Lectures pour l'été 2015 - Poches - Littérature française

DelperdangePatrick Delperdange, Chants des gorges

Un garçon, enfant unique qui ne connaît ni son âge, ni son prénom – il se définit simplement comme «le fils de Marie» -, fuit son village «noir et pourri» suite au meurtre du curé dont il est accusé. Il s’en défend, se souvenant seulement que le saint homme, à qui il était venu demander du travail, voulait faire «des saletés» avec lui. Dans son parcours à la fois violent et spirituel, cet enfant silencieux, innocent, va croiser des personnes qui tenteront de le comprendre et sur lesquelles il exercera à chaque fois une fascination aussi forte qu’inexplicable. Il est avant tout question d’écriture dans ce récit dont les personnages, qui prennent alternativement la parole, existent davantage par ce qu’ils disent que par ce qu’ils font. La magie du livre (Prix Rossel 2005) est de créer un univers impalpable, indéfinissable. Où sommes-nous? Dans le réel ou dans l’imaginaire? Dans notre monde ou dans un autre fantasmé? Son écriture, très forte, emprisonne le lecteur dans les mêmes filets que ceux qui retiennent ses ombres, ne cessant de le déstabiliser, de provoquer chez lui ce sentiment de dépaysement. (Espace Nord)

 

MinardCéline Minard, Faillir être flingué

Couronné par plusieurs prix (Livre inter, Virilo, Style), ce roman a été l’une des grandes révélations de la rentrée 2013. Au début du XIXe siècle, un charriot brinquebalant tiré par des bœufs traverse l’Ouest américain. A son bord, deux frères, Joffrey et Brad, le fils de celui-ci, Josh, et leur vieille mère agonisante et hurlante. D’autres égarés, tel Bird, qui a volé son cheval à Elie, convergent avec eux vers une improbable ville en train de se construire de part et d’autre d’une rue boueuse, où le premier bâtiment en dur est un saloon. Suite de portraits très réalistes, ce western recrée un monde presque d’un autre temps tant ce genre est passé de mode, le peuplant d’un faune particulièrement bigarrée, composée des pionniers et de voleurs de chevaux, de commerçants et d’entrepreneurs, d’Indiens et de Chinois, et même d’un tueur à gages. Vaille que vaille, une nouvelle société s’organise. (Rivages Poche)

 

DeserableFrançois-Henri Désérable, Tu montreras ma tête au peuple

En reprenant, comme titre de son premier livre la première partie de la célèbre phrase lancée par Danton au pied de l’échafaud à l’adresse du bourreau Sanson, complétée d’un bravache et désespéré «elle en vaut la peine», François-Henri Désérable dévoile son projet: parler des têtes tranchées par la guillotine durant la Révolution française. Celles de Charlotte Corday, pour avoir assassiné Marat dans sa baignoire, de Marie-Antoinette, rebaptisée «la grue» ou «véto femelle» par le Père Duchesne, celles des Girondins, de Lavoisier, «le plus grand esprit français du siècle», du poète André Chénier, du philosophe allemand naturalisé français Adam Lux, et finalement de Robespierre dont les dernières vingt-quatre heures sont retracées par le gendarme Merda qui, d’un coup de pistolet, lui a transpercé la mâchoire. Apparaît même un personnage de fiction, le marquis de Lantenac, contre-révolutionnaire vendéen héros de Quatre-Vingt-Treize d’Hugo, ainsi que le petit-fils de Sanson. L’auteur se montre fidèle à la réalité, même lorsqu’il fait parler ou penser ses personnages, et mêle avec brio différents types d’écritures. (Folio)

 

