Culture, le magazine culturel en ligne de l'Universit� de Li�ge


Lectures pour l'été 2015 - Poches - Littérature française

10 juin 2015
Lectures pour l'été 2015 - Poches - Littérature française

DesForetsRené-Louis des Forêts, Œuvres complètes

L’œuvre de Louis-René des Forêts (1916-200) est brève : deux romans, Les Mendiants et Le Bavard, des nouvelles, dont La Chambre des enfants, des poèmes, des chroniques et textes autobiographiques, tels Ostinato ou Pas à pas jusqu’au dernier. Elle est entièrement réunie dans ce volume qui s’ouvre sur une nouvelle inédite de 1938, Les Coupables, et comprend également une longue biographie illustrée, des lettres à Charles Du Bos ou à André Frénaud, des portraits de Bataille, Leiris ou Antelme, un entretien ainsi que de nombreux dossiers illustrés éclairant certains textes. L’occasion de (re)découvrir une œuvre placée sous le sceau du silence. Pendant quelques années, celui qui a lutté contre la Guerre d’Algérie, a fait vœu de silence, se consacrant à la peinture, avec le «sentiment de pouvoir [s’]exprimer autrement que par des mots.» Il revient pourtant à l’écriture, convaincu, comme il l’écrit dans Face à l’immémorable, que la langue est «l’unique voie d’accès au silence». Selon lui, «perpétuer, du moins pour un temps, ce que la mort s’apprête à réduire en poussière, tel est parmi d’autres, le rôle du langage.» Cette édition reprend également des chroniques musicales, importantes pour celui qui regrettait de ne pas avoir fait des études de musique, considérant la littérature comme un «pis-aller» (Quarto).

 

GallayClaudie Gallay, L’Amour est une île et Une part de ciel

L’été 2003, le Festival d’Avignon est bloqué par la grève des intermittents du spectacle. C’est cet événement que Claudie Gallay a pris comme décor de ce roman paru il y a cinq ans, mais seulement édité en poche aujourd’hui. Si de nombreuses pièces sont annulées, Odon, directeur de Chien Fou, entend bien jouer car, rappelle-t-il, «c’est en laissant les théâtres ouverts que les peuples se font entendre». Il monte Nuit rouge, la pièce d’un jeune auteur mort cinq ans auparavant dont la soeur a fait le déplacement jusqu’à la Cité des Papes pour lui rendre justice. Il tente aussi de retrouver Mathilde, cette actrice qu’il a tant aimée devenue célèbre sous d’autres cieux. Différents personnages croisés au fil de courts chapitres tissent cette fresque magistrale comme portée par la grâce, aux dialogues rares mais riches de sens, à l’écriture forte d’une belle densité émotionnelle.

Gallay-cielAu début d’Une part de ciel, Philippe, Gaby et Carole se retrouvent dans leur village natal de montagne peu avant Noël. Le premier, responsable du domaine, recherche la route jadis empruntée par Hannibal. La deuxième est femme de ménage dans un hôtel en élevant une fille qui n’est pas la sienne. Quant à la troisième, elle est revenue pour son père. Tous trois ont en effet reçu une boule à neige annonçant le retour de cet homme qu’ils ont toujours connu ailleurs. Carole, la narratrice, reprend ses marques dans ce monde immuable, figé dans la neige. Elle reconnaît « le bar à Francky », l’épicerie, le pont au-dessus de la rivière. Retrouve l’homme de la scierie qu’elle aurait pu aimer à l’époque. Et passe le temps en traduisant un ouvrage sur Christo ou en rendant visite à la Baronne et ses chiens. Tout en posant des questions sur l’incendie qui a détruit la maison familiale lorsqu’ils étaient enfants : laquelle des deux sœurs leur mère a-t-elle prise dans ses bras? Ce beau roman d’ambiance possède un style lapidaire multipliant les courtes phrases et bribes de dialogues. (Babel)

 

deKerangalMaylis de Kerangal, Réparer les vivants

Parler du roman de Maylis de Kerangal, Prix Médicis 2010 pour Naissance d’un pont, relève d’une sorte de gageure. Car le réduire à sa trame, ce n’est rien en dire tant sa richesse et sa profonde singularité tiennent à son écriture. L’histoire est celle-ci : suite à un accident de voiture, un jeune homme est en état de mort cérébrale. Mais pas de mort totale car son coeur et plusieurs de ses organes – le foie, les reins, les poumons – ne le sont pas et peuvent donc être transplantés. Les parents acceptent et la transplantation cardiaque a lieu. La romancière s’immisce dans les pensées et les ressentis de ses personnages. Les parents de Simon, qui ne savent pas s’ils doivent ou non accepter que leur fils soit dépecé. L’infirmière de l’hôpital du Havre qui accueille le jeune garçon, un premier médecin de garde qui annonce sa mort, un second qui parle de transplantation sont les courroies de transmission entre l’avant et l’après. Suivent le chirurgien qui pratiquera l’intervention, son assistant chargé de ramené le coeur à Paris et pour qui c’est une première. Et enfin la femme qui, depuis si longtemps, attend de pouvoir reprendre le chemin de la vie avec un coeur neuf. Tous sont riches d’une profonde humanité que leur octroie la romancière en les replaçant dans leur propre histoire individuelle. Ils deviennent chacun les héros de cette tragédie antique où se côtoient la vie et la mort, entrant et sortant successivement du champ d’une caméra imaginaire qui effectuerait un lent travelling temporel. L’auteure donne ainsi à son roman un rythme très particulier, tantôt rapide, tantôt lent, comme la palpitation d’un cœur. (Folio)

Voir aussi

 

LouisÉdouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule

Le premier roman d’Edouard Louis, 21 ans, étudiant à Normale Sup, coordinateur d’un essai sur Bourdieu aux PUF, a été l’objet d’une polémique journalistique à sa sortie en janvier 2014, l’auteur ne supportant pas qu’un journaliste du Nouvel Obs se rende sur les lieux qui y sont décrits. L’enfance d’Eddy dans un village picard où il vaut mieux être un dur, savoir se bagarrer, lancer des injures racistes et homophobes, draguer en mobylette, se saouler, battre sa femme ou sa copine, plutôt que de «parler comme une fille» ou de «courir comme une pédale», fut en effet celle d’Edouard. Asthmatique, Eddy est l’aîné d’un père abandonné à cinq ans par son propre père et le troisième garçon d’une mère qui en avait déjà eu deux autres d’un premier mari alcoolique mort d’une cirrhose du foie. Dans sa famille, on admire son cousin Sylvain, délinquant et trafiquant de drogue mort d’un cancer en prison. Au collège, le narrateur est régulièrement tabassé, chez lui, il est raillé, au village, il est regardé de biais. Son père est violent («Pour un homme, la violence était quelque chose de naturel, d’évident») mais, contrairement à bien d’autres, il ne tape ni sa femme, ni ses gosses, mais bien le mur, qui a fini couvert de trous cachés par des dessins rapportés par les plus petits de l’école maternelle. Cette enfance, ce monde, Eddy finira par les fuir, en voulant faire du théâtre et s’inscrivant au lycée d’Amiens, découvrant un monde neuf. (Points)

