L’école liégeoise de physiologie aux 19e et 20e siècles

« Le passé doit conseiller l’avenir. »
Sénèque, Lettres à Lucillius, LXXXIII - env. 64 ap. J.-C

« Il n'y a qu'un père qui n'envie pas à son fils la supériorité du talent. »
J.W. von Goethe, Maximes et réflexions

 

Bref aperçu de l’histoire et des fondamentaux de l’Université de Liège


Dès le 11e siècle, sous l’impulsion des Princes-évêques, de nombreuses écoles et bibliothèques sont ouvertes à Liège, attirant étudiants et de chercheurs. De passage à Liège au 14e siècle, le grand humaniste Pétrarque est impressionné par la vie intellectuelle intense à Liège qu’il inclut dans son réseau culturel et qu’il surnomme dans ses écrits Nouvelle Athènes ou Athènes du Nord.

Un collège est créé en 1496 par les Frères de la Vie Commune sur l’emplacement du bâtiment central actuel de l’université, place du 20-Août en plein centre de la ville. Ce mouvement laïc d’inspiration chrétienne (appelé aussi Devotio moderna) est néanmoins très indépendant par rapport au contrôle clérical et il suscitera des vocations importantes comme celle d’Érasme. En 1582, les Jésuites succèdent aux Frères et fondent sur les mêmes lieux le Collège-en-Isle. Au 18e siècle, le Prince-évêque François-Charles de Velbruck transforme ce Collège en Académie.

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Détails de la maquette de G. Ruhl « La cité de Liège vers 1730 »  montrant le Collège des Jésuites et son église
 

Et c’est en 1817, sous le Royaume Uni des Pays-Bas, que Guillaume Ier décide de l’implantation de l'Université de Liège (ULg), toujours sur le même emplacement place du 20-Août. Les 259 premiers étudiants de l’ULg y reçoivent leurs cours en latin. Dès sa naissance, le pluralisme distingue l’ULg des établissements semblables installés en Belgique depuis plus longtemps. La tolérance de l’institution vis-à-vis des différents mouvements philosophiques et politiques est véritablement sa carte d’identité depuis sa fondation jusqu’à son très prochain Bicentenaire en 2017.


Théodore Schwann (Neuss, 1810–Cologne, 1882)

SchwannLa formation de Théodore Schwann fut assurée dans différentes universités allemandes (Bonn, Würzburg et Berlin). Il étudia d’abord la philosophie à Bonn mais c’est à Berlin qu’il reçut son diplôme de médecin (1834). Dans le laboratoire du célèbre physiologiste Johannes Müller, il effectua ses premières expériences sur la physiologie musculaire, la digestion et la respiration. Il découvre la pepsine gastrique et invente le mot métabolisme. Il met aussi en évidence le rôle des microorganismes dans la putréfaction et la fermentation alcoolique, des travaux qui impressionneront Louis Pasteur et que celui-ci poursuivra avec le succès que l’on connaît.

Schwann2En 1834, il défend à Berlin sa thèse sur le rôle nécessaire de l’oxygène dans le développement embryonnaire du poulet. Une des thèses annexes de Schwann s’insurge contre la doctrine des générations spontanées. Ses premières recherches sur la cellule débutent en 1837 ; il décrit pour la première fois la cellule (et la membrane) qui entoure les filets nerveux périphériques et ces structures portent encore son nom aujourd’hui. En 1839, toujours à Berlin, il publie son ouvrage révolutionnaire Mikroskopische Untersuchungen über die Übereinstimmung in der Struktur und dem Wachstum der Tiere und Pflanzen1  dans lequel il expose pour la première fois la théorie cellulaire selon laquelle la cellule constitue l’unité de base du règne animal et du règne végétal2. La théorie cellulaire, intuition géniale et idée d’abord synthétique, devient très vite la clé de voûte de la science biomédicale et de la médecine scientifique de l’époque. Avant Schwann, il pouvait paraître légitime de douter que tous les organismes vivants, végétaux et animaux, répondent à un même type de structure élémentaire. La notion d’une structure vivante unitaire susceptible d’expliquer la formation et l’intégration des architectures organiques les plus complexes et les plus diverses pouvait faire figure de pure spéculation gratuite sans fondement adéquat dans les faits observables.

