Simenon, l’écrivain passionné de médecine

petitdocteurchez le docteurPeu d’écrivains du 20e siècle ont entretenu des liens aussi étroits et aussi divers avec la médecine et les médecins que Georges Simenon. Le Fonds Simenon de l’Université de Liège, sis au château de Colonster, possède d’ailleurs de nombreux articles et des ouvrages entiers sur la question, ainsi que plusieurs thèses universitaires, qui ne sont pas toutes le fruit de spécialistes de la littérature : deux d’entre elles ont été défendues dans des Facultés de médecine françaises ! Car la relation va dans les deux sens : les médecins représentent la profession la plus représentée au sein de l’association des Amis de Simenon, loin devant les avocats ou les professeurs.

bavièreCommençons par quelques remarques biographiques. Quand il était enfant de chœur en Outremeuse, le petit Georges accompagnait l’aumônier auprès des mourants dans l’hôpital de Bavière. Adolescent, il a côtoyé plusieurs étudiants en médecine parmi les locataires de sa mère. Il a alors envisagé d’entreprendre plus tard pareilles études et a lu, paraît-il, l’ouvrage d’anatomie de Testut. L’histoire veut que ce soit un médecin, le docteur Fischer, qui lui ait indiqué que telle ne serait pas sa destinée en lui annonçant l’imminence de la mort de son père et en lui conseillant de quitter l’école afin de chercher du travail.

Bientôt, le jeune homme allait entrer à la Gazette de Liége et commencer à écrire… Mais son intérêt pour la médecine ne devait jamais se démentir : en 1917, il projeta d’inventer une « médecine de l’intelligence » ; en 1962, il donna une conférence intitulée « Si j’avais été médecin » et, en 1968, il raconta à des médecins venus l’interviewer pour le périodique Médecine et Hygiène qu’il lisait régulièrement leur revue, ainsi que The Medical Letter.

 

oursenpeluchePassons à présent à l’œuvre. Dans un article paru dans la cinquième livraison de Traces, la revue du Centre Simenon de l’Université de Liège, Pierre Lefèbvre a compté 327 médecins dans les 193 romans de notre écrivain. À quoi s’ajoutent une quarante d’infirmières, des étudiants en médecine, des pharmaciens ou des dentistes. Pour la plupart, il s’agit de personnages secondaires. Mais certains « romans durs » ont pour principal protagoniste un membre du corps médical. Ainsi L’Ours en peluche (1960), qui met en scène un gynécologue, et Lettre à mon juge (1947), confession du docteur Alavoine, qui essaye de comprendre pourquoi il a tué sa maîtresse. Et parmi les romans policiers, citons Le Chien jaune (1931), Le Fou de Bergerac (1932) et Les Vacances de Maigret (1948), où se rencontrent des médecins assassins, et Maigret et le clochard (1963), le sans-abri éponyme étant un ancien médecin en rupture de ban.

 

Lettreamonjuge chien jaune FoudeBergerac maigret et le clochard vacances de maigret

 

Vacances de Maigret-Bruno CremerPuisque nous en sommes à parler de Maigret, il convient de faire ici trois remarques : d’abord, que ce soit au cours d’interviews ou dans ses romans, Simenon a souvent comparé Maigret, ce « raccommodeur de destinées », à un médecin. Ensuite, le meilleur ami du commissaire, le médecin légiste Pardon, lui ressemble étrangement, comme le souligne Dominique Meyer-Bolzinger dans Traces n°14. Enfin, Maigret, comme Simenon, rêvait dans sa jeunesse d’entreprendre des études de médecine, projet abandonné à la suite du décès de son père.

AnneauxdeBicetreLes vacances de Maigret
 

Par ailleurs, deux romans se déroulent dans un hôpital : Le Fou de Bergerac, déjà cité, qui voit Maigret faire son enquête alité et, surtout, Les Anneaux de Bicêtre (1963), l’un des romans les plus réputés de Simenon, consacré à un magnat de la presse foudroyé par une hémiplégie et placé à Bicêtre. Le roman s’ouvre sur cette émouvante dédicace : « À tous ceux, professeurs, médecins, infirmières ou infirmiers qui, dans les hôpitaux ou ailleurs, s’efforcent de comprendre et de soulager l’être le plus déconcertant : l’homme malade. »

AnneauxdeBicetre-film

 

Laurent Demoulin
 Mai 2015

 

microgrisLaurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du 20e siècle. Il est conservateur du Fonds Simenon de l'ULg.