Voir aussi Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule

 

ChalandonSorj Chalandon, Le quatrième mur

Le quatrième mur est, au théâtre, l’écran imaginaire érigé au bord de la scène isolant le plateau de la salle. Ici, c’est celui qui, en plein conflit libanais, séparera les acteurs issus des multiples communautés présentes au Liban – palestiniens sunnites, druzes (musulmans vivant dans le Chouf), chrétiens maronites du Mont-Liban, chiites – des spectateurs originaires de ces mêmes communautés engagées dans une guerre civile sans fin. La pièce représentée est Antigone d’Anouilh, œuvre de résistance à la tyrannie, quelle qu’elle soit, créée en janvier 1944 dans Paris occupée. Elle ne pourra être jouée qu’une seule fois, en octobre 1982, dans l’ancien cinéma Beaufort situé à un carrefour cerné par les deux fronts et étroitement surveillé par des snipers retranches dans les immeubles détruits. Le metteur en scène est un jeune Français, un ancien militant d’extrême-gauche qui a accepté d’abandonner sa femme et sa fillette pour tenir la promesse faite à l’homme qui est à la base de ce projet insensé, un juif grec ayant fui le régime des colonels et aujourd’hui mourant. Sorj Chalandon, qui a vécu cette guerre comme grand-reporter à Libération, entraîne son narrateur dans un monde halluciné et hallucinant où la vie ne tient qu’à un fil. À un doigt posé sur la gâchette d’un fusil. Le lecteur navigue entre le somptueux et l’atroce. Entre la force de l’espoir et l’acceptation de sa ruine. (Le Livre de Poche)

 

 

LahensYanick Lahens, Dans la maison du père

Après un peu plus de dix ans d’existence, l’éditrice Sabine Wespieser a lancé sa collection poche. Parmi les premiers titres, figure le premier roman de l’auteure haïtienne Yanick Lahens (Prix Femina 2014 pour Bain de Lune) paru en 2000 au Serpent à Plumes. En ce jour de 1942, la narratrice, 13 ans, se fait gifler par son père pour avoir dansé dans l’herbe au son d’une musique entraînante. «Je suis née de cette image. Elle m’a mise au monde une seconde fois et je l’ai enfantée à mon tour», écrit-elle. Elle raconte son enfance entre un père strict et une mère aimante, l’occupation américaine, sa découverte de la danse, son besoin de liberté pendant la période révolutionnaire des années 1945-46,  jusqu’à son arrivée à New York en 1950 où elle attrape son «virus de civilisée». Un très subtil roman d’apprentissage porté par une écriture fluide. (SW Poche)

 

SaboloMonica Sabolo, Tout cela n’a rien à voir avec moi

Le titre de ce «roman» est ironique puisque ce qu’il contient ne concerne que son auteure. Ce «tout» renferme un texte éclaté en extraits de journal, SMS, courriels, lettres (à un mort), conversations, propos divers, réflexions, souvenirs, histoires familiales, compte-rendu, etc., accompagnés d’une multitude de petites photos noir et blanc (paires de gants, parapluie, briquets, livres, notes, scooter rouge, vacances, enfance…), de schémas ou de tableaux. Ce livre foutraque, totalement revigorant, ne ressemble donc à rien de connu. Que raconte-t-il? Une histoire d’amour brève, sans suite, assez vaine et finalement peut-être à sens unique entre la narratrice, double de l’auteur (même nom, même histoire), et le «jeune et brillant garçon» engagé pour tenir la rubrique cinéma dans le magazine dont elle dirige les pages culturelles. De l’approche lente et prudente à la séparation finalement «pénible», se sont écoulés quelques mois pimentés de rendez-vous rapportés avec un humour interrogateur et férocement autocritique où la passion de la jeune femme se dissimule sous un ton évasif et lapidaire. (Pocket)

 

DuroyLionel Duroy, Vertiges

Ce roman largement autobiographique s’ouvre sur deux ruptures vécues par le narrateur à vingt ans d’intervalle. La première a eu lieu lors de la parution de son premier livre autobiographique, Priez pour nous, la seconde, peu après la sortie du Chagrin. Au moment où il se sépare d’Esther, Augustin se souvient de son progressif éloignement de Cécile tombée amoureuse de l’architecte de la maison où le couple venait de s’installer avec leurs deux enfants. Il passe en revue la vie qui a suivi, la naissance de deux nouveaux enfants, l’achat d’une maison de campagne, quelques aventures amoureuses, l’écriture de livres pour d’autres. Et surtout la progression d’une douleur intérieure qui l’envoie dans les Balkans en guerre et l’éloigne progressivement de son bonheur quotidien. Jusqu’à le plonger dans une solitude existentielle dont il ne survit que par l’écriture. (J’ai Lu)

 

 

DavrichewyKéthévane Davrichewy, Les séparées

Amies d’enfance, Alice et Cécile auraient dû le rester leur vie entière. Que de moments forts n’ont-elles pas partagés, depuis le soir de l’élection de Mitterrand en 1981! Et pourtant, mariées et mères de famille, elles ont fini par s’éloigner l’une de l’autre, sans trop comprendre pourquoi. Trente ans plus tard, alors qu’Alice traîne à une terrasse de café en retissant le fil de ses souvenirs, Cécile est dans le coma. Et de sa brume ouatée, c’est son ancienne amie qu’elle appelle…Alternativement, nous remontons derrière elles ce temps vécu cœur à cœur. L’adolescence où elles entonnent les mêmes airs populaires, dansent sur les mêmes chansons à la mode. L’année où Alice étudie à New York, d’où elle ramènera son mari, tandis que Cécile est inscrite aux Beaux-Arts à Paris. Jusqu’à ce projet professionnel commun, avorté. Une amitié pourtant fragilisée par Philippe, demi-frère de Cécile, amoureux caché d’Alice, qui paiera le prix fort ses excès de vie. Qu’est-ce qui fait qu’un roman est un grand roman? C’est le fruit d’une alchimie mystérieuse. Car en réalité, l’histoire contée ici, la littérature en regorge. Il y a donc autre chose. Cette capacité à mettre les mots justes sur des émotions qui deviennent ainsi les nôtres. Et c’est le regard lavé de tout que l’on a pu lire ou connaître jusqu’ici que nous parcourons ce chemin d’où l’on revient chaviré. (10/18)

 

ArditiMetin Arditi, La confrérie des moines volants

Le point de départ est une histoire présentée comme vraie (et en réalité fictive); dans l’URSS de la fin des années 1930, horrifié par les massacres de religieux et le saccage des églises perpétrés par les milices du NKVD (Commissariat du Peuple aux affaires intérieures), un ermite, Nikodime Kirilenko, décide de réagir. Avec onze compagnons, cet homme hanté par un douloureux secret fonde la Confrérie des moines volants chargée de dérober des icônes et de les cacher. Dans la deuxième partie, ce récit d’une résistance contre un régime qui veut éradiquer tout sentiment religieux trouve un écho de nos jours avec les recherches menées en Russie par un photographe qui, à la mort de son père, découvre les liens qui le lient à Nikodime. (Points)

