Gloire et chute de Napoléon au cinéma
Waterloo, de Bondartchuk

 BondartchukWaterloo

En 1970 donc, sort le film qui va étouffer dans l'œuf le projet de Kubrick : Waterloo de Sergueï Bondartchuk, avec Rod Steiger dans le rôle de Napoléon. Si les caprices d'un public changeant3 eurent raison du film à sa sortie (1,4 million de dollars de recette pour un budget de 25 millions), il convient de rétablir les grandes qualités du film de Bondartchuk. Film ambitieux (tourné en 70 mm, casting prestigieux et surtout l'appui de l'Armée soviétique qui prêta 20 000 figurants pour la bataille), Waterloo est surtout une représentation relativement fidèle (à quelques erreurs factuelles près) de ce que fut l'une des plus célèbres batailles de l'Histoire. Que le cinéma ne soit pas davantage concentré sur cet événement est par ailleurs curieux, tant il est en son sein totalement cinématographique, avec ses nombreux climax et le souffle épique qui s'en dégage du début à la fin.

Philipe Raxhon : «Ce qu’on appelle les Cent Jours, c’est la fuite de Napoléon de l’île d’Elbe pour revenir en France reprendre le pouvoir et ensuite monter jusqu’en Belgique, pour mener pendant 4 sanglantes journées la campagne de Belgique. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’après avoir débarqué en France, il est remonté vers Paris avec seulement mille hommes  pour reprendre le pouvoir sans qu’une goutte de sang ne soit versée : c’est un cas unique dans l’Histoire. L’Europe est ébahie évidemment, elle le déclare hors-la-loi et l’ensemble des armées européennes, près d’un million d’hommes, vont converger vers la France dans toutes les directions. Napoléon réagit alors comme il l’a toujours fait, il veut battre ses adversaires séparément, compte tenu de leur nombre, or il s’avère que deux de ses adversaires majeurs, les Anglais et les Prussiens, sont en Belgique et sont séparés ! Pour lui c’est une occasion unique pour une campagne éclair. Ce n’est pas une opération irréfléchie, mais la rapidité avec laquelle elle doit être menée la complique. Napoléon manque de temps, mais il franchit la frontière le 15 juin et il réussit la première phase de son opération, il maintient séparées les armées alliées. Le 16 juin il y a deux batailles le même jour : Ligny et Quatre-bras. Il bat à plates coutures les Prussiens ; les Anglais c’est plus ambigu. Toujours est-il que ceux-ci se replient en bon ordre vers Bruxelles, tandis que les Prussiens battent en retraite. C’est là que les choses se nouent : tout a basculé à partir du moment où les Prussiens ont pris une décision inattendue : plutôt que de se replier vers Namur et Liège, qui étaient leurs lignes de repli, ils vont se replier vers Wavre en parallèle avec l’armée de Wellington, pour autoriser encore une réunion des forces. Ce mouvement est opéré parce que Blücher et Wellington se sont promis de rester ensemble : c’est une situation qui tient à la promesse entre les deux hommes ! Lesquels sont aussi des stratèges remarquables ; on est vraiment avec le top de la distribution des rôles ! Napoléon a un moment d’hésitation, il divise son armée pour qu’une partie poursuive Blücher et il se met en danger. On sait que Grouchy n’est pas arrivé à contenir les Prussiens, bien qu’il se soit battu à Wavre. Napoléon affronte Wellington le 18 juin dans une bataille homérique. Il faut bien se souvenir que tout a commencé le 15 juin, que les hommes ont marché sans cesse, ont à peine mangé, ont souvent dormi dehors sous la pluie, certains sont tellement boueux qu’on ne distingue plus dans quel camp ils sont ; malgré tout cela, ils vont se battre à Waterloo avec une ténacité hors normes. Les prussiens finiront par rejoindre Waterloo avec le dénouement que l’on connaît aujourd’hui, point d’orgue d’une journée pleine de rebondissements. Durant les quatre jours de la campagne de Belgique, 100.000 hommes ont été tués ou blessés.
La défaite de Napoléon est complète, et si de nombreux éléments ont joué en la défaveur de Napoléon, ce qui a vraiment fait la différence à Waterloo, c’est la capacité de résistance de Wellington, qui n’a pas perdu son sang-froid, qui a extrêmement bien disposé ses forces, et qui est constamment resté sur la défensive, contrairement à Napoléon qui était constamment en situation offensive, ce qui parfois payait mais pas cette fois-là. Enfin, l’après-midi du 18 juin, un flot de dizaines de milliers soldats prussiens est venu submerger les Français.

Battle of Waterloo William Sadler
William Sadler, Battle of Waterloo

 

Et aujourd'hui ?

Malgré ses qualités, le film de Bondartchuk sera un donc un échec cuisant, condamnant non seulement le film de Kubrick mais aussi toutes les futures adaptations de la vie de Napoléon. Désormais, Napoléon sera abordé sous l'angle de l'intime, écartant toute dimension homérique propre à ses batailles, ou sera-t-il simplement relégué au rang de décorum, comme au lendemain de la guerre. Si de grands cinéastes continuent à s'intéresser au mythe napoléonien, ce n'est jamais avec un grand succès : Adieu Bonaparte (1985) de Youssef Chahine, Pan Tadeusz (2000) d'Andrezj Wajda ou encore Les fantômes de Goya (2007) de Milos Forman. En France, la mode est davantage à la relecture de l'Histoire : Le Souper (1992) d'Édouard Molinaro met en scène une conversation entre Talleyrand et Fouché au lendemain de Waterloo, Le Colonel Chabert (1994) d'Yves Angelo raconte l'histoire d'un ancien soldat déclaré mort qui revient chez lui dix ans après la bataille d'Eylau tandis que le Monsieur N. (2003) d'Antoine de Caunes revisite purement et simplement le séjour et l'hypothétique fuite de Sainte-Hélène. Citons enfin, malgré de nombreuses réserves sur le casting et la bataille de Waterloo, la saga télévisuelle Napoléon (2002) d'Yves Simoneau avec Christian Clavier dans le rôle de l'Empereur.

Chahine MonsieurN Simoneau

Peut-être les raisons de l'absence de grand film contemporain sur Napoléon sont-elles à chercher là où, justement, Napoléon déchaînait les passions autrefois. Peut-être ses batailles épiques ne font-elles plus le poids face aux blockbusters américains qui ont su, à travers une multitude de genre, faire de ces batailles des conventions (l'heroic-fantasy, le péplum, la science-fiction), sans oublier le marasme économique du cinéma européen et la propension du cinéma américain à éviter de plus en plus les sujets typiquement européens. Peut-être la figure même de Napoléon est-elle polémique de par son ambiguïté soulignée en amont. Ou peut-être le cinéma actuel ne comporte-il plus de génie audacieux et visionnaire comme Abel Gance ou Stanley Kubrick, les Napoléon du Septième art.

Bastien Martin
Mai 2015

 
 
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Bastien Martin est doctorant en cinéma.
 
 
microgrisPhilippe Raxhon enseigne la critique historique et l'histoire contemporaine à l'ULg. Ses principales recherches portent sur les relations entre l'histoire et la mémoire. Il est le scénariste et conseiller historique du film.
 



3 Le public américain des années 70 est fortement liée à la contre-culture, et l’une des principales caractéristiques est de s’être détourné du cinéma de studio, classique, pour un cinéma plus intellectuel sans pour autant renier la question du genre : c’est ce qu’on appellera le Nouvel Hollywood.

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