Lectures 2015 - Focus : Polars, thrillers et romans noirs

Parutions diverses

NicholsonPhilippe Nicholson, Extramuros

Dans un futur assez proche, profitant de la crise économique qui touche une majorité de pays, les entreprises ont pris le pouvoir. Elles ont formé des zones d’affaires protégées par de hauts murs électrifiés tandis qu’en ces temps de fortes chaleurs et de pénuries d’électricité, le reste de la population survit comme elle peut. Ces états-entreprises sont devenues plus puissantes que les pays. Filmée par des drones américains, une armada de navires – porte-containers, pétroliers, gaziers… –  s’apprête, au nom de l’un d’eux, à coloniser le Nord de l’Espagne pour, après avoir expulsé – en les dédommageant – les populations locales, y établir son nouveau territoire, Evergreen. Avec la complicité du pays concerné qui parle d’une «opération pacifique», «bénéfique pour l’avenir de la région, de l’Espagne et de toute l’Europe». Max, le héros qui vit avec sa mère en Irlande dans l’une de ces zones protégées, se trouve chez son père à Marseille. De jour comme de nuit, il filme tout ce qu’il voit dans cette ville hors-zone : un bus qui tombe en panne, des ambulances rouillant sur le parking d’un hôpital, des enfants fouillant dans des bennes en quête de biens de première nécessité, etc. Pour une personne qui vit bien, dix restent en effet sur le carreau, c’est le ratio, une loi physique. Mais, la résistance s’organise. Le jeune homme décide de suivre Flynn, l’un de ces résistants. A-t-il fait le bon choix? On a du mal à considérer cet excellent thriller géopolitique comme un livre totalement d’anticipation tant certains éléments développés sont déjà en germe aujourd’hui, quand on voit le pouvoir que prennent certaines multinationales imposant leurs lois aux États. Ancien journaliste, Philippe Nicholson est très convainquant de bout en bout, sans jamais relâcher la pression. Et c’est bien cela qui est inquiétant. (Kero)

 

Thilliez1 Thilliez2Franck Thilliez [Angor] et Pandemia

Près de Compiègne, sous un arbre déraciné par une tempête, la police découvre une jeune fille quasi aveugle errant dans un réseau de salles. Ces caves mènent à un bunker situé au fond du jardin d’une maison isolée dont le mystérieux locataire n’a plus donné signe de vie depuis des mois. C’est à Sharko qu’est confiée l’enquête, tandis que sa compagne, Lucie, pouponne leurs jumeaux nouveau-nés. Devrait, du moins, car elle ne peut s’empêcher de mettre son nez dans cette affaire aux contours de plus en plus macabres. Pendant ce temps, Camille, une adjudante d’une trentaine d’années, tente de retrouver l’identité de celui ou celle dont elle porte le cœur. Car, depuis la greffe, près d’un an auparavant, les mêmes images reviennent régulièrement, celles d’une jeune fille lui demandant de l’aide. Les deux trames vont se rencontrer, envoyant les personnages aux confins de l’horreur, de la vie et de la planète.

Quelques mois après [Angor], Franck Tilliez publie Pandemia qui en reprend certains éléments, mais les deux romans peuvnet être lus indépendamment. Trois cygnes sauvages venus de l’Est sont retrouvés morts dans le parc du Marquenterre en Baie de Somme. Dans d’autres réserves européennes les corps de plusieurs dizaines d’oiseaux migrateurs sont découverts sans vie. Tous sont passés par l’île Rügen, dans la mer Baltique, où les cadavres forment trois cercles concentriques. Le virus qui les a tués est inconnu. En charge du dossier, deux microbiologistes de l’Institut Pasteur de Paris, Amandine et Johan, reçoivent un virus semblable prélevé chez un humain atteint de la grippe. Mais ce virus ne correspond à aucun sous-groupe connu de cette maladie. Et bientôt, c’est un autre homme qui manifeste les mêmes symptômes. Leur point commun: ils ont tous deux pris le repas de midi, le même jour, au restaurant du Palais de Justice, bâtiment mitoyen du 36 quai des Orfèvres, les locaux de la Police judiciaire où travaillent… Lucie Hennebelle et Sharko.