 

PuertolasRomain Puertolas, L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire IKEA

Pour sa réédition en poche, la couverture du premier roman de Romain Puértolas a perdu le logo de l’enseigne suédoise qui lui avait fait un procès, mais en a gardé les couleurs jaune et rouge. Ajatashatru Lavasch Patel (prononcez comme vous voulez) débarque à Paris de son Inde natale, où il fait profession de fakir et de faux magicien, pour se procurer, dans un magasin  IKEA, le dernier modèle de lit à clous Kisifrötsipik (15000 clous à planter soi-même). Contraint de passer la nuit dans le magasin en attendant sa commande, il se cache dans une armoire métallique expédiée en Angleterre. C’est le début d’un périple qui va successivement le mener en Espagne, en Italie et en Lybie, pisté par le chauffeur de taxi gitan (et quelque peu belliqueux) qu’il a arnaqué. Mais au cours duquel il va faire quelques belles rencontres. Avec une obsession: retrouver à Paris celle avec qui il a partagé un repas à la cafétéria du magasin suédois. (Le Livre de Poche)

 

FerneyAlice Ferney, Cherchez la femme

Dans ses romans (L’élégance des veuves, Conversation amoureuse, Dans la guerre, Les Autres), Alice Ferney parvient avec subtilité et précision à décortiquer les ressorts de l’âme humaine, principalement dans la relation amoureuse. Ici, elle met une fois encore à nu les mécanismes d’un couple, Serge et Marianne, en remontant à la génération supérieure, se souvenant que tout individu est d’abord le fruit d’une famille, d’un milieu, d’une éducation. Nina est une lycéenne de 16 ans qui rêve d’être danseuse lorsqu’elle accepte d’épouser Vladimir, un ingénieur des mines. Après bien des déboires professionnels, le couple s’installe dans une petite ville de la province française, Nina sombrant dans l’amertume et l’alcoolisme sous le regard meurtri car toujours amoureux de son mari. De cette union souvent tumultueuse naissent deux fils, dont Serge qui épouse Marianne, une Parisienne issue d’un milieu nettement plus bourgeois que le sien. C’est donc leur histoire que nous sommes invités à suivre. De leur mariage, rendu difficile par la rencontre de deux mondes qui n’ont nulle envie de se connaître, à leur séparation, également compliquée. Cette cassure était-elle inévitable? Serge, paré de toutes les qualités par les autres, et principalement par sa femme qui se sent inférieure à lui, alors qu’il apparaît au contraire lâche, égoïste, fuyant et finalement peu fiable, fut-il un bon mari? C’est un peu la question qui sous-tend tout le roman. Doublée de celle-ci: que faut-il pour qu’un couple fonctionne? (Babel)

 

LeysSimon Leys, La Mort de Napoléon

Excellente idée d’Espace Nord de rééditer le seul et fort cocasse roman écrit par Simon Leys en 1986. Son point de départ raisonne comme une farce: sous le nom d’Eugène Lenormand, à bord d’«un phoquier portugais soudoyé pour la circonstance» et dont l’équipage est composé de Norvégiens «taciturnes», Napoléon s’est évadé de Sainte-Hélène, remplacé sur l’île par un maréchal-des-logis fort ressemblant. Sur le brick qui le ramène en France, où il fait office de garçon de cabine, il est surnommé Napoléon pour sa ressemblance avec l’empereur. Accostant à Anvers, il se rend à Waterloo en compagnie de douze Anglais et Anglaises, visitant notamment la chambre qu’il occupa à la veille de la fatidique bataille. Mais il s’aperçoit avec horreur qu’il découvre les lieux pour la première fois. Ainsi débute un périple qui ne sera pas des plus tranquilles. Françoise Châtelain signe la postface. (Espace Nord)

 

 

HartzfeldJean Hatzfeld, Robert Mitchum ne revient pas

Au printemps 1992, Marija et Vahidin, deux champions yougoslaves de tir au pistolet, s’entraînent dans la banlieue proche de Sarajevo pour les Jeux Olympiques de Barcelone où ils ont de sérieuses chances de médailles. Dès les premiers bombardements, le jeune homme, musulman bosniaque, aide sa mère et ses sœurs, qui redoutent les milices tchetniks, à se réfugier en ville, avec l’intention de rejoindre ensuite son amie, serbe bosniaque. Mais il ne parvient pas à franchir la frontière militaire rapidement installée entre eux. Marija, de son côté, retrouve Robert Mitchum, le chien de la famille de Vahidin, qui ne la quitte plus. Elle refuse d’envisager l’inéluctable et, espérant toujours le retour de son amoureux, refuse de suivre son équipe en Serbie. Cette histoire s’étend sur huit ans, jusqu’aux JO de Sidney. Jean Hatzfeld fait admirablement revivre cette tragédie historique honteuse pour l’Europe, s’installant de part et d’autre de la ligne de front, à travers le destin de ses magnifiques héros engagés l’un et l’autre comme snipers par leurs camps respectifs. C’est un livre indispensable pour comprendre non seulement ce qui s’est réellement passé mais comment les gens ont vécu ces années-là, dans leur vie et dans leur chair. Et, au-delà, c’est un prodigieux document humain. (Folio)

 

QuirinyBernard Quiriny, Le village évanoui

Bernard Quiriny aime les univers décalés, tant dans ses nouvelles (Contes carnivores, Chroniques assassines) que dans son premier roman, Les Assoiffées, portrait d’une Belgique devenue une dictature dirigée par une femme. Le Village évanoui s’inscrit dans la même veine. Ne pouvant plus quitter leur bourg, les habitants de Châtillon-sur-Bierre passent de la stupeur au désarroi. Tant bien que mal, ils tentent de s’organiser, notamment pour faire face au progressif épuisement des stocks alimentaires. Mais bientôt, sous la bannière d’un agriculteur, une partie de la population se retranche dans un ranch de plusieurs hectares qui vit en autosuffisance. La discipline y est sévère, transformant ce qui aurait pu être une forme d’utopie communautaire en un mini-Etat autoritaire. (J’ai Lu)

 

 

CarlierChristophe Carlier, L’Euphorie des places de marché

Après L’Assassin à la Pomme verte, auréolé de plusieurs prix (dont celui du Premier roman), et un livre sur Sempé, Christophe Carlier signe un revigorant Euphorie des places financières. Norbert Langlois dirige une société de livraison de bureaux. Il se délecte à l’écoute des chroniques économiques alarmistes – retraites, dettes, chômage -, se shoote aux impitoyables sentences des agences de notation. Agathe, sa secrétaire, passe ses journées à faire des mots fléchés et à commenter les faits divers avec ses collègues. La considérant comme un obstacle au développement de son entreprise, son patron aimerait la licencier. Mais sous quel prétexte? Il a un plan: l’impliquer dans un dossier dans lequel elle ne pourra que lamentablement se vautrer. Au même moment, est engagée une stagiaire qui, elle, est assidue et compétente. Rythmé par les jours de la semaine, ce roman est écrit avec recherche, l’auteur accordant autant d’importance à son histoire – sortie de suspens de bureau - qu’à la manière de la mener. Toujours avec un humour en demi-teinte, moins lié aux situations elles-mêmes qu’à la manière dont se comportent les différents personnages face à elles. (Pocket)

