Lectures pour l'été 2015 - Poches - Littérature française

LafonLola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais

Aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976, après avoir évolué sur la poutre, une Roumaine de 14 ans attend son résultat. La note s’affiche: 1,0. Personne ne comprend, l’exercice a été parfait. Le public siffle, tout le monde s’affaire. En fait, c’est 10 qu’il faut lire, mais le tableau ne permet pas un score à deux chiffres. Du jamais vu. Six autres notes maximales suivront. Nadia Comaneci entre dans l’histoire. C’est son destin que raconte Lola Lafon avec une remarquable exigence stylistique et morale. Au déroulé de la courte carrière de son héroïne, au face à face tendu entre les systèmes en vigueur de part et d’autre du Rideau de fer, l’auteure ajoute une strate supplémentaire: les échanges téléphoniques totalement fictifs entre la narratrice et celle qui vit depuis novembre 1989 aux Etats-Unis. C’est par la voix de celle-ci que sont rectifiés les clichés liés à la Roumanie – où Lola Lafon a vécu de 3 à 12 ans – et que, d’une certaine manière, sont renvoyés dos-à-dos les conditionnements communistes d’hier et le capitaliste d’aujourd’hui. Lola Lafon suit «Nadia C.» de ses premiers agrès à sa fuite du pays quelques jours avant la chute puis l’exécution des époux Ceausescu. Soit plusieurs compétitions internationales où l’imbrication entre le sport et la géopolitique se reflète dans la haine opposant, par athlètes interposés, les sœurs ennemies roumaines et soviétiques. Tout au long des années 1980, Nadia Comaneci doit faire face à deux types d’attaques: sa proximité avec le régime, d’une part, d’avoir grandi, d’être devenue une femme et donc d’avoir perdu sa «fraîcheur», d’autre part. (Babel)

 

MukosongaScholastique Mukasonga, Ce que murmurent les collines

Voici un recueil de six nouvelles à travers lesquelles l'écrivaine rwandaise fait revivre la culture de son pays natal (et qui possèdent chacune en guise de postface des "notes à l'attention du lecteur curieux"). Dans l'une, l’auteure de Notre-Dame du Nil (Prix Renaudot 2012, Folio), raconte la nostalgie de sa mère pour une rivière, la Rukara, qui est la sienne mais qu'elle n'a pourtant jamais connue. Dans une autre, à travers une cordelette à laquelle est accroché un bout de bois et dont une étudiante en sociologie, même nue, ne se sépare pas, elle évoque la cohabitation entre croyances et légendes vernaculaires et rites religieux importés par les pères chrétiens. Dans une troisième, il est question d’une rivalité entre le roi Musinga, qui affirme que le Rwanda lui appartient, et les autorités belges qui, vantant leur apport civilisationnel, veulent le faire venir à Kigali, «leur» capitale. Dans le dernier texte, enfin, à travers l’année scolaire d’un pygmée (Cyprien le Mutwa) envoyé par un missionnaire, qui s’avère être meilleur élève que ses condisciples, on découvre le rejet dont sont victimes ces «parias» chez les Rwandais. (Folio)

 

StibbeIsabelle Stibbe, Bérénice 34-44

On aimerait que tous les premiers romans soient de la qualité de celui-ci ! C’est dans un monde qu’elle connaît bien, celui du théâtre parisien, que l’ancienne responsable des publications de la Comédie française, aujourd’hui secrétaire générale de l’Athénée Théâtre, plonge son héroïne, Bérénice, jeune juive née en 1919 dont le prénom est emprunté à Racine. Un prénom prédestiné puisque, contre l’avis de ses parents, elle veut être comédienne. Elle vise la voie royale: le conservatoire, dans la classe de Louis Jouvet, puis la Comédie française pour jouer les grands textes du répertoire, Lorenzaccio, Le Cid et même, qui sait, Le Soulier de Satin que s’apprête à monter Jean-Louis Barrault. Mais la guerre va en décider autrement. Interdite de jouer, elle se cache chez un ami avocat-poète tandis que son mari fuit la France pour l’Espagne avec l’intention de gagner les États-Unis. Cette histoire, belle, émouvante, puissante, raconte magnifiquement une page d’histoire peu connue en s’appuyant sur des faits et documents réels. Notamment le psychodrame qui conduit Jacques Copeau, directeur de la Comédie française, à accepter son épuration s’il veut la voir rouvrir. (Le Livre de Poche)

 

DeMulderCaroline De Mulder, Ego Tango

Le premier roman de cette auteure belge enseignant aux facultés namuroises est extrêmement littéraire et assez sensuel, à l’image de la danse dont il est question. Tout y est mystérieux. D’abord les rapports entre la narratrice et Ezéquiel, l’homme qui partage sa chambre-appartement, vaguement sa vie aussi, qui occupe un peu son esprit, et même son cœur, mais jusqu’à quel point? Elle en parle étrangement, sans passion mais sans indifférence non plus. Et puis il y a le tango. Cette danse que la jeune femme pratique dans plusieurs salles-cafés. Tout, dans ses paroles, dans l’écriture donc, est à fleur des mots. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais plus bas non plus. Le climat est harmonieux, apaisé, même si on devine qu’il ne l’est pas toujours. Transparaît néanmoins une vague intrigue, la disparition de Lou et Alexis de Saint-Ours sur laquelle la danseuse enquête – plus précisément s’interroge. (Babel)

