Une nouvelle «Bibliothèque idéale»
La collection GF Flammarion reste depuis un demi-siècle une référence par la qualité de ses appareils critiques. Pour célébrer ses cinquante ans, outre la réédition d’œuvres de Proust, James, Marivaux, Shakespeare, Balzac, Ibsen, Wharton ou Goethe, elle reprend, sous une très belle couverture et préfacés par un écrivain contemporain, «des classiques décalés et décapants», «des textes oubliés de grands auteurs» ou des «auteurs oubliés de grands textes». Une douzaine de titres sont actuellement disponibles. Par exemple, Comment on paie ses dettes quand on a du génie de Baudelaire, une parabole sur les rapports entre l’écrivain et l’argent introduite par Thomas Clerc dont le père, grand lecteur du poète des Illuminations, a été ruiné. Ou L’art de briller en société et de se conduire dans toutes les circonstances de la vie, abécédaire signé Bescherelle paru en 1851. Pour le grammairien, écrit Pierre Assouline dans l’introduction, «l’art de penser et l’art de bien dire ne font qu’un». «Il illustre sans la moindre pédanterie universitaire, l’idée selon laquelle [la conversation] fut et demeure au cœur des rapports en société.»
Plus connu, De l’horrible danger de la lecture, de Voltaire, réjouit Edouard Launet. Le journaliste constate cependant que, de nos jours, «pris au pied de la lettre», une telle parodie d’un édit interdisant, sous forme d’antiphrase, l’imprimerie et la lecture, «pourrait passer pour une critique très actuelle des républiques islamistes». Souvent cité pour ses aphorismes, Chamfort peut être lu dans le texte grâce à la réédition de La pensée console de tout présenté par Frédéric Schiffer. Sous la forme d’un courriel à Honoré de Balzac, Jérôme Garcin dit tout son «bonheur» de le «retrouver» par le biais du lucide et intemporel Les Parisiens comme ils sont, ouvrage que le responsable des pages Culture de l’Obs juge «non seulement délicieux mais aussi très actuel». Le Tourangeau ne se montre «guère tendre» lorsqu’il écrit entre autres considérations, que, «pour être heureux à Paris, il convient non seulement d’être riche mais aussi égoïste». Et très clairvoyant lorsqu’il déplore qu’«aujourd’hui, un homme qui ne fait pas un livre est un impuissant». Passé à la postérité avec l’inénarrable Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien), Jérôme K. Jérôme a aussi commis Pensées paresseuses d’un paresseux. Pour Claro, son préfacier, cet écrivain britannique «n’est pas l’ami du genre humain, loin de là» car, «sous son affabilité et sa légèreté», se dissimule un esprit volontiers moqueur. Tout en parlant de lui-même, il parle aussi avec mordant de ses congénères. Sa radiographie des familles dont «toute la vie tourne autour du chien», par exemple, constitue un chef d’œuvre d’humour acerbe et décalé. (GF)
Éric Fottorino, Le marcheur de Fès
Né en 1960 à Bordeaux, Éric Fottorino est élevé par sa très jeune mère – 17 ans – sans connaître son père. Il est adopté à 10 ans par son beau-père, Michel Fottorino, dont il prend le patronyme (et auquel il consacrera bien plus tard l’un de ses plus beaux livres, L’Homme qui m’aimait tout bas). Sept ans plus tard, il rencontre son géniteur, un obstétricien marocain installé à Toulouse, Maurice Maman. Sans pour autant resserrer les liens. Ce n’est que longtemps après, à 44 ans, qu’il renoue définitivement avec celui à qui il a régulièrement donné le mauvais rôle dans ses romans, alors que c’est sa grand-mère qui s’était opposé au mariage de sa mère avec un Juif. Il s’était promis de revenir avec ce second père (dont il a parlé dans Questions à mon père) sur les traces de sa jeunesse à Fès. Mais le vieil homme étant trop malade, c’est seul qu’il a arpenté les ruelles de la ville marocaine, s’aventurant dans les cimetières et musées. Enfin, pas tout à fait seul, un rabbin et un ancien ami de son père lui servant de guides. Notamment au cœur du Mellah qui abritait autrefois une importante communauté juive à laquelle appartenait Maurice Maman et qui, en avril 1912, au début du protectorat français, subit un pogrom (le «tritl»). Avant de se vider progressivement de ses habitants, les plus pauvres s’installant dans le nouvel Etat hébreu, les autres prenant la route de l’Occident, principalement la France. (Folio)
Jacques Chancel, Petit dictionnaire amoureux de la télévision