 

BaltassatJean-Daniel Baltassat, Le divan de Staline

Ce roman est glaçant. Il raconte un bref séjour fin 1950 de Iossif Vissarionovitch à Borjomi, une ville d’eau géorgienne. Le Petit Père des Peuples va avoir 72 ans et il lui reste moins de trente mois à vivre. Il a réuni autour de lui sa maîtresse, Lidia Semionova, la seule à user avec lui d’une relative franchise, et le jeune peintre Danilov qui ambitionne de réaliser une fresque géante dont son hôte serait le centre – deux personnages fictifs. C’est un homme comme beaucoup d’autres, amateur de westerns et d’opéras, que dépeint Baltassat. L’humain sous le monstre. Le dictateur s’étend sur un divan semblable à celui de Freud, demandant à sa maîtresse de lui lire un extrait de L’interprétation des rêves de celui qu’il appelle le «Charlatan» et dont il condamne le «charabia» et les «cochonneries juives», à la fois par puritanisme – il refuse de parler de sexualité ou de désir, tout en ayant eu beaucoup de maîtresses – et parce que Trotski pensait qu’il était intéressant d’étudier le freudisme pour comprendre comment les masses et la bourgeoisie fonctionnaient. Ainsi installé, celui qui reste douloureusement marqué par le suicide de sa deuxième femme, Nadia, en vient, presqu’à son corps défendant, à raconter ses rêves et ses souvenirs. Il évoque notamment sa déportation sous le cercle arctique où il s’est senti abandonné par celui dont il avait fait son père de substitution, Lénine.  (Points)

 

JerusalmyRaphaël Jerusalmy, La Confrérie des chasseurs de livres

Raphaël Jerusalmy a successivement été membre des services de renseignements militaires israéliens, engagé dans l’humanitaire puis marchand de livres anciens à Tel-Aviv. Dans son second roman après Sauver Mozart (Babel), passionnant et érudit polar historique, il entraîne le lecteur en Palestine au milieu du XVe siècle. En 1463, quelques années après la création d’une imprimerie à Mayence. Louis XI charge François Villon, poète, mais aussi brigand qui vient d’échapper au gibet, de contacter Johann Fust, le riche orfèvre qui a financé les travaux de Gutenberg. Le but du monarque est purement économique: en menaçant de publier des ouvrages qui, révélant que la terre n’est pas au centre de l’univers, vont à l’encontre du dogme épiscopal, il entend faire pression sur le pape d’Avignon qui touche à sa place des droits de passage dans la vallée du Rhône. Après pas mal de désagréments, l’auteur de la Ballade des Dames du temps jadis, flanqué de son fidèle Colin, découvre dans la ville trois fois sainte une Confrérie secrète elle aussi chargée d’affaiblir la papauté en diffusant des ouvrages proscrits. Et notamment le testament du Christ recueilli par le prêtre qui l’a livré à Ponce Pilate. (Babel)

Voir aussi : Raphaël Jerusalmy, La confrérie des chasseurs de livres

 

RufinJean-Christophe Rufin, Le Collier rouge

En cet été 1919, devant la prison de Bourges écrasée de chaleur, un chien aboie jour et nuit. Son maître y est enfermé. Comment ce caporal décoré de la Légion d’honneur est-il arrivé là, c’est ce que va tenter de comprendre un juge militaire envoyé sur place. La guerre que lui raconte le jeune homme est aussi celle de l’animal, dénommé Guillaume, qui semble être au cœur du drame. L’enquêteur cherche également à savoir pourquoi l’ancien soldat refuse de revoir la femme qui vit dans une ferme des environs et avec qui il a eu un enfant. Après l’ample Jacques Cœur et le récit de son pèlerinage à Compostelle, Jean-Christophe Rufin, qui vient de publier un roman magnifique sur fond de guerre en Bosnie (Check Point),  signe un dense et bref roman, remarquablement tendu, qui offre plusieurs entrées: la Première Guerre mondiale vue des Balkans, l’apparition de velléités universalistes et de fraternisation suite à la Révolution russe, l’indéfectible fidélité d’un chien pour celui qu’il s’est choisi comme maître. L’ensemble est coiffé d’un mystère dont la résolution est fidèle à l’esprit de l’ensemble, plutôt iconoclaste. (Folio)

Voir aussi : Jean-Christophe Rufin, Le collier rouge

 

MianoLeonora Miano, La saison de l’ombre

Un jour, «un grand malheur» s’est abattu sur un village africain vivant pacifiquement replié sur lui-même: pendant un grand incendie qui a détruit de nombreuses cases, les fils aînés de dix familles du clan mulongo ont soudainement disparu. Soupçonnées de «manquements à l’égard des ancêtres», leurs mères ont été écartées du groupe, mises en quarantaine «comme des malfaisantes», le temps, pour les anciens, «de mieux cerner la situation». Mais comment pourraient-ils savoir que les dieux ou les ancêtres ne sont pour rien dans ce qui leur arrive? Que les hommes ont été enlevés, comme le révèle un chasseur d’un clan voisin, par des étrangers «couverts de la tête aux pieds», venus par les eaux à bord d’«une immense pirogue bardée d’étoffes destinées à emprisonner le vent», pour en faire des esclaves? C’est ce que vont découvrir quelques émissaires du clan. (Pocket)

 

 

DeckJulia Deck, Viviane Élisabeth Fauville

En 1957, dans La Modification, Michel Butor racontait le voyage d’un homme dans le train Paris-Rome en utilisant le «vous». Cinquante-cinq ans plus tard, chez le même éditeur, Julia Deck, née en 1974, use du même procédé dans son premier roman, Viviane Elisabeth Fauville. Enfin, en partie, car elle recourt également aux trois personnes du singulier et à la première du pluriel, et il arrive que le «vous» concerne deux personnages différents. Cette alternance d’angles de vue permet de rendre compte des faits et gestes de l’héroïne ou de ses pensées. On est tantôt dans le descriptif strict, tantôt dans l’introspectif. Abandonnée par son mari avec un bébé de douze semaines, Viviane abat son psychanalyste qui la bourre de tranquillisants depuis trois ans et souhaite multiplier les séances hebdomadaires sans pour autant donner l’impression de vouloir la sortir de son mal-être. Soupçonnée par la police, elle rencontre la maîtresse du défunt puis sa femme. Ainsi qu’un homme suspecté du meurtre. Sans très bien savoir où ça va la mener. Le lecteur non plus, d’ailleurs, mais peu importe: il se laisse conduire avec gourmandise dans ce savant jeu de piste parisien. (Minuit Double)

 

