Lectures pour l'été 2015 - Poches - Documents

 

PerecGeorges Perec, Penser/Classer

Par son humour, son inventivité, la dimension extrêmement ludique de ses livres, Georges Perec manque à la littérature française, et cette réédition de Penser/Classer, publiée trois ans après sa mort, en 1985, le confirme une nouvelle fois. On connaît le goût de l’auteur de La Vie mode d’emploi pour les contraintes et autres jeux littéraires mais aussi pour les listes et les classements dont ce recueil de textes parus dans des journaux et revues entre 1976 et 1982 en est une formidable expression. «Que signifie cette barre de fraction? Que me demande-t-on, au juste? Si je pense avant de classer? Si je classe avant de penser? Comment je classe ce que je pense? Comment je pense quand je veux classer?» On retrouve pêle-mêle quelques emplois du verbe habiter, des notes sur les objets placés sur sa table de travail, une réflexion sur la diversité de son œuvre littéraire (il se compare à un paysan cultivant plusieurs champs), des considérations sur les lunettes (!), d’autres sur la lecture, 81 fiches de cuisine à l’usage des débutants. Ou encore des «Notes brèves sur la manière et l’art de ranger ses livres» et le texte qui donne son titre à l’ensemble. Dans le premier, et tout bibliophile s’y retrouvera, Perec remarque que le problème des bibliothèques est double, d’espace et d’ordre (il répertorie douze classements différents dont aucun n’est, selon lui, satisfaisant). Dans le second, suite de réflexions et considérations diverses, il se demande «Comment je pense quand je pense? Comment je pense quand je ne pense pas.» (Points)

 

KovachBill Kovach et Tom Rosenstiel, Principes du journalisme

Le journalisme est-il en danger ? Il est néanmoins ébranlé et remis en cause par les nouvelles technologies, risquant de se perdre «dans le vaste océan de la communication». Il en va de sa crédibilité et, plus globalement, de son avenir. C’est pourquoi, un groupe de journalistes américains a fondé le CCJ (Committee of Concerned Journalists) qui a mené une étude approfondie et systématique pour tenter de répondre à deux questions: en quoi le journalisme est-il différent des autres formes de communication? Et, dans son évolution, quels principes de base faut-il préserver? Ce livre est le fruit de ce travail. L’enjeu est de taille, expliquent ses auteurs, car «l’information répond à un besoin humain fondamental». Et le système mis en place par les sociétés pour l’apporter est le journalisme, consubstantiel à la démocratie. Ainsi, le journalisme «apporte à la culture quelque chose d’essentiel et d’unique: une information indépendante, fiable, précise et générale qui, seule, peut assurer la liberté du citoyen.» Au fil des chapitres, sont développés les neufs principes indispensables pour que les journalistes puissent apporter au citoyen l’information dont ils ont besoin «pour vivre en êtres libres et autonomes»: respecter la vérité, être au service du citoyen, vérifier les informations, conserver son indépendance, exercer sur le pouvoir un contrôle indépendant, permettre au public d’exprimer ses critiques, hiérarchiser les informations, fournir une information complète et équilibrée et agir selon sa conscience. (Folio actuel)

 

 

Biographies

 

GiroudSaint-AndreFrançoise Giroud, Histoire d’une femme libre
Alix de Saint-André, Garde tes larmes pour plus tard

En 1960, la future épouse de Jean-Jacques Servan-Schreiber et sa famille reçoivent des lettres anonymes antisémites. Françoise Giroud, délaissée par l’homme qu’elle aimait pour une autre femme susceptible de lui donner des enfants, en est-elle l’auteure? JJSS en est persuadé et la chasse de L’Express, hebdo qu’ils avaient fondé ensemble en 1953 (mais il la rappellera un an plus tard). Meurtrie, la journaliste de 44 ans tente de se suicider. Sauvée contre son gré, elle écrit Histoire d’une femme libre durant l’été. Qu’elle renonce à publier. Avant de l’oublier, affirmant même l’avoir détruit. Or Alix de Saint-André, qui entretenait des liens amicaux avec son aînée de quarante ans morte en 2003, l’a retrouvé dans ses archives conservées à l’IMEC. Soutenue par la fille de l’intéressée, la psychanalyste et pédopsychiatre Caroline Eliacheff, elle a mené une passionnante «enquête» qu’elle raconte dans Garde tes larmes pour plus tard. Ce récit drôle, vif, généreux, impeccablement écrit, qui pointe les erreurs des deux biographes de Françoise Giroud (Christine Ockrent et Laure Adler), paraît donc en même temps que ces souvenirs inédits émaillés de réflexions sur la vie, le journalisme, l’amour, etc. La future Secrétaire d’Etat à la Condition féminine raconte son apprentissage de la sténodactylo et son bref passage dans le cinéma comme script, ses débuts journalistiques pendant l’Occupation et ses sept années à Elle sous l’autorité d’Hélène Lazareff. Et enfin son «coup de foudre» pour JJSS, plus jeune et déjà marié. (Folio)

