L’école liégeoise de physiologie aux 19e et 20e siècles

Édouard Van Beneden (Louvain, 1846 – Liège, 1910)

VanBenedenIl est le fils du grand zoologiste Pierre-Joseph Van Beneden déjà évoqué ci-dessus qui, sous l’influence de Schwann, l’incite à voyager très jeune en Allemagne où il rencontre à Heidelberg le physiologiste Hermann von Helmoltz mais surtout à Iéna Ernst Haeckel (1834-1919), un éminent biologiste du 19e siècle. À l’opposé de son collègue embryologiste estonien Karl Ernst von Baer, Haeckel est un protestant libéral darwiniste que le Vatican et les religions monothéistes révulsent. Il est l’auteur de la célèbre loi de biogénétique du développement selon laquelle l’ontogenèse récapitule la phylogenèse. Édouard van Beneden est non seulement impressionné par les idées et les travaux de Haeckel, mais il vit aussi alors au cœur d’une période d’intense activité en embryologie.

Il rédige à 22 ans un premier mémoire Recherches sur la composition et la signification de l’oeuf, basées sur l’étude de son mode de formation et des premiers phénomènes embryonnaires (Mammifères, Oiseaux, Crustacés, Vers)  qui est publié en 1870 par l’Académie Royale des Sciences de Belgique.

À 24 ans seulement, il devient le successeur de Schwann et est nommé chargé de cours de zoologie et d’anatomie comparée à l’ULg. Il insiste et obtient que des cours de biologie soient intégrés dès le début dans le cursus des études médicales. Dès 1885, avec l’architecte Lambert Noppius, sur le modèle des universités allemandes, il élabore les plans de l’Institut de Zoologie qui porte aujourd’hui son nom et qui sera terminé en 1888. En souvenir de ses rencontres avec Haeckel qui l’a initié aux travaux de Charles Darwin, il fait placer un buste de ce dernier au centre du fronton principal qui orne l’édifice.

0iinstitutzoologique

 

envolEn 1997, René Julien érige devant l’Institut une statue intitulée L’Envol de la Wallonie

Envol de la Wallonie (détail)
©Sial, PhotoClub Image ULg

 

En 1884, Van Beneden publie un volumineux ouvrage de 375 pages Recherches sur la maturation de l’œuf, la fécondation, et la division cellulaire  dans lequel il décrit la méiose (ou division réductionnelle) pendant la formation des gamètes sexuels chez le ver parasite Ascaris. Cette démonstration fondamentale lui permet ainsi de résoudre la question qui le taraudait depuis la découverte de la fécondation, à savoir quel mécanisme pouvait bien exister pour éviter une multiplication à l’infini des chromosomes au cours de l’évolution des espèces. Il y montre aussi que l’œuf fécondé se multiplie et se segmente indépendamment de l’organisme maternel.

L’allemand Théodore Boveri (1862-1915) confirmera et amplifiera les observations pionnières d’Édouard Van Beneden. Celui-ci découvrira aussi le centrosome, le centre cellulaire organisateur de l’appareil micro-tubulaire. L’intégration de Van Beneden ici parmi les physiologistes liégeois se justifie puisque lui-même écrit : « Le choix de l’expérimentation dépendra uniquement de la question de savoir quel est le tissu, d’où qu’il vienne, quelles sont les cellules qui se prêtent le mieux aux observations spéciales que l’on aura en vue, aux expériences qu’il s’agira d’instituer. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’étude des insectes, des étoiles de mer ou des zoophytes peut servir à éclairer la physiologie humaine ».

Édouard Van Beneden meurt en 1910 dans son Institut sur un simple lit de camp juste à côté du bureau où se trouvent son microscope, ses livres et de nombreux manuscrits scientifiques.


Léon Fredericq (Gand, 1851 – Liège, 1935)

FredericqLéon Fredericq effectue ses études universitaires à Gand où il est diplômé docteur en Sciences naturelles (1871), puis docteur en Médecine, Chirurgie et Accouchements (1875), et enfin docteur en Sciences physiologiques (1878). Il effectue ensuite ce qu’on appellerait aujourd’hui un séjour postdoctoral et se rend ainsi dans différents laboratoires hors de Belgique dont ceux de Paul Bert, Etienne-Jules Marey et Claude Bernard à Paris, de Émile du Bois-Reymond à Berlin, et de Ernst Felix Hoppe-Seyler à Strasbourg.

