Lectures pour l'été 2015 - Poches - Littérature française

 

TessonSylvain Tesson, S’abandonner à vivre

Deux alpinistes qui font une désagréable découverte en arrivant au sommet du Takkakor, dans le massif du Hoggar; un homme victime de la «fracture des amoureux» touchant l’amant sautant du balcon pour échapper au mari; un lieutenant français visé, en Afghanistan, par un snipper islamiste pour des raisons bien peu religieuses; un facteur réunionnais qui évite de perturber une destinée humaine en empêchant un jeune homme de récupérer sa lettre: voici quelques-uns des héros de la quinzaine de nouvelles réunies dans ce recueil signé de l’auteur de Dans les forêts de Sibérie, arpenteur des grands espaces à vélo (tour du monde) et à pied (Himalaya) avec Alexandre Poussin, puis à cheval (en Asie centrale) avec Priscilla Telmon. Ce géographe de formation situe ses histoires en France mais aussi aux Etats-Unis, en Lettonie, en Chine ou en Russie. Autant d’univers qui parlent de l’homme, de ses espoirs et de ses regrets, de la vie qui est la sienne et de celle dont il rêve. (Folio)

 

 

SeksikLaurent Seksik, Le cas Eduard Einstein

«Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution», écrit Albert Einstein. L’homme le plus célèbre de son époque avait effectivement un fils schizophrène qui, entré à 20 ans dans un asile à Zurich, y finit sa vie trente-cinq ans plus tard comme jardinier, dans un total dénuement. C’est en écrivant la biographie du Prix Nobel pour la collection Folio que Laurent Seksik a découvert son existence. Une fois installé aux Etats-Unis suite à l’arrivée au pouvoir d’Hitler, et après un séjour sur la côte belge, le scientifique allemand, qui a divorcé de la mère de ses trois enfants (une fille probablement morte en bas âge dont l’existence n’a été révélée qu’en 1985 et deux fils), ne va plus s’occuper d’Eduard. Le roman alterne les points de vue d’Albert, de sa première femme, Mileva, et d’Eduard lui-même à qui Seksik, s’inspirant principalement de ses lettres, donne la parole. (J’ai Lu)

 

 

MordillatGérard Mordillat, Xénia

Après Ce que savait Jennie, l’auteur des Vivants et les morts s’attache une nouvelle fois à un destin individuel pour mieux revenir aux combats de classe. Xenia habite la Cité des Proverbes, un ensemble de tours comme il en existe des dizaines aux abords des villes françaises. Le jour de ses 23 ans, son compagnon déserte leur deux-pièces, la laissant seule avec son bébé de quelques mois. Ce qui ne l’arrange pas: elle travaille en effet pour une société de nettoyage aux horaires chaotiques qui, de surcroît, l’exploite financièrement. Impossible dès lors de payer une garde d’enfant, déjà que pour remplir le frigo… Parfois, elle dépose Ryan à la superette algérienne du coin. Parfois c’est sa voisine, caissière dans une grande surface, qui le garde, mais ses horaires sont également variables, ou encore le fils de celle-ci, un ado métis amoureux d’elle et un peu trop pressant. Sinon, elle le prend avec elle au boulot. Ce qui enrage son patron qui finit par la renvoyer. D’autant plus qu’elle se bat pour ses droits et ceux de ses compagnes de galère, la plupart étrangères, certaines sans papier. Dans cet univers sombre, un coin de ciel bleu apparaît sous la forme du directeur de la banque où elle fait le ménage. Cet homme divorcé refuse d’appliquer le plan de licenciement que sa direction veut lui imposer, malgré les bénéfices engrangés. Le romancier-cinéaste aborde sans se lasser des problématiques largement absentes de la littérature et du cinéma français, ici la précarité ou les travailleurs sans-papiers. (Le Livre de Poche)

 

RiceÉva Rice, Londres par hasard

«Maman accouchait de la même façon qu’elle préparait le feu ou le rôti du dimanche – avec un minimum d’histoire et un maximum d’efficacité.» L’auteure d’une phrase pareille mérite qu’on s’y arrête, et on aura raison car elle a écrit un roman bourré de charme. Après L’amour comme par hasard, la très British Eva Rice fait une nouvelle fois mouche avec Londres par hasard (titre français à la limite de l’arnaque, mais bon). Celle qui parle est Tara, père pasteur à la «main de fer» en Cornouailles, mère décédée d’une hémorragie après avoir mis au monde son huitième enfant. L’histoire se passe à la charnière des années 1950-60 marquées par la naissance de nouveaux sons notamment incarnés par Elvis ou les Beatles. La musique est d’ailleurs au centre du roman puisque sa narratrice, membre d’une chorale, est repérée par un producteur de disques qui l’entraîne à Londres. Où, accompagnée de sa sœur admirée, elle découvre des plaisirs inconnus… et l’amour. Avec une bonne dose d’humour, la romancière fait évoluer ses personnages attachants dans un monde en plein bouillonnement culturel qu’elle recrée avec fougue et malice. (Le Livre de Poche)

