Lectures pour l'été 2015 - Poches - Littérature française

QuirinyBernard Quiriny, Le village évanoui

Bernard Quiriny aime les univers décalés, tant dans ses nouvelles (Contes carnivores, Chroniques assassines) que dans son premier roman, Les Assoiffées, portrait d’une Belgique devenue une dictature dirigée par une femme. Le Village évanoui s’inscrit dans la même veine. Ne pouvant plus quitter leur bourg, les habitants de Châtillon-sur-Bierre passent de la stupeur au désarroi. Tant bien que mal, ils tentent de s’organiser, notamment pour faire face au progressif épuisement des stocks alimentaires. Mais bientôt, sous la bannière d’un agriculteur, une partie de la population se retranche dans un ranch de plusieurs hectares qui vit en autosuffisance. La discipline y est sévère, transformant ce qui aurait pu être une forme d’utopie communautaire en un mini-Etat autoritaire. (J’ai Lu)

 

 

CarlierChristophe Carlier, L’Euphorie des places de marché

Après L’Assassin à la Pomme verte, auréolé de plusieurs prix (dont celui du Premier roman), et un livre sur Sempé, Christophe Carlier signe un revigorant Euphorie des places financières. Norbert Langlois dirige une société de livraison de bureaux. Il se délecte à l’écoute des chroniques économiques alarmistes – retraites, dettes, chômage -, se shoote aux impitoyables sentences des agences de notation. Agathe, sa secrétaire, passe ses journées à faire des mots fléchés et à commenter les faits divers avec ses collègues. La considérant comme un obstacle au développement de son entreprise, son patron aimerait la licencier. Mais sous quel prétexte? Il a un plan: l’impliquer dans un dossier dans lequel elle ne pourra que lamentablement se vautrer. Au même moment, est engagée une stagiaire qui, elle, est assidue et compétente. Rythmé par les jours de la semaine, ce roman est écrit avec recherche, l’auteur accordant autant d’importance à son histoire – sortie de suspens de bureau - qu’à la manière de la mener. Toujours avec un humour en demi-teinte, moins lié aux situations elles-mêmes qu’à la manière dont se comportent les différents personnages face à elles. (Pocket)

 

BaltassatJean-Daniel Baltassat, Le divan de Staline

Ce roman est glaçant. Il raconte un bref séjour fin 1950 de Iossif Vissarionovitch à Borjomi, une ville d’eau géorgienne. Le Petit Père des Peuples va avoir 72 ans et il lui reste moins de trente mois à vivre. Il a réuni autour de lui sa maîtresse, Lidia Semionova, la seule à user avec lui d’une relative franchise, et le jeune peintre Danilov qui ambitionne de réaliser une fresque géante dont son hôte serait le centre – deux personnages fictifs. C’est un homme comme beaucoup d’autres, amateur de westerns et d’opéras, que dépeint Baltassat. L’humain sous le monstre. Le dictateur s’étend sur un divan semblable à celui de Freud, demandant à sa maîtresse de lui lire un extrait de L’interprétation des rêves de celui qu’il appelle le «Charlatan» et dont il condamne le «charabia» et les «cochonneries juives», à la fois par puritanisme – il refuse de parler de sexualité ou de désir, tout en ayant eu beaucoup de maîtresses – et parce que Trotski pensait qu’il était intéressant d’étudier le freudisme pour comprendre comment les masses et la bourgeoisie fonctionnaient. Ainsi installé, celui qui reste douloureusement marqué par le suicide de sa deuxième femme, Nadia, en vient, presqu’à son corps défendant, à raconter ses rêves et ses souvenirs. Il évoque notamment sa déportation sous le cercle arctique où il s’est senti abandonné par celui dont il avait fait son père de substitution, Lénine.  (Points)

 