LafonLola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais

Aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976, après avoir évolué sur la poutre, une Roumaine de 14 ans attend son résultat. La note s’affiche: 1,0. Personne ne comprend, l’exercice a été parfait. Le public siffle, tout le monde s’affaire. En fait, c’est 10 qu’il faut lire, mais le tableau ne permet pas un score à deux chiffres. Du jamais vu. Six autres notes maximales suivront. Nadia Comaneci entre dans l’histoire. C’est son destin que raconte Lola Lafon avec une remarquable exigence stylistique et morale. Au déroulé de la courte carrière de son héroïne, au face à face tendu entre les systèmes en vigueur de part et d’autre du Rideau de fer, l’auteure ajoute une strate supplémentaire: les échanges téléphoniques totalement fictifs entre la narratrice et celle qui vit depuis novembre 1989 aux Etats-Unis. C’est par la voix de celle-ci que sont rectifiés les clichés liés à la Roumanie – où Lola Lafon a vécu de 3 à 12 ans – et que, d’une certaine manière, sont renvoyés dos-à-dos les conditionnements communistes d’hier et le capitaliste d’aujourd’hui. Lola Lafon suit «Nadia C.» de ses premiers agrès à sa fuite du pays quelques jours avant la chute puis l’exécution des époux Ceausescu. Soit plusieurs compétitions internationales où l’imbrication entre le sport et la géopolitique se reflète dans la haine opposant, par athlètes interposés, les sœurs ennemies roumaines et soviétiques. Tout au long des années 1980, Nadia Comaneci doit faire face à deux types d’attaques: sa proximité avec le régime, d’une part, d’avoir grandi, d’être devenue une femme et donc d’avoir perdu sa «fraîcheur», d’autre part. (Babel)

 

MukosongaScholastique Mukasonga, Ce que murmurent les collines

Voici un recueil de six nouvelles à travers lesquelles l'écrivaine rwandaise fait revivre la culture de son pays natal (et qui possèdent chacune en guise de postface des "notes à l'attention du lecteur curieux"). Dans l'une, l’auteure de Notre-Dame du Nil (Prix Renaudot 2012, Folio), raconte la nostalgie de sa mère pour une rivière, la Rukara, qui est la sienne mais qu'elle n'a pourtant jamais connue. Dans une autre, à travers une cordelette à laquelle est accroché un bout de bois et dont une étudiante en sociologie, même nue, ne se sépare pas, elle évoque la cohabitation entre croyances et légendes vernaculaires et rites religieux importés par les pères chrétiens. Dans une troisième, il est question d’une rivalité entre le roi Musinga, qui affirme que le Rwanda lui appartient, et les autorités belges qui, vantant leur apport civilisationnel, veulent le faire venir à Kigali, «leur» capitale. Dans le dernier texte, enfin, à travers l’année scolaire d’un pygmée (Cyprien le Mutwa) envoyé par un missionnaire, qui s’avère être meilleur élève que ses condisciples, on découvre le rejet dont sont victimes ces «parias» chez les Rwandais. (Folio)

 

StibbeIsabelle Stibbe, Bérénice 34-44

On aimerait que tous les premiers romans soient de la qualité de celui-ci ! C’est dans un monde qu’elle connaît bien, celui du théâtre parisien, que l’ancienne responsable des publications de la Comédie française, aujourd’hui secrétaire générale de l’Athénée Théâtre, plonge son héroïne, Bérénice, jeune juive née en 1919 dont le prénom est emprunté à Racine. Un prénom prédestiné puisque, contre l’avis de ses parents, elle veut être comédienne. Elle vise la voie royale: le conservatoire, dans la classe de Louis Jouvet, puis la Comédie française pour jouer les grands textes du répertoire, Lorenzaccio, Le Cid et même, qui sait, Le Soulier de Satin que s’apprête à monter Jean-Louis Barrault. Mais la guerre va en décider autrement. Interdite de jouer, elle se cache chez un ami avocat-poète tandis que son mari fuit la France pour l’Espagne avec l’intention de gagner les États-Unis. Cette histoire, belle, émouvante, puissante, raconte magnifiquement une page d’histoire peu connue en s’appuyant sur des faits et documents réels. Notamment le psychodrame qui conduit Jacques Copeau, directeur de la Comédie française, à accepter son épuration s’il veut la voir rouvrir. (Le Livre de Poche)

 

DeMulderCaroline De Mulder, Ego Tango

Le premier roman de cette auteure belge enseignant aux facultés namuroises est extrêmement littéraire et assez sensuel, à l’image de la danse dont il est question. Tout y est mystérieux. D’abord les rapports entre la narratrice et Ezéquiel, l’homme qui partage sa chambre-appartement, vaguement sa vie aussi, qui occupe un peu son esprit, et même son cœur, mais jusqu’à quel point? Elle en parle étrangement, sans passion mais sans indifférence non plus. Et puis il y a le tango. Cette danse que la jeune femme pratique dans plusieurs salles-cafés. Tout, dans ses paroles, dans l’écriture donc, est à fleur des mots. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais plus bas non plus. Le climat est harmonieux, apaisé, même si on devine qu’il ne l’est pas toujours. Transparaît néanmoins une vague intrigue, la disparition de Lou et Alexis de Saint-Ours sur laquelle la danseuse enquête – plus précisément s’interroge. (Babel)

 

DucretDiane Ducret, Corpus Equi

Allusion à Corpus Christi, ce récit est un vibrant message d’amour. D’abord aux chevaux légendaires et historiques qui le sillonnent: Pégase, Bucéphale, Morzillo, Incitatus, jusqu’au Cabaret équestre de Zingaro. Mais surtout au petit poney qui a profondément et douloureusement imprégné la propre histoire de l’auteure, Zascandyl. Cette «mouche du coche», dont elle s’est «entichée» à 11 ans, est devenue son confident, un prolongement d’elle-même. «Nous étions deux enfants et notre bonheur était incommensurable», écrit-elle avec émotion. Mais quatre ans plus tard, alors qu’un avenir radieux lui est promis en compétition équestre, la cavalière se blesse lors d’un concours de sauts d’obstacles. Les opérations s’enchaînent et le verdict est sans appel: elle ne remontera plus. Zascandyl le sent-il? Peu après, alors que, sous le sapin de Noël, une couverture «particulièrement douillette et colorée» ainsi que des friandises lui sont réservées, l’animal meurt victime d’un problème intestinal. Ce n’est qu’au terme de nombreuses années de souffrances et de lutte qu’à 31 ans, Diane Ducret retrouve le chemin de l’écurie. Si l’instinct ancien se réveille en elle, elle doit cependant tout réapprendre. Et vaincre «l’effarement» de ses proches. (Pocket)

 