Les héros récurrents de l’auteur de GATACA sont en train d’enquêter sur des meurtres et disparitions qui les conduisent dans deux «sous-sols»: l’un physique, les égouts de Paris, l’autre technologique, le Darknet, le monde souterrain d’Internet où tout est permis: la pédophilie, les trafics en tous genres, la commande de meurtres et autres déviances. Les scientifiques et les policiers vont se retrouver autour de mêmes questions : par qui et comment le virus a-t-il été introduit dans le restaurant ? Et dans quel but ? Le résultat est bluffant. Et particulièrement inquiétant car on s’aperçoit qu’il n’est finalement pas tellement compliqué, pour des individus animés d’intentions criminelles, de répandre une pandémie. Même dans les pays industrialisés où le système de protection sanitaire est performant. Et si les microbes étaient mortels, cela provoquerait une hécatombe mondiale. (Fleuve noir)

 

BussiMichel Bussi, Gravé dans le sable et Maman a tort

Gravé dans le sable est le premier thriller de Michel Bussi (Un avion sans elle, Ne lâche pas ma main, N’oubliez jamais) publié une première fois chez un éditeur normand en 2007 sous le titre d’Omaha Crimes. Le 6 juin 1944, des rangers tirent au sort l’ordre de sortie pour aller déposer des explosifs au pied de la falaise face à laquelle ils vont débarquer. Lucky accepte d’échanger son numéro avec le 4 pioché par un soldat poltron, ce qui signifie une mort assurée, contre un pactole qui doit alors revenir à sa petite amie. Mais ce n’est que vingt ans plus tard que celle-ci apprend l’existence de ce contrat de la bouche d’anciens marines. Avec un détective privé amoureux d’elle, la voilà lancée dans un jeu de piste qui, de Washington, l’envoie dans d’improbables petites villes de l’Amérique profonde. C’est passionnant, riche en surprises et en coups de théâtre, et, surtout, terriblement humain. Car, au-delà de l’intrigue, c’est cette dimension qui intéresse l’auteur. Qui, en outre, colore son suspens d’un humour qui n’étonnera pas les lecteurs de Code Lupin, sa savoureuse parodie normande du Da Vinci Code à conseiller à tous les amateurs du célèbre gentleman cambrioleur.

Bussi2Le fil conducteur de Maman a tort, son nouveau livre, est une peluche qui représente un agouti, un rongeur présent en Amérique tropicale ressemblant à un rat. Gouti, c’est son nom, est le doudou de Malone, un enfant très déluré d’un peu plus de trois ans qui affirme au psychologue scolaire que, chaque soir, son animal lui raconte un conte différent tout en lui répétant ce que disent ses parents en son absence. Le garçonnet prétend aussi que «maman-di» et «papa-da» ne sont pas ses vrais parents. Et il explique encore qu’il a vécu dans une maison située en bord de mer, à côté d’une forêt avec des ogres d’où il voyait un château à quatre tours, un bateau pirate coupé en deux et des fusées. Faut-il le croire ? Car comment pourrait-il se souvenir de tout cela alors qu’après trois ans, la mémoire enfantine s’efface automatiquement. Sauf si quelqu’un la ravive… La policière a d’abord du mal à suivre le psy, aussi «craquant» soit-il. D’autant plus qu’elle est sur une autre affaire, la traque des deux braqueurs d’un casse à Deauville qui a entraîné la mort de deux de leurs complices. Et le butin n’a pas été retrouvé. Cet excellent suspense est construit sur une question scientifique passionnante, celle de la mémoire traumatique inconsciente. Si tout ce que l’on vit pendant nos premières années reste gravé à jamais en nous, alors que notre mémoire directe des faits s’efface, c’est parce notre mémoire sensorielle conserve le «souvenir» d’émotions et de sensations anciennes dont nous ignorons l’origine. Un adolescent, par exemple, peut avoir une peur irraisonnée de l’hôpital parce que, tout petit, il y a subi une opération dont il perdu le souvenir conscient. (Presses de la Cité)

 

dugainMarc Dugain, Quinquennat

À la fois polar politique et roman d’espionnage, Quinquennat est, après L’Emprise, le deuxième volet d’une trilogie consacrée à l’exploration des arcanes du pouvoir en France par la mise en lumière des liens qui se tissent entre les services secrets, les multinationales et le monde politique. Il raconte une lutte «à mort» non pas entre deux hommes appartenant à des partis adverses mais membres de la même formation politique. Devenu président en battant au deuxième tour le candidat d’extrême-droite, Launay renie ses engagements pris avec son rival – un seul mandat pour lui laisser la place – en organisant un referendum rétablissant le septennat. Lubiak, trahi, décide de réagir. Et chacun de chercher des soutiens tous azimuts, pas toujours reluisants, le chef de l’État ayant compris qu’il avait tout intérêt à en trouver du côté de la Chine ou des Émirats, quitte à se défaire de l’emprise américaine. Qui va l’emporter ? Cette histoire oppose deux personnalités qui devraient marcher de concert mais qui, par leurs rapports au pouvoir, à l’argent, à l’ambition, ne peuvent que s’affronter. À travers cette impitoyable et très subtile comédie humaine fourmillant de figures secondaires tout aussi sombres, l’auteur de La malédiction d’Edgar (dont il a tiré un film) donne un portrait aussi glaçant qu’effrayant du monde politique. Et probablement assez proche de la réalité, hélas. (Gallimard)

 

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