FournierJean-Louis Fournier, La Servante du Seigneur

C’est un père amer, dépité, autant dire fort malheureux qui signe ce récit adressé à sa fille Marie, jadis «charmante et drôle», désormais «dame grise», «sérieuse comme un pape». Bref tout ce que déteste l’auteur pessimiste à l’humour glacial d’Où on va papa? ou de Poète et paysan. Il y a dix ans, la jeune femme a quitté la ville, et donc Jean-Louis et Sylvie, sa seconde femme (décédée depuis, comme il l’a raconté dans Veuf), et s’est installée sur la côte «pour créer». Elle a rencontré «Monseigneur», un homme sérieux, pontifiant qui aurait enseigné la théologie, est devenue «bigote» puis a abandonné son métier de graphiste – mais réclame pour Noël un 4X4 – et ne téléphone plus guère. Hier fraîche et légère, aujourd’hui «dogmatique» et «autoritaire», elle fait la morale aux autres et ne doute plus de rien. Hier, elle écrivait des lettres aimantes, aujourd’hui, elle traite son père de «vieil égoïste» qui a «fait du tort aux autres» et de «vieil avare» en pronostiquant sa mort prochaine. Cette lettre ouverte, qui se termine par un désespéré «Reviens, avant que je m’en aille», est probablement le livre le plus noir de son auteur. Même si l’humour court en filigrane. Dans sa seconde édition, l’éditeur a ajouté la réponse de l’intéressée: bête et affligeante. Bref, fidèle au portrait dressé dans les pages précédentes. (Le Livre de Poche)

 

GardeFrançois Garde, Pour trois couronnes

Tout part d’une rumeur qui court dans tous les ports du monde selon laquelle des marins seraient rémunérés par des maris stériles pour faire anonymement un enfant à leur femme. Karen Blixen en a fait une nouvelle, Une histoire immortelle, transposée au cinéma par Orson Welles. Le héros du deuxième roman de François Garde, après l’étonnant Ce qu’il advint de l’homme blanc, un «curateur aux documents privés» d’origine libanaise dont le père est mort dans des circonstances restées mystérieuses, lit cette légende dans les papiers du patron français d’une grande société new-yorkaise qui vient de mourir. Est-elle autobiographique? Enquêtant à la demande de la veuve, il découvre que cet homme a bien été marin autour de sa vingtième année et qu’à la fin des années 1940, il a quitté son bateau à New York pour créer une entreprise de transport maritime. Avec les trois couronnes en or que, d’après son récit, il aurait reçues en échange du «service» rendu? La réponse pourrait se trouver à Bourg-Tapage, une ancienne colonie insulaire française imaginaire où le défunt aurait, lors d’une escale, mis enceinte l’épouse d’un notable local. Il aurait donc un héritier lui qui, officiellement, n’en a pas. Ce jeu de piste intrigant, remarquablement mené, possède de nombreuses et passionnantes ramifications qui en accroissent encore la valeur. (Folio)

 

HanotteXavier Hanotte, Derrière la colline

Nouvelle édition en poche de ce roman qui est l’un des plus puissants écrits sur la Première Guerre mondiale. Il évoque le destin des soldats britanniques venus se battre, et pour beaucoup mourir, dans les tranchées de la Somme et d’Ypres. Son narrateur, Nigel Persoons, en deuil d’une histoire d’amour, s’engage dans la New Army formée de toutes pièces avec des volontaires par Lord Kitchiner. Mêlant subtilement l’intime et le spectaculaire, le réel et l’imaginaire, Hanotte suit son personnage sur les routes de France et de Belgique, en compagnie d’un jardinier de son âge, engagé comme lui et qui deviendra son compagnon d’infortune. La bataille pour une colline où sera construit ce qu’il nomme le «monstre», en fait le mémorial de Thiepval, constitue notamment un admirable morceau de littérature. (Espace Nord)

 

 

LapointeLéo Lapointe, Le planqué des huttes

Voici abordé sous une forme romanesque un élément peu connu de la Première Guerre mondiale: l’installation sur la côte picarde, dans un camp construit par l’armée britannique, de travailleurs chinois (à Noyelles-sur-Mer, dans la Somme, se situe d’ailleurs le très émouvant cimetière chinois de Nolette, le plus important de France et d’Europe). Cet événement, l’auteur le colore d’une solide trame romanesque: une famille persécutée par un commissaire voué à faire le malheur de ce qu’il considère comme «un foyer de rébellion». Au moment où la guerre est déclarée, l’oncle anarchisant est au bagne (l’anarchie à la Belle Epoque est l’un des sujets du livre) et le fils aîné envoyé au front (où, à cause de son tonton, il est tenu à l’œil). La petite tribu doit bientôt faire face à un autre souci: ses terres sont dans le périmètre réservé au cantonnement chinois. Pas seulement leur parcelle de terrain, d’ailleurs: leur ferme aussi. Et en période de guerre, «ils» ont tous les droits. Voilà un très bon roman, très bien documenté, sur la guerre elle-même, ses batailles, son évolution. Ainsi que sur la vie d’une famille et d’un village français en ces temps chahutés. (Pôle Nord Editions)

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