GaudeLaurent Gaudé, Pour seul cortège

Alexandre le Grand meurt à 33 ans lors d’un banquet à Babylone. On rappelle Dryptéis, fille de Darius III, l’empereur perse qu’il a vaincu, mariée à Héphaistion, son plus proche compagnon mort l’année précédente. Dans le palais, la jeune femme retrouve l’épouse du défunt, sa sœur Stateira qui est enceinte. Au même moment, venu du royaume indien de Pâtalipoutra, un certain Ericléops tente d’approcher le mourant. Après avoir défilé auprès du corps, les anciens généraux de l’armée se partagent l’empire, le glaive entre les dents. Et l’immense cortège funèbre formé de sept groupes de trente pleureuses issus d’empires différents et de 64 mules, prend la route de Tyr, en Macédoine. Où il n’arrivera jamais. On ne sait toujours pas, aujourd’hui, où est la tombe d’Alexandre. Gaudé se soucie moins des faits que de leurs effets sur ses personnages dont, comme souvent, il alterne les points de vue. Par son écriture à la fois épique et intimiste, l’auteur d’Ouragan révèle la profondeur des êtres, leurs pensées et émotions les plus intimes. (Babel)

 

KhadraYasmina Khadra, Les anges meurent de nos blessures

Le romancier algérien raconte l’histoire fictive d’un boxeur au cours des années 20-30 dont le surnom, Turambo, vient de son village natal, Arthur-Rimbaud, rayé de la carte suite à un glissement de terrain. Son père a disparu et il est élevé dans un bidonville par sa mère et un oncle. Au fil de ses errances, il rencontre un garçon juif de son âge, Gino, qui sera son ami pour la vie. Il croise aussi Nora, une prostituée dont il tombe amoureux. Mais, surtout, à la faveur d’un bon gauche qui, lors d’une bagarre, a mis au tapis un boxeur réputé, il découvre les rings. Engagé dans l’écurie d’un certain DeStefano, il est rapidement pris en main par le Duc, l’homme qui fait la pluie et le beau temps dans ce milieu aux mœurs douteuses. Sans cesse, dans cette Algérie coloniale, il est renvoyé à ses origines pauvres et arabes. Surtout lorsqu’il tombe follement amoureux d’Irène, la fille libre et indépendante d’une ancienne gloire du noble art désormais clouée dans un fauteuil. Qui va faire de lui une star à Oran puis dans tout le pays. (Pocket)

 

DugainMarc Dugain, L’Emprise

Une poignée de personnages constitue les socles du roman de l’auteur La Malédiction d’Edgar et d’Une exécution ordinaire. Chef du principal parti d’opposition, Philippe Launay est donné vainqueur à l’élection présidentielle. Son principal adversaire est un membre de son camp qui veut le faire chuter. En révélant, par exemple, un scandale sanitaire lié à des cas de leucémie chez des sportifs du temps où il était ministre de la santé. Le patron d’Arlena, un puissant groupe militaro-industriel alliant électricité et nucléaire, est engagé dans un partenariat secret avec la Chine. Le directeur du renseignement intérieur connaît tout ce beau monde qu’il peut faire chanter à sa guise. Et c’est l’une de ses agents, Loraine, chargée d’enquêter sur la disparition d’un employé d’Arlena un peu trop curieux, qui va relier faits et personnages en une toile aussi diabolique qu’inquiétante. Pendant que les politiciens «s’amusent entre eux», des consortiums énergétiques et nucléaires déploient leurs tentacules sur la planète en faisant fi des frontières. Tout cela est assez effrayant. Vient de paraître chez Gallimard la deuxième partie de ce triptyque,  Quinquennat. (Folio)

 

 

DelperdangePatrick Delperdange, Chants des gorges

Un garçon, enfant unique qui ne connaît ni son âge, ni son prénom – il se définit simplement comme «le fils de Marie» -, fuit son village «noir et pourri» suite au meurtre du curé dont il est accusé. Il s’en défend, se souvenant seulement que le saint homme, à qui il était venu demander du travail, voulait faire «des saletés» avec lui. Dans son parcours à la fois violent et spirituel, cet enfant silencieux, innocent, va croiser des personnes qui tenteront de le comprendre et sur lesquelles il exercera à chaque fois une fascination aussi forte qu’inexplicable. Il est avant tout question d’écriture dans ce récit dont les personnages, qui prennent alternativement la parole, existent davantage par ce qu’ils disent que par ce qu’ils font. La magie du livre (Prix Rossel 2005) est de créer un univers impalpable, indéfinissable. Où sommes-nous? Dans le réel ou dans l’imaginaire? Dans notre monde ou dans un autre fantasmé? Son écriture, très forte, emprisonne le lecteur dans les mêmes filets que ceux qui retiennent ses ombres, ne cessant de le déstabiliser, de provoquer chez lui ce sentiment de dépaysement. (Espace Nord)

 

MinardCéline Minard, Faillir être flingué

Couronné par plusieurs prix (Livre inter, Virilo, Style), ce roman a été l’une des grandes révélations de la rentrée 2013. Au début du XIXe siècle, un charriot brinquebalant tiré par des bœufs traverse l’Ouest américain. A son bord, deux frères, Joffrey et Brad, le fils de celui-ci, Josh, et leur vieille mère agonisante et hurlante. D’autres égarés, tel Bird, qui a volé son cheval à Elie, convergent avec eux vers une improbable ville en train de se construire de part et d’autre d’une rue boueuse, où le premier bâtiment en dur est un saloon. Suite de portraits très réalistes, ce western recrée un monde presque d’un autre temps tant ce genre est passé de mode, le peuplant d’un faune particulièrement bigarrée, composée des pionniers et de voleurs de chevaux, de commerçants et d’entrepreneurs, d’Indiens et de Chinois, et même d’un tueur à gages. Vaille que vaille, une nouvelle société s’organise. (Rivages Poche)

 

DeserableFrançois-Henri Désérable, Tu montreras ma tête au peuple

En reprenant, comme titre de son premier livre la première partie de la célèbre phrase lancée par Danton au pied de l’échafaud à l’adresse du bourreau Sanson, complétée d’un bravache et désespéré «elle en vaut la peine», François-Henri Désérable dévoile son projet: parler des têtes tranchées par la guillotine durant la Révolution française. Celles de Charlotte Corday, pour avoir assassiné Marat dans sa baignoire, de Marie-Antoinette, rebaptisée «la grue» ou «véto femelle» par le Père Duchesne, celles des Girondins, de Lavoisier, «le plus grand esprit français du siècle», du poète André Chénier, du philosophe allemand naturalisé français Adam Lux, et finalement de Robespierre dont les dernières vingt-quatre heures sont retracées par le gendarme Merda qui, d’un coup de pistolet, lui a transpercé la mâchoire. Apparaît même un personnage de fiction, le marquis de Lantenac, contre-révolutionnaire vendéen héros de Quatre-Vingt-Treize d’Hugo, ainsi que le petit-fils de Sanson. L’auteur se montre fidèle à la réalité, même lorsqu’il fait parler ou penser ses personnages, et mêle avec brio différents types d’écritures. (Folio)

 