 

DucretDiane Ducret, Corpus Equi

Allusion à Corpus Christi, ce récit est un vibrant message d’amour. D’abord aux chevaux légendaires et historiques qui le sillonnent: Pégase, Bucéphale, Morzillo, Incitatus, jusqu’au Cabaret équestre de Zingaro. Mais surtout au petit poney qui a profondément et douloureusement imprégné la propre histoire de l’auteure, Zascandyl. Cette «mouche du coche», dont elle s’est «entichée» à 11 ans, est devenue son confident, un prolongement d’elle-même. «Nous étions deux enfants et notre bonheur était incommensurable», écrit-elle avec émotion. Mais quatre ans plus tard, alors qu’un avenir radieux lui est promis en compétition équestre, la cavalière se blesse lors d’un concours de sauts d’obstacles. Les opérations s’enchaînent et le verdict est sans appel: elle ne remontera plus. Zascandyl le sent-il? Peu après, alors que, sous le sapin de Noël, une couverture «particulièrement douillette et colorée» ainsi que des friandises lui sont réservées, l’animal meurt victime d’un problème intestinal. Ce n’est qu’au terme de nombreuses années de souffrances et de lutte qu’à 31 ans, Diane Ducret retrouve le chemin de l’écurie. Si l’instinct ancien se réveille en elle, elle doit cependant tout réapprendre. Et vaincre «l’effarement» de ses proches. (Pocket)

 

GaudeLaurent Gaudé, Pour seul cortège

Alexandre le Grand meurt à 33 ans lors d’un banquet à Babylone. On rappelle Dryptéis, fille de Darius III, l’empereur perse qu’il a vaincu, mariée à Héphaistion, son plus proche compagnon mort l’année précédente. Dans le palais, la jeune femme retrouve l’épouse du défunt, sa sœur Stateira qui est enceinte. Au même moment, venu du royaume indien de Pâtalipoutra, un certain Ericléops tente d’approcher le mourant. Après avoir défilé auprès du corps, les anciens généraux de l’armée se partagent l’empire, le glaive entre les dents. Et l’immense cortège funèbre formé de sept groupes de trente pleureuses issus d’empires différents et de 64 mules, prend la route de Tyr, en Macédoine. Où il n’arrivera jamais. On ne sait toujours pas, aujourd’hui, où est la tombe d’Alexandre. Gaudé se soucie moins des faits que de leurs effets sur ses personnages dont, comme souvent, il alterne les points de vue. Par son écriture à la fois épique et intimiste, l’auteur d’Ouragan révèle la profondeur des êtres, leurs pensées et émotions les plus intimes. (Babel)

 

KhadraYasmina Khadra, Les anges meurent de nos blessures

Le romancier algérien raconte l’histoire fictive d’un boxeur au cours des années 20-30 dont le surnom, Turambo, vient de son village natal, Arthur-Rimbaud, rayé de la carte suite à un glissement de terrain. Son père a disparu et il est élevé dans un bidonville par sa mère et un oncle. Au fil de ses errances, il rencontre un garçon juif de son âge, Gino, qui sera son ami pour la vie. Il croise aussi Nora, une prostituée dont il tombe amoureux. Mais, surtout, à la faveur d’un bon gauche qui, lors d’une bagarre, a mis au tapis un boxeur réputé, il découvre les rings. Engagé dans l’écurie d’un certain DeStefano, il est rapidement pris en main par le Duc, l’homme qui fait la pluie et le beau temps dans ce milieu aux mœurs douteuses. Sans cesse, dans cette Algérie coloniale, il est renvoyé à ses origines pauvres et arabes. Surtout lorsqu’il tombe follement amoureux d’Irène, la fille libre et indépendante d’une ancienne gloire du noble art désormais clouée dans un fauteuil. Qui va faire de lui une star à Oran puis dans tout le pays. (Pocket)

 

DugainMarc Dugain, L’Emprise

Une poignée de personnages constitue les socles du roman de l’auteur La Malédiction d’Edgar et d’Une exécution ordinaire. Chef du principal parti d’opposition, Philippe Launay est donné vainqueur à l’élection présidentielle. Son principal adversaire est un membre de son camp qui veut le faire chuter. En révélant, par exemple, un scandale sanitaire lié à des cas de leucémie chez des sportifs du temps où il était ministre de la santé. Le patron d’Arlena, un puissant groupe militaro-industriel alliant électricité et nucléaire, est engagé dans un partenariat secret avec la Chine. Le directeur du renseignement intérieur connaît tout ce beau monde qu’il peut faire chanter à sa guise. Et c’est l’une de ses agents, Loraine, chargée d’enquêter sur la disparition d’un employé d’Arlena un peu trop curieux, qui va relier faits et personnages en une toile aussi diabolique qu’inquiétante. Pendant que les politiciens «s’amusent entre eux», des consortiums énergétiques et nucléaires déploient leurs tentacules sur la planète en faisant fi des frontières. Tout cela est assez effrayant. Vient de paraître chez Gallimard la deuxième partie de ce triptyque,  Quinquennat. (Folio)

 

 

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