JerusalmyRaphaël Jerusalmy, La Confrérie des chasseurs de livres

Raphaël Jerusalmy a successivement été membre des services de renseignements militaires israéliens, engagé dans l’humanitaire puis marchand de livres anciens à Tel-Aviv. Dans son second roman après Sauver Mozart (Babel), passionnant et érudit polar historique, il entraîne le lecteur en Palestine au milieu du XVe siècle. En 1463, quelques années après la création d’une imprimerie à Mayence. Louis XI charge François Villon, poète, mais aussi brigand qui vient d’échapper au gibet, de contacter Johann Fust, le riche orfèvre qui a financé les travaux de Gutenberg. Le but du monarque est purement économique: en menaçant de publier des ouvrages qui, révélant que la terre n’est pas au centre de l’univers, vont à l’encontre du dogme épiscopal, il entend faire pression sur le pape d’Avignon qui touche à sa place des droits de passage dans la vallée du Rhône. Après pas mal de désagréments, l’auteur de la Ballade des Dames du temps jadis, flanqué de son fidèle Colin, découvre dans la ville trois fois sainte une Confrérie secrète elle aussi chargée d’affaiblir la papauté en diffusant des ouvrages proscrits. Et notamment le testament du Christ recueilli par le prêtre qui l’a livré à Ponce Pilate. (Babel)

Voir aussi : Raphaël Jerusalmy, La confrérie des chasseurs de livres

 

RufinJean-Christophe Rufin, Le Collier rouge

En cet été 1919, devant la prison de Bourges écrasée de chaleur, un chien aboie jour et nuit. Son maître y est enfermé. Comment ce caporal décoré de la Légion d’honneur est-il arrivé là, c’est ce que va tenter de comprendre un juge militaire envoyé sur place. La guerre que lui raconte le jeune homme est aussi celle de l’animal, dénommé Guillaume, qui semble être au cœur du drame. L’enquêteur cherche également à savoir pourquoi l’ancien soldat refuse de revoir la femme qui vit dans une ferme des environs et avec qui il a eu un enfant. Après l’ample Jacques Cœur et le récit de son pèlerinage à Compostelle, Jean-Christophe Rufin, qui vient de publier un roman magnifique sur fond de guerre en Bosnie (Check Point),  signe un dense et bref roman, remarquablement tendu, qui offre plusieurs entrées: la Première Guerre mondiale vue des Balkans, l’apparition de velléités universalistes et de fraternisation suite à la Révolution russe, l’indéfectible fidélité d’un chien pour celui qu’il s’est choisi comme maître. L’ensemble est coiffé d’un mystère dont la résolution est fidèle à l’esprit de l’ensemble, plutôt iconoclaste. (Folio)

Voir aussi : Jean-Christophe Rufin, Le collier rouge

 

MianoLeonora Miano, La saison de l’ombre

Un jour, «un grand malheur» s’est abattu sur un village africain vivant pacifiquement replié sur lui-même: pendant un grand incendie qui a détruit de nombreuses cases, les fils aînés de dix familles du clan mulongo ont soudainement disparu. Soupçonnées de «manquements à l’égard des ancêtres», leurs mères ont été écartées du groupe, mises en quarantaine «comme des malfaisantes», le temps, pour les anciens, «de mieux cerner la situation». Mais comment pourraient-ils savoir que les dieux ou les ancêtres ne sont pour rien dans ce qui leur arrive? Que les hommes ont été enlevés, comme le révèle un chasseur d’un clan voisin, par des étrangers «couverts de la tête aux pieds», venus par les eaux à bord d’«une immense pirogue bardée d’étoffes destinées à emprisonner le vent», pour en faire des esclaves? C’est ce que vont découvrir quelques émissaires du clan. (Pocket)

 

 

DeckJulia Deck, Viviane Élisabeth Fauville

En 1957, dans La Modification, Michel Butor racontait le voyage d’un homme dans le train Paris-Rome en utilisant le «vous». Cinquante-cinq ans plus tard, chez le même éditeur, Julia Deck, née en 1974, use du même procédé dans son premier roman, Viviane Elisabeth Fauville. Enfin, en partie, car elle recourt également aux trois personnes du singulier et à la première du pluriel, et il arrive que le «vous» concerne deux personnages différents. Cette alternance d’angles de vue permet de rendre compte des faits et gestes de l’héroïne ou de ses pensées. On est tantôt dans le descriptif strict, tantôt dans l’introspectif. Abandonnée par son mari avec un bébé de douze semaines, Viviane abat son psychanalyste qui la bourre de tranquillisants depuis trois ans et souhaite multiplier les séances hebdomadaires sans pour autant donner l’impression de vouloir la sortir de son mal-être. Soupçonnée par la police, elle rencontre la maîtresse du défunt puis sa femme. Ainsi qu’un homme suspecté du meurtre. Sans très bien savoir où ça va la mener. Le lecteur non plus, d’ailleurs, mais peu importe: il se laisse conduire avec gourmandise dans ce savant jeu de piste parisien. (Minuit Double)

 

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