C’est pendant un séjour à la station maritime de Roscoff qu’il découvre chez le poulpe l’hémocyanine, pigment respiratoire riche en cuivre, transporteur de l’oxygène qui cumule les propriétés des protéines plasmatiques et de l’hémoglobine des vertébrés. Il publie aussi en 1876 une série de travaux sur le système nerveux du poulpe et de l’oursin3. Sous l’impulsion des savants mentionnés ci-dessus et de Claude Bernard en particulier, la physiologie est devenue alors la science de base de la médecine expérimentale, et Léon Fredericq devient en 1879 le digne successeur de Théodore Schwann à la chaire de physiologie de la Faculté de Médecine de l’ULg. Il s’installe bientôt en 1890 rue Nysten à laquelle la ville de Liège avait donné le nom du premier des physiologistes liégeois4.

Grâce à une technique expérimentale originale qu’il a mise au point lui-même, celle de la circulation céphalique croisée, il découvre le rôle du CO2 dans la régulation de la circulation cérébrale. Il consacre aussi beaucoup d’études à l’homéostasie de l’eau au sein des organismes vivants ainsi qu’au rôle osmotique des molécules organiques de petite taille. Les travaux de Léon Fredericq permettent ainsi de définir le contrôle de l’osmolarité du liquide intracellulaire et le contrôle du volume des cellules, thèmes fondamentaux en physiologie générale.

PhysiologieFidèle aux grands principes de Claude Bernard, il ne cessera de prôner que « le doute est l’oreiller du savant ». Comme Édouard Van Beneden et toujours avec le même architecte liégeois Lambert Noppius, il est à l’origine de la fondation de l’Institut de Physiologie qui devient un pôle de la recherche mondiale en physiologie.

De plus, il fonde les Archives Internationales de Physiologie et de Biochimie toujours publiées de nos jours sous la responsabilité de l’Association des physiologistes de France. La renommée mondiale de Léon Fredericq lui permet d’organiser les premiers congrès internationaux de physiologie dont celui de Bâle en 1889 et celui de Bruxelles en 1904.

En 1931, le roi Albert Ier lui accorde la concession de noblesse et le titre de baron transmissible par ordre de progéniture masculine. La majeure partie des publications de Léon Fredericq est disponible sur le site ORBi de l’ULg.

À l’initiative de Léon Fredericq, l’ULg ouvre la première station scientifique des Hautes Fagnes, au Mont Rigi, à 675 mètres d’altitude.

«En matière de religion et d’opinions philosophiques, Fredericq était la tolérance même», a écrit Marcel Florkin5. Il était tourmenté du besoin de conviction religieuse et le christianisme lui apparaissait comme la forme la plus haute de la vie morale. Il n’en était pas moins un agnostique résolu et il disait : « La tolérance est une fleur qui croît sur le fumier de l’indifférence. » Toujours selon Florkin, son rationalisme se traduisait dans le goût qu’il avait de faire, à chaque occasion, la guerre à l’occultisme, à l’amour du merveilleux, à la croyance aux miracles, aux superstitions grossières comme la radiesthésie, l’homéopathie, l’astrologie ou le spiritisme. Il réprouvait la tendance au pessimisme qu’il considérait comme une faiblesse.

 

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Léon Fredericq, Heyst, aquarelle, 24 x 16 cm, 1893. - Léon Fredericq, Les Terrasses sous la neige © Collections artistiques ULg

 

Issu d’une famille d’artistes, Léon Fredericq cultivera lui aussi ce don par la réalisation d’aquarelles d’une très grande richesse dont des thèmes récurrents était la ville de Liège et le plateau des Hautes Fagnes au sud-est de Liège.

En 1987, la Faculté de Médecine de Liège institue une fondation pour la recherche biomédicale au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Liège dont le nom est le « Fonds Léon Fredericq » en guise d’hommage à ce très grand savant6.


 

3 « Personnellement je ne puis perdre le souvenir du premier contact que j’eus avec l’œuvre de Léon Fredericq en physiologie
comparée. J’avais trouvé dans la bibliothèque du laboratoire de Banyuls son mémoire sur la physiologie du poulpe, mémoire qu’il
avait publié en 1878 à l’âge de vingt-sept ans. Ce fut pour moi une révélation : la précision des détails, l’originalité des faits, la
largeur des vues, la netteté du style, tout m’indiquait que j’avais en main un authentique chef-d’œuvre. » Z.-M. Bacq, Léon
Fredericq, Alumni, 1935, VII, 98.
4 À propos de Nysten, voir Marcel Florkin, Médecine et Médecins au Pays de Liège, Vaillant-Carmanne, Liège, 1954.
5 Marcel Florkin, L’École liégeoise de physiologie et son maître Léon Fredericq (1851-1935), pionnier de la zoologie chimique, Vaillant-
Carmanne, Liège, 1979
6 Site internet recommandé : sv02a.lib.ulg.ac.be/Fredericq.php. Et pour en savoir plus :
http://www2.academieroyale.be/academie/documents/FREDERICQLeonARB_193738069.pdf

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