FournierJean-Louis Fournier, La Servante du Seigneur

C’est un père amer, dépité, autant dire fort malheureux qui signe ce récit adressé à sa fille Marie, jadis «charmante et drôle», désormais «dame grise», «sérieuse comme un pape». Bref tout ce que déteste l’auteur pessimiste à l’humour glacial d’Où on va papa? ou de Poète et paysan. Il y a dix ans, la jeune femme a quitté la ville, et donc Jean-Louis et Sylvie, sa seconde femme (décédée depuis, comme il l’a raconté dans Veuf), et s’est installée sur la côte «pour créer». Elle a rencontré «Monseigneur», un homme sérieux, pontifiant qui aurait enseigné la théologie, est devenue «bigote» puis a abandonné son métier de graphiste – mais réclame pour Noël un 4X4 – et ne téléphone plus guère. Hier fraîche et légère, aujourd’hui «dogmatique» et «autoritaire», elle fait la morale aux autres et ne doute plus de rien. Hier, elle écrivait des lettres aimantes, aujourd’hui, elle traite son père de «vieil égoïste» qui a «fait du tort aux autres» et de «vieil avare» en pronostiquant sa mort prochaine. Cette lettre ouverte, qui se termine par un désespéré «Reviens, avant que je m’en aille», est probablement le livre le plus noir de son auteur. Même si l’humour court en filigrane. Dans sa seconde édition, l’éditeur a ajouté la réponse de l’intéressée: bête et affligeante. Bref, fidèle au portrait dressé dans les pages précédentes. (Le Livre de Poche)

 

GardeFrançois Garde, Pour trois couronnes

Tout part d’une rumeur qui court dans tous les ports du monde selon laquelle des marins seraient rémunérés par des maris stériles pour faire anonymement un enfant à leur femme. Karen Blixen en a fait une nouvelle, Une histoire immortelle, transposée au cinéma par Orson Welles. Le héros du deuxième roman de François Garde, après l’étonnant Ce qu’il advint de l’homme blanc, un «curateur aux documents privés» d’origine libanaise dont le père est mort dans des circonstances restées mystérieuses, lit cette légende dans les papiers du patron français d’une grande société new-yorkaise qui vient de mourir. Est-elle autobiographique? Enquêtant à la demande de la veuve, il découvre que cet homme a bien été marin autour de sa vingtième année et qu’à la fin des années 1940, il a quitté son bateau à New York pour créer une entreprise de transport maritime. Avec les trois couronnes en or que, d’après son récit, il aurait reçues en échange du «service» rendu? La réponse pourrait se trouver à Bourg-Tapage, une ancienne colonie insulaire française imaginaire où le défunt aurait, lors d’une escale, mis enceinte l’épouse d’un notable local. Il aurait donc un héritier lui qui, officiellement, n’en a pas. Ce jeu de piste intrigant, remarquablement mené, possède de nombreuses et passionnantes ramifications qui en accroissent encore la valeur. (Folio)

 

HanotteXavier Hanotte, Derrière la colline

Nouvelle édition en poche de ce roman qui est l’un des plus puissants écrits sur la Première Guerre mondiale. Il évoque le destin des soldats britanniques venus se battre, et pour beaucoup mourir, dans les tranchées de la Somme et d’Ypres. Son narrateur, Nigel Persoons, en deuil d’une histoire d’amour, s’engage dans la New Army formée de toutes pièces avec des volontaires par Lord Kitchiner. Mêlant subtilement l’intime et le spectaculaire, le réel et l’imaginaire, Hanotte suit son personnage sur les routes de France et de Belgique, en compagnie d’un jardinier de son âge, engagé comme lui et qui deviendra son compagnon d’infortune. La bataille pour une colline où sera construit ce qu’il nomme le «monstre», en fait le mémorial de Thiepval, constitue notamment un admirable morceau de littérature. (Espace Nord)

 

 

LapointeLéo Lapointe, Le planqué des huttes

Voici abordé sous une forme romanesque un élément peu connu de la Première Guerre mondiale: l’installation sur la côte picarde, dans un camp construit par l’armée britannique, de travailleurs chinois (à Noyelles-sur-Mer, dans la Somme, se situe d’ailleurs le très émouvant cimetière chinois de Nolette, le plus important de France et d’Europe). Cet événement, l’auteur le colore d’une solide trame romanesque: une famille persécutée par un commissaire voué à faire le malheur de ce qu’il considère comme «un foyer de rébellion». Au moment où la guerre est déclarée, l’oncle anarchisant est au bagne (l’anarchie à la Belle Epoque est l’un des sujets du livre) et le fils aîné envoyé au front (où, à cause de son tonton, il est tenu à l’œil). La petite tribu doit bientôt faire face à un autre souci: ses terres sont dans le périmètre réservé au cantonnement chinois. Pas seulement leur parcelle de terrain, d’ailleurs: leur ferme aussi. Et en période de guerre, «ils» ont tous les droits. Voilà un très bon roman, très bien documenté, sur la guerre elle-même, ses batailles, son évolution. Ainsi que sur la vie d’une famille et d’un village français en ces temps chahutés. (Pôle Nord Editions)

 

TessonSylvain Tesson, S’abandonner à vivre

Deux alpinistes qui font une désagréable découverte en arrivant au sommet du Takkakor, dans le massif du Hoggar; un homme victime de la «fracture des amoureux» touchant l’amant sautant du balcon pour échapper au mari; un lieutenant français visé, en Afghanistan, par un snipper islamiste pour des raisons bien peu religieuses; un facteur réunionnais qui évite de perturber une destinée humaine en empêchant un jeune homme de récupérer sa lettre: voici quelques-uns des héros de la quinzaine de nouvelles réunies dans ce recueil signé de l’auteur de Dans les forêts de Sibérie, arpenteur des grands espaces à vélo (tour du monde) et à pied (Himalaya) avec Alexandre Poussin, puis à cheval (en Asie centrale) avec Priscilla Telmon. Ce géographe de formation situe ses histoires en France mais aussi aux Etats-Unis, en Lettonie, en Chine ou en Russie. Autant d’univers qui parlent de l’homme, de ses espoirs et de ses regrets, de la vie qui est la sienne et de celle dont il rêve. (Folio)

 

 

SeksikLaurent Seksik, Le cas Eduard Einstein

«Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution», écrit Albert Einstein. L’homme le plus célèbre de son époque avait effectivement un fils schizophrène qui, entré à 20 ans dans un asile à Zurich, y finit sa vie trente-cinq ans plus tard comme jardinier, dans un total dénuement. C’est en écrivant la biographie du Prix Nobel pour la collection Folio que Laurent Seksik a découvert son existence. Une fois installé aux Etats-Unis suite à l’arrivée au pouvoir d’Hitler, et après un séjour sur la côte belge, le scientifique allemand, qui a divorcé de la mère de ses trois enfants (une fille probablement morte en bas âge dont l’existence n’a été révélée qu’en 1985 et deux fils), ne va plus s’occuper d’Eduard. Le roman alterne les points de vue d’Albert, de sa première femme, Mileva, et d’Eduard lui-même à qui Seksik, s’inspirant principalement de ses lettres, donne la parole. (J’ai Lu)

 

 