 

westhoffDenis Westhoff, Sagan et fils

Si, portant le nom de son père, un sculpteur américain mort en 1990, Denis Westhoff a connu une scolarité tranquille, à l’écart des médias, l’héritage laissé par sa mère décédée le 24 septembre 2004 est nettement plus difficile à gérer. Françoise Sagan, personnalité people avant l’heure, a en effet laissé une dette de plus d’un million d’euros, vivant misérablement ses dernières années. Et ses romans sont peu réédités. Dans ce livre, son fils unique retrace la jeunesse d’une jeune femme soudainement projetée dans le milieu littéraire et fait le portrait intime d’une mère extrêmement attentive à son éducation. Il corrige notamment des assertions fausses contenues dans certaines biographies (un cardigan ajouré par des brûlures des cigarettes qu’elle écrasait à côté des cendriers, par exemple) et rectifie l’image véhiculée par le film de Diane Kurys avec Sylvie Testud dans le rôle-titre. On découvre un personnage plus complexe que la postérité a gardé de l’auteur de Bonjour tristesse. (Le Livre de Poche)

 

WinockMichel Winock, Flaubert

Pourquoi une nouvelle biographie de Flaubert (parue en 2013)? Parce que son auteur est historien. Mais aussi flaubertien puisque son mémoire portait sur «Flaubert et son temps». C’est donc en veillant toujours à replacer l’écrivain dans son époque que Michel Winock le regarde vivre. Et c’est d’autant plus captivant que l’auteur de Jeanne et les siens, auteur l’an dernier d’une vie de François Mitterrand, est un excellent littérateur. «J’appelle bourgeois quiconque pense bassement», a déclaré un jour celui qui ne sentait guère d’atomes crochus avec un siècle qui marqua «le triomphe d’une bourgeoise cupide, suffisante et sentencieuse». Et, raconte le biographe, si la famille de Gustave, dont le père chirurgien, Achille-Cléopas, est considéré à l’époque comme «un des premiers médecins de France», fait, par sa fortune, partie de la haute société rouennaise, cette aisance n’empêche pas «un certain non-conformisme». Le futur auteur de Madame Bovary passe sa jeunesse dans une ville peu portée sur la religion (d’où son anticléricalisme revendiqué), au contact des malades de l’hôtel-Dieu, ce qui développe chez lui une forme de pessimisme que lui reprochera Louise Colet. Son amant lui répondra n’avoir «jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait un vieillard ni un berceau sans songer à une tombe. Le contemplation d’une femme nue me fait penser à son squelette.» Ne lâchant pas d’une semelle celui qui a toujours contemplé la nature humaine avec un regard facétieux mais sans illusion, Winock n’oublie jamais qu’il est historien. Par exemple lorsqu’il parle de L’Education sentimentale, ce «roman moderne» par lequel Flaubert veut faire «l’histoire morale des hommes de ma génération; «sentimentale» serait plus vrai». Ou lorsqu’il raconte la Commune, qui suit la défaite contre la Prusse, pendant laquelle l’écrivain est à Croisset. Un événement qui lui échappe un peu, mais dont il craint les conséquences, et envers lequel il se montre finalement moins sévère, étrangement, que l’ancienne quarante-huitarde George Sand. S’il est bien «du côté des vainqueurs (…) il ne participe pas à la curée anticommunarde de tant de journalistes et de tant d’écrivains», remarque Winock. (Folio)

Michel Paquot
Juin 2015

 

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

 

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