SinoueGilbert Sinoué, La Nuit de Maritzburg

C’est un Gandhi moins connu que le Mahatma non violent luttant pour l’indépendance de l’Inde que met en scène Gilbert Sinoué dans ce livre vibrant et solidement documenté. Son narrateur est Hermann Kallenbach, un brillant architecte juif allemand qui fut, pendant une décennie, l’ami intime de l’avocat arrivé en 1893 en Afrique du Sud pour défendre une entreprise indienne. Il est à la fois fasciné par la volonté et la force morale de celui qui se bat pour la reconnaissance des droits de la minorité indienne et effrayé par les excès auxquels un trop grand emballement peut le mener. C’est un visage double du futur ascète qui nous est ainsi présenté. Peu flatteur lorsqu’il est dépeint en amateur de luxe, égoïste, tyran domestique volontiers cruel avec sa femme, et parfois naïf. Mais aussi combatif et porteur d’un destin. Confronté à la ségrégation raciale et à l’humiliation envers les gens de couleur – la première fois dans un train dont il est éjecté une nuit à Maritzburg -, c’est durant ces années-là, qu’expérimentant la résistance passive qu’il pratiquera plus tard avec succès, le personnage se mue progressivement en celui qui fera plier l’empire britannique.  (J’ai Lu)

 

BorisHugo Boris, Trois grands fauves

Qu’est-ce qui relie Danton, Hugo et Churchill? D’avoir brisé le signe indien pour se forger un destin hors du commun. Enfant, le futur tribun révolutionnaire a failli mourir piétiné et embroché par un taureau. A sa naissance, on ne donnait pas cher de la vie du futur auteur des Misérables dont le cœur battait à peine. Et celui qui, comme premier ministre, symbolisera la résistance britannique à l’offensive nazie fut, toute sa jeunesse, ignoré, méprisé par un père qu’il n’a pourtant jamais cessé d’admirer. D’une belle écriture, Hugo Boris raconte ces vies dévorées à pleines dents en s’arrêtant sur quelques épisodes-clés. Notamment ceux concernant Churchill, les plus passionnants et les moins connus. Tels son enfance et ses rapports très compliqués avec son père et une scène très étonnante dans un restaurant du sud de la France après la guerre. (Pocket)

 

 

ThiryMarcel Thiry, Nouvelles du Grand possible

En 1960, Marcel Thiry réunit sous ce titre quatre récits: Distances, Je viendrai comme un voleur, Le Concerto pour Anne Queur et La Pièce dans la Pièce, précédés d’une préface de Robert Vivier. Dans une édition postérieure, cinq nouvelles puisées dans deux recueils datant de 1936 et 1963 sont venus se greffer à ce quatuor réduit de moitié. Après une première réédition chez Espace Nord de nouveau chamboulée, les neuf textes sont enfin réunis dans ce volume augmenté d’une postface de Pascal Durand. «Les avatars du recueil, écrit celui-ci, s’ajustent assez bien, si l’on veut, au flou dont s’entourent les territoires du Grand Possible explorés par Thiry ainsi qu’aux télescopages de plans et de perspectives dont ils sont le lieu mouvant.» On croise un quinquagénaire dont la fille est morte pendant son voyage de noces Outre-Atlantique mais qui, grâce au décalage horaire, la retrouve vivante dans la carte postale qu’il reçoit; un ingénieur russe qui rencontre, en 1943, dans le train Mons-Bruxelles, une femme russe évadée d’un camp en Bavière déguisée en soldat allemand; un savant «belgo-noir» affirmant avoir rendu la vie à un cadavre chargé de rappeler «sur cette terre» une jeune fille tuée au cours d’une «discussion orageuse» avec son père propriétaire de brasseries; ou encore un magistrat qui s’adresse à la femme mariée qu’il a aimée en affirmant que tout ce qui a été sa vie n’est pas «aboli» puisqu’il lui parle. «Partant de cette idée forte d’un réel à double-fond, écrit Pascal Durand, un scénario minimal s’embraie dont chaque nouvelle proposera  une variation particulière. Ce scénario consiste pour  l’essentiel à placer un personnage dans une situation limite où tout à coup s’impose à lui la révélation de cette duplicité, par un effet de rupture, d’un décalage, d’une distorsion dans le cours de son existence ordinaire.» (Espace Nord)

 

 

Michel Paquot
Juin 2015

 

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

Page : précédente 1 2 3 4 5 6