MordillatGérard Mordillat, Xénia

Après Ce que savait Jennie, l’auteur des Vivants et les morts s’attache une nouvelle fois à un destin individuel pour mieux revenir aux combats de classe. Xenia habite la Cité des Proverbes, un ensemble de tours comme il en existe des dizaines aux abords des villes françaises. Le jour de ses 23 ans, son compagnon déserte leur deux-pièces, la laissant seule avec son bébé de quelques mois. Ce qui ne l’arrange pas: elle travaille en effet pour une société de nettoyage aux horaires chaotiques qui, de surcroît, l’exploite financièrement. Impossible dès lors de payer une garde d’enfant, déjà que pour remplir le frigo… Parfois, elle dépose Ryan à la superette algérienne du coin. Parfois c’est sa voisine, caissière dans une grande surface, qui le garde, mais ses horaires sont également variables, ou encore le fils de celle-ci, un ado métis amoureux d’elle et un peu trop pressant. Sinon, elle le prend avec elle au boulot. Ce qui enrage son patron qui finit par la renvoyer. D’autant plus qu’elle se bat pour ses droits et ceux de ses compagnes de galère, la plupart étrangères, certaines sans papier. Dans cet univers sombre, un coin de ciel bleu apparaît sous la forme du directeur de la banque où elle fait le ménage. Cet homme divorcé refuse d’appliquer le plan de licenciement que sa direction veut lui imposer, malgré les bénéfices engrangés. Le romancier-cinéaste aborde sans se lasser des problématiques largement absentes de la littérature et du cinéma français, ici la précarité ou les travailleurs sans-papiers. (Le Livre de Poche)

 

RiceÉva Rice, Londres par hasard

«Maman accouchait de la même façon qu’elle préparait le feu ou le rôti du dimanche – avec un minimum d’histoire et un maximum d’efficacité.» L’auteure d’une phrase pareille mérite qu’on s’y arrête, et on aura raison car elle a écrit un roman bourré de charme. Après L’amour comme par hasard, la très British Eva Rice fait une nouvelle fois mouche avec Londres par hasard (titre français à la limite de l’arnaque, mais bon). Celle qui parle est Tara, père pasteur à la «main de fer» en Cornouailles, mère décédée d’une hémorragie après avoir mis au monde son huitième enfant. L’histoire se passe à la charnière des années 1950-60 marquées par la naissance de nouveaux sons notamment incarnés par Elvis ou les Beatles. La musique est d’ailleurs au centre du roman puisque sa narratrice, membre d’une chorale, est repérée par un producteur de disques qui l’entraîne à Londres. Où, accompagnée de sa sœur admirée, elle découvre des plaisirs inconnus… et l’amour. Avec une bonne dose d’humour, la romancière fait évoluer ses personnages attachants dans un monde en plein bouillonnement culturel qu’elle recrée avec fougue et malice. (Le Livre de Poche)

SinoueGilbert Sinoué, La Nuit de Maritzburg

C’est un Gandhi moins connu que le Mahatma non violent luttant pour l’indépendance de l’Inde que met en scène Gilbert Sinoué dans ce livre vibrant et solidement documenté. Son narrateur est Hermann Kallenbach, un brillant architecte juif allemand qui fut, pendant une décennie, l’ami intime de l’avocat arrivé en 1893 en Afrique du Sud pour défendre une entreprise indienne. Il est à la fois fasciné par la volonté et la force morale de celui qui se bat pour la reconnaissance des droits de la minorité indienne et effrayé par les excès auxquels un trop grand emballement peut le mener. C’est un visage double du futur ascète qui nous est ainsi présenté. Peu flatteur lorsqu’il est dépeint en amateur de luxe, égoïste, tyran domestique volontiers cruel avec sa femme, et parfois naïf. Mais aussi combatif et porteur d’un destin. Confronté à la ségrégation raciale et à l’humiliation envers les gens de couleur – la première fois dans un train dont il est éjecté une nuit à Maritzburg -, c’est durant ces années-là, qu’expérimentant la résistance passive qu’il pratiquera plus tard avec succès, le personnage se mue progressivement en celui qui fera plier l’empire britannique.  (J’ai Lu)

 

BorisHugo Boris, Trois grands fauves

Qu’est-ce qui relie Danton, Hugo et Churchill? D’avoir brisé le signe indien pour se forger un destin hors du commun. Enfant, le futur tribun révolutionnaire a failli mourir piétiné et embroché par un taureau. A sa naissance, on ne donnait pas cher de la vie du futur auteur des Misérables dont le cœur battait à peine. Et celui qui, comme premier ministre, symbolisera la résistance britannique à l’offensive nazie fut, toute sa jeunesse, ignoré, méprisé par un père qu’il n’a pourtant jamais cessé d’admirer. D’une belle écriture, Hugo Boris raconte ces vies dévorées à pleines dents en s’arrêtant sur quelques épisodes-clés. Notamment ceux concernant Churchill, les plus passionnants et les moins connus. Tels son enfance et ses rapports très compliqués avec son père et une scène très étonnante dans un restaurant du sud de la France après la guerre. (Pocket)

 

 

ThiryMarcel Thiry, Nouvelles du Grand possible

En 1960, Marcel Thiry réunit sous ce titre quatre récits: Distances, Je viendrai comme un voleur, Le Concerto pour Anne Queur et La Pièce dans la Pièce, précédés d’une préface de Robert Vivier. Dans une édition postérieure, cinq nouvelles puisées dans deux recueils datant de 1936 et 1963 sont venus se greffer à ce quatuor réduit de moitié. Après une première réédition chez Espace Nord de nouveau chamboulée, les neuf textes sont enfin réunis dans ce volume augmenté d’une postface de Pascal Durand. «Les avatars du recueil, écrit celui-ci, s’ajustent assez bien, si l’on veut, au flou dont s’entourent les territoires du Grand Possible explorés par Thiry ainsi qu’aux télescopages de plans et de perspectives dont ils sont le lieu mouvant.» On croise un quinquagénaire dont la fille est morte pendant son voyage de noces Outre-Atlantique mais qui, grâce au décalage horaire, la retrouve vivante dans la carte postale qu’il reçoit; un ingénieur russe qui rencontre, en 1943, dans le train Mons-Bruxelles, une femme russe évadée d’un camp en Bavière déguisée en soldat allemand; un savant «belgo-noir» affirmant avoir rendu la vie à un cadavre chargé de rappeler «sur cette terre» une jeune fille tuée au cours d’une «discussion orageuse» avec son père propriétaire de brasseries; ou encore un magistrat qui s’adresse à la femme mariée qu’il a aimée en affirmant que tout ce qui a été sa vie n’est pas «aboli» puisqu’il lui parle. «Partant de cette idée forte d’un réel à double-fond, écrit Pascal Durand, un scénario minimal s’embraie dont chaque nouvelle proposera  une variation particulière. Ce scénario consiste pour  l’essentiel à placer un personnage dans une situation limite où tout à coup s’impose à lui la révélation de cette duplicité, par un effet de rupture, d’un décalage, d’une distorsion dans le cours de son existence ordinaire.» (Espace Nord)

 

 

Michel Paquot
Juin 2015

 

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant


� Universit� de Li�ge - https://culture.uliege.be - 24 avril 2024