Né dans les Hautes-Pyrénées en 1928, mort l’an dernier, Jacques Chancel crée Radioscopie sur France Inter puis, en 1975, participe avec Marcel Jullian à la création d’Antenne 2 où il anime Le Grand Èchiquier jusqu’en 1986. Il a aussi notamment présenté Figure de proue sur France Inter et Ligne de mire sur France 3. Dans ce Dictionnaire amoureux, cet homme convaincu qu’«il ne faut pas donner au téléspectateur ce qu’il aime mais ce qu’il pourrait aimer», parle de la télé d’hier et d’aujourd’hui qu’il regarde avec une passion inchangée. Une large place est accordée à ses têtes de gondole, d’hier (Zitrone, Guy Lux, Mourousi, Tchernia), et d’aujourd’hui (Delahousse, Nicolas Bedos, Ardisson, Ruquier, Bern, Busnel, Taddeï), ou d’hier et d’aujourd’hui (Bouvard, Bellemare, Drucker). Une absence de marque: Droit de réponse de Michel Polac, un homme que Jacques Chancel n’aimait pas. (Pocket)
Pierre Dac, L’Os Libre & Pierre Dac, Francis Blanche, Signé Furax
Depuis quelques années, les éditions Omnibus rééditent progressivement l’œuvre intégrale de Pierre Dac. Sont ainsi à nouveau disponibles L’Os à Moelle, qui reprend la quasi intégrale des 109 numéros hebdomadaires de «l’organe des loufoques» parus entre le 13 mai 1938 et le 7 juin 1940, ses «romans loufoques» publiés dans les années 1950-60 (Du côté d’ailleurs, Les Pédicures de l’Âme et Du côté de partout), les 213 épisodes de Malheur aux barbus, son premier feuilleton radiophonique écrit avec Francis Blanche diffusé sur les antennes de la Radiodiffusion française entre le 15 octobre 1951 et le 28 juin 1958. C’est ici qu’apparaît pour la première fois Edmond Furax traqué par les ineffables inspecteurs Black and White interprétés par les auteurs eux-mêmes. Voici deux nouvelles pépites. La première est la réédition sous couverture cartonnée de L’Os Libre publié entre le 11 octobre 1945 et le 15 octobre 1947. Ce volume reprend également les années passées par Pierre Dac à Londres. Á partir du le 29 octobre 1943, il est speaker dans l’émission «Les Français parlent aux Français» sur la BBC puis, fin 1944 et début 1945, il est correspondant de guerre. Chaque livraison de L’Os Libre, dont le sous-titre est «Contre ce qui est pour – Pour ce qui est contre», comprend, outre l’édito de son directeur, des nouvelles et petites annonces farfelues et passablement absurdes, ou des publicités du même tonneau.
La deuxième réédition est Le Boudin sacré, le deuxième feuilleton de la série Signé Furax diffusé sur Europe n°1 à partir du 22 octobre 1956. Quelques prestigieux monuments de Paris ont été subtilisés par Furax et remplacés par des imitations en staff. Dont l’obélisque de la Concorde dans laquelle on enfonce le bras comme dans du beurre. Fouvreaux, le chef de la police, et Socrate, le commissaire, ont la même idée: faire appel à Black & White qui coulent une retraite paisible dans une maison de repos. Mais qui se laissent néanmoins convaincre. (Omnibus)
La Grande Guerre des écrivains. D’Apollinaire à Zweig, textes choisis et présentés par Antoine Compagnon
«Aucun événement historique, ni règne, ni conflit, ni révolution n’a déchaîné autant de littérature que la Première Guerre mondiale. Grande, elle l’est rien que par les tonnes de papier qui furent noircies durant ces quatre années et plus (…)», note Antoine Compagnon dans sa très longue introduction (un essai à elle seule). D’un point de vue strictement littéraire, il distingue trois périodes: une «littérature immédiate» qui va de 1914 jusqu’au début des années 1920 (dont Le Feu d’Henri Barbusse (1), Goncourt 1916, constitue le «canon»), période qualifiée par Albert Thibaudet de «littérature hâtive»; une littérature d’«inventaire» dans les années 1920, la difficile réintroduction des mobilisés «dans un monde civil insouciant ou hostile», comme en témoignent les livres de Dorgelès, Barbusse ou Schlumberger; «une poignée de chefs d’œuvres», enfin, parus au cours des années 30, signés Giono, Céline ou Drieu la Rochelle. Cette épaisse anthologie est le fruit d’une sélection. Les textes retenus - témoignages, romans, carnets, journaux, poèmes – sont divisés en cinq parties: «l’été 14», «le front», «les échelons: entre lignes et arrière-lignes», «l’arrière» et «mémoire et oubli». Y figurent notamment Gide, Jünger, Zweig, Martin du Gard, Dos Passos, Cendrars, Genevoix, Montherlant, Giono, Paulhan, Kessel, Cocteau, Malaparte, Giraudoux, Hemingway, Virginia Woolf, Drieu La Rochelle, Proust, Eluard, Faulkner, Aragon… (Folio)