Hubert, juif polonais vaguement inspiré du père de l’auteur. Tout en risquant de faire vaciller l’amitié qui le lie à Van Loo soucieux du sort des Arabes chassés de leurs terres par les nouveaux arrivants. (Genèse Éditions)

 

ThoraninssonAri Thorarinsson, L’ombre des chats

Un double suicide par ordinateur, un bout de pénis offert dans un bocal comme cadeau de mariage à deux femmes, un homme violemment agressé à Reykjavik: le journaliste Einar, qui reçoit des SMS obscènes bourrés de fautes d’orthographe, voudrait comprendre le pourquoi de tout cela. Tout en enquêtant dans les milieux de la politique. Sur fond de crise bancaire et de ses conséquences sur le citoyen, Ari Thorarinsson, le plus célèbre auteur de polars islandais avec Arnaldur Indridason, donne à lire un roman noir extrêmement actuel, porte ouverte sur un pays que l’on ne cesse de découvrir grâce à sa littérature. (Traduit de l’islandais par Éric Boury, Métailié)

 

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