Après Schwann, on se servira de la notion de cellule comme d’un postulat de base pour interpréter les faits d’observation et surtout pour les unifier et en tirer un schéma d’interprétation des données anatomiques, physiologiques et pathologiques. La cellule avait été décrite pour la première fois par l’anglais Robert Hooke en 1665 qui lui avait donné son nom en observant des coupes de liège mort en raison de l’analogie de la structure délimitée par la paroi avec celle des chambres monastiques. Néanmoins, ces observations en tant que telles ne suffisaient pas à former une théorie de la structure élémentaire du monde vivant. Tout le crédit de la théorie cellulaire revient à Théodore Schwann ainsi qu’à ses contemporains Matthias Jacob Schleiden (botaniste allemand, 1804-1881) et Rodolphe Virchow (médecin allemand, 1821-1902). Ce dernier énonce en 1855 l’axiome célèbre « Omnis cellula e cellula ». Et il faut attendre un autre quart de siècle pour que les processus de la fécondation et de la division du noyau soient mis en évidence, et qu’apparaisse un nouvel axiome : « Tout noyau provient d’un autre noyau ». La version contemporaine de cette formule serait : « Tout ADN provient d’un autre ADN ».

Selon la théorie cellulaire, la cellule est l’archétype véritable de l’organisme : celui-ci, quel que soit son degré de complexité, doit pouvoir  s’analyser en interactions de cellules, tant du point de vue fonctionnel (physiologique) que morphologique. Lors d’une manifestation à l’ULg en 1878 en l’honneur de Schwann, Édouard van Beneden dira à son sujet : « Seul un homme capable de larges conceptions, libre de tout préjugé scientifique, doué d’un esprit éminemment philosophique et créateur, un observateur d’élite, un travailleur infatigable, capable d’une énergie suffisante pour oser embrasser l’étude de la formation de tous les tissus, un tel génie pouvait seul arriver à fonder une théorie générale, embrassant à la fois la constitution, le développement et la physiologie des organismes ».

Avant cette cérémonie, Schwann avait reçu de Louis Pasteur le courrier suivant : « Monsieur et illustre confrère, j’apprends qu’une grande manifestation se prépare, en Belgique, en votre honneur et que vos fécondes découvertes vont recevoir le juste tribut d’admiration qui leur est dû. Depuis vingt ans déjà, je parcours quelques-uns des chemins que vous avez ouverts. À ce titre, je réclame le droit et le devoir de m’associer de cœur à tous ceux qui proclameront bientôt que vous avez bien mérité de la science, et de signer ces quelques lignes, l’un de vos nombreux et sympathiques disciples et admirateurs. » Schwann est aussi un des premiers à s’opposer aux théories vitalistes défendues à l’époque par François-Xavier Bichat, et prône une vision mécanistique des phénomènes de la vie.

ThSchwannEn 1839 toujours, il reprend la chaire d’anatomie à l’université de Louvain et la motivation de son départ semble être surtout d’ordre religieux. En effet, Schwann est un catholique fervent et il lui devient difficile de travailler à Berlin, centre du protestantisme allemand. À Louvain, il présente ses cours en français, rencontre le grand zoologiste belge Pierre-Joseph Van Beneden (1809-1894) mais n’effectue pas de travaux importants en dehors d’expériences sur le rôle de la bile dans les phénomènes de digestion. Ses crises de mysticisme et de mélancolie s’aggravent à cette époque, pouvant aller jusqu’à induire chez lui des idées suicidaires. En 1848, il démissionne et s’installe à Liège où il reprend à l’ULg les enseignements d’anatomie, de physiologie et d’embryologie, mais il n’y effectue plus aucun travail de recherche scientifique.

En conclusion du livre qu’il a consacré à Théodore Schwann, Marcel Florkin écrira : « (Il présente)…autant de facettes qui n’ont pas fini de fournir des sujets d’études aux fervents des complexités de l’âme humaine, du mystère du génie et des cheminements de l’expérience religieuse. »

 


 

1 « Recherches microscopiques sur l’analogie de structure et de croissance entre les animaux et les plantes. »
2 En 1847, Schwann est couronné par la Société Syndenham de Londres qui publie une traduction anglaise des Mikroskopische Untersuchungen. Le traducteur Henry Smith y écrit en préface : « The first physiologists of our day have judged the discoveries which it unfolds as worthy to be ranked amongst the most important steps by which the science of physiology has ever been advanced. »

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