Gloire et chute de Napoléon au cinéma

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Un exemple de PolyVision

 

En 1928, Napoleon's Barber constitue le premier film entièrement parlant de John Ford, où le récit un peu fou d'un barbier détestant Napoléon et recevant celui-ci dans son salon en 1815, sur la route de Waterloo ! En 1937, Greta Garbo est Marie Waleska tandis que Charles Boyer est Napoléon, le tout sous la direction de Clarence Brown dans Marie Waleska.

Guitry-afficheguitryEn 1938, Sacha Guitry réalise Remontons les Champs Elysées qui, s'il ne s'intéresse pas uniquement à Napoléon, va constituer un premier geste du réalisateur vers l'Empereur qu'il mettra de nombreuses fois en scène dans ses prochains films, avec par ailleurs l'acteur Émile Drain qui reste à ce jour l'acteur ayant le plus interprété Napoléon au cinéma (dix fois, dont quatre chez Guitry).

À bien des égards, ce n'est donc pas tant l'œuvre de Napoléon qui inspire le cinéma, mais bien l'homme en lui-même, son génie militaire, son charisme indéniable mais aussi sa mégalomanie. C'est sous-estimer l'impact que Napoléon a pu avoir sur son temps : «au niveau européen son importance est considérable parce qu’il établit un empire, une Europe napoléonienne »  comme le précise Philippe Raxhon. «Ce n’est pas un souverain comme les autres, il n’est pas né pour le devenir ; c’est un fils de la Révolution française. Qu’est-ce que l’Europe napoléonienne ? C’est une France agrandie à 130 départements, y compris Hambourg et Rome, et c’est une Europe avec des satellites amis, voire même familiers de la France puisque des frères de Napoléon vont se retrouver sur les trônes, en Hollande et en Espagne par exemple, et c'est une série de pays qui sont alliés, avec des variations selon les circonstances. Napoléon a réussi cet exploit de créer un ensemble territorial européen relativement cohérent, en tout cas à son apogée en 1810, avec un grand absent qu’est l’Angleterre, l’ennemi traditionnel, et par ailleurs si Napoléon a créé cet ensemble territorial c’est dans le but d’asphyxier l’Angleterre, faire un blocus économique de manière suffisamment forte que pour faire plier cet ennemi de la France depuis la révolution.»

À nouveau, l'ambiguïté de Napoléon se dessine, artisan d'une Europe unie et libérale derrière l'image d'un tyran conquérant. Ironie de l'Histoire : en 1945, le réalisateur du parti nazi Veit Harlan réalisera Kolberg, du nom de la ville fortifiée allemande qui résista aux troupes napoléoniennes en 1807...

 

Napoléon par Stanley Kubrick

Napoléon-KubrickAu lendemain de la guerre, la figure napoléonienne sera d'ailleurs reléguée au second plan, tantôt personnage secondaire tantôt toile de fond aux différents récits : c'est le Diable boiteux (1948) de Sacha Guitry sur Talleyrand, le Désirée (1954) d'Henry Koster avec Marlon Brando dans le rôle de Napoléon mais c'est aussi Guerre et Paix (1956) de King Vidor, The Terror (1963) de Roger Corman et Cendres (1965) d'Andrezj Wajda où les guerres napoléoniennes sont les décors de drames loin de la vie de l'Empereur Bonaparte. On distinguera toutefois une tendance française à maintenir Napoléon comme un héros du peuple et un militaire hors pair : c'est le Napoléon (1955) de Sacha Guitry évidemment, mais surtout l'Austerlitz (1960) d'Abel Gance, ode au talent guerrier indiscutable de Napoléon et à ce qui restera à jamais sa plus grande victoire sur un champ de bataille.

Philippe Raxhon rappelle par ailleurs cet aspect connu mais souvent minimisé de la vie de Napoléon : «Il est toujours enseigné dans les écoles militaires, c’est un stratège hors pair. Pour autant que la guerre soit un art, Napoléon est un génie. C’était un joueur d’échecs exceptionnel, prévoyant à l’avance les coups de l’adversaire. C’était un militaire qui connaissait son armée sur le bout des doigts, travaillant constamment à son amélioration. Il était audacieux mais réfléchi.» Difficile lorsque l'on lit cette description de ne pas penser à un cinéaste lui aussi réputé pour sa méticulosité, son sens du détail et cette passion commune pour les échecs : Stanley Kubrick. Est-ce un hasard si le cinéaste a envisagé des années de réaliser un film sur Napoléon ?

HemmingsDe tous les grands films maudits de l'histoire du cinéma, le Napoléon de Kubrick est sans aucun doute l'un des plus célèbres, un de ceux ayant suscité le plus de fantasmes et, par extension, le plus de frustration. Il faut, pour bien comprendre l'ampleur de ce qu'aurait pu être le film, se souvenir du travail incroyable effectué par le cinéaste en termes de documentation : 17 000 photographies, des repérages effectués en Yougoslavie, France, Italie, Roumanie et Belgique, 50 000 figurants recrutés pour les batailles, l'apport de Felix Markham (professeur à Oxford) comme conseiller sur un scénario de 186 pages... Au final, Kubrick avait amassé tellement d'informations qu'il pouvait, selon la rumeur persistante, décrire précisément la météo de telle journée dans la vie de Napoléon. Furent envisagés dans le rôle-titre Dustin Hoffman, Al Pacino, Jack Nicholson, Oskar Werner, Ian Holm, avant que le choix se porte sur David Hemmings. La légende ne s'arrête pas là : à l'instar de Gance (dont le Napoléon avait déçu Kubrick), le cinéaste américain voulait produire (d'après ses différentes correspondances) le «meilleur film jamais réalisé», partant du principe  «qu'il n'y a jamais eu de grand film historique».

Un projet titanesque, pharaonique, qui connut un dénouement déplorable : tout comme Napoléon ne put compter sur Grouchy, Kubrick fut abandonné par la MGM après l'échec cuisant du Waterloo de Sergueï Bondartchuk, sorti pendant la préparation du film de Kubrick. Ainsi fut mort-né le projet d'une vie, dont Spielberg avait pour ambition de le transposer en série il y a encore quelques années – sans pour autant que la moindre information ait depuis permis d'affirmer que le projet soit toujours d'actualité.

 

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