Romanistes & Romanciers, actes de colloque

romanistesEn mars 2012, le Palais des Académies de Bruxelles a accueilli un colloque intitulé «Romanistes et Romanciers». Plus de trente écrivains de toutes générations diplômés en philologie romane de l’une des trois grandes université de Wallonie et de Bruxelles, l’ULg, l’UCL et l’ULB, ont tenté d’évaluer la place prise par leurs études dans leurs pratiques d’écrivains. Les actes de cette manifestation sont riches et passionnants en ce qu’ils confrontent, dans des styles littéraires variés, autant de vécus et de ressentis qu’il y avait d’intervenants.

«(…) Ce qui frappe, assurément, écrit dans son avant-propos Janine Delcourt-Angélique (promotion 1970), présidente de l’Association des Romanistes ULg organisatrice du colloque, c’est combien les romanistes – presque tous, quels qu’ils soient – se sont toujours essayés (…) à manier la plume, dans une intimité confidentielle ou sur la place publique éditoriale.» À la question qu’elle pose – «Pourquoi cette seconde nature chez les romanistes?» – les intéressés apportent des réponses très diverses, un bon nombre d’entre eux révélant se destiner à l’écriture avant d’entamer leurs études. Des études qui les ont, pour la plupart, confortés dans leur envie. Car si Frédéric Saenen (promotion 1995) estime qu’il aurait «sans doute écrit (mieux peut-être, voire davantage)» s’il avait fait le droit ou la médecine, il reste une exception. Tout comme Nicolas Ancion (promotion 1993) qui, mu par la certitude «qu’on ne peut apprendre à écrire, que l’écriture, c’est du génie et du talent, que c’est un don de la nature et que ça ne s’enseigne pas», a «la conviction profonde» d’avoir commencé à écrire «contre» l’université.

Car, à la majorité des romanistes passés par cette faculté, l’enseignement si caractéristique qui y était dispensé fut profitable, comme en témoignent leurs contributions. Découvrant en 1972 «l’école liégeoise réputée pour sa méthode d’analyse textuelle»Daniel Charneux (promotion 1976), pense «encore aujourd’hui que cette lecture au laser constitue le plus important bénéfice de [sa] formation». Même si, ses études terminées, il faudra une «latence» de vingt ans avant que, suite à une formation et à un atelier d’écriture animé par Colette Nys-Mazure, il signe un premier roman, Une semaine de vacance, conçu à partir de contraintes oulipiennes. Jacques Lefebvre (promotion 1966) va dans le même sens lorsqu’il se montre persuadé que, tournant notamment le dos à Lagarde et Michard et évitant «d’influencer la lecture d’une œuvre par une notice biographique», «l’initiation à l’analyse textuelle fut pour [lui] une libération». Même si, tempère-t-il, pour le professeur qu’il est devenu, sa manière d’envisager la littérature n’a pu se borner au «comment» de l’écriture.

Jean-Marie Piemme (promotion 1966) s’inscrit dans une conception proche. De ses études, qu’il a traversées «en faisant illusion», ne lisant aucun livre mais donnant le change en apprenant le résumé et le nom des personnages secondaires, il a retenu, en guise d’«enseignement capital», que «l’œuvre parle à travers un forme». «À Liège, se souvient-il, on enseignait un mode d’analyse textuelle qui refusait de fonder l’explication sur des causalités externes. On nous enfermait dans un tête-à-tête avec l’œuvre», au mépris de toute approche historico-biographique. Jean-Claude Bologne (promotion 1978), de son côté, rappelant qu’«il faut une incroyable audace, ou une formidable inconscience, pour ajouter des mots aux mots», se réjouit que ses études aient «achevé de transmuer l’inconscience en audace». «Comment garder l’innocence, feint-il de s’interroger, lorsque, pendant quatre ans, on s’est appliqué à désarticuler la langue et les productions de l’esprit». Annie Préaux (promotion 1969) ne dit pas autre chose lorsqu’elle se remémore avoir «étudié le français dans sa synchronie et sa diachronie, tendant à devenir, avec courage (…), ce «locuteur-auditeur idéal» dont «la compétence intrinsèque» est décrite par ce qu’on appelle si communément la grammaire».

C’est Rossano Rosi (promotion 1984) qui, peut-être, rend le mieux compte de la riche complexité de cet enseignement. Il s’est longtemps senti «inhibé» par cette formation qui l’enjoignait «à faire preuve d’originalité» et à se «forger «une langue» avant de pouvoir exprimer quoi que ce soit», passant ainsi «dix fois plus de temps à songer à écrire et comment écrire qu’à écrire vraiment». Pourtant, se croyant «débarrassé» de ses études universitaires, il a fini par comprendre que c’est «grâce» à elles, «à leur effet paralysant, au surplus d’exigence formelle qu’elles ont induit en [lui]» qu’il est devenu «un adepte passionné d’une certaine transparence dans les mots», croyant savoir «que le «sens» existe; que le «style», loin d’être un leurre absurde ou une aberration, est bien une sorte d’organe qui existe et ne peut vivre sans atmosphère extérieure».

Romanistes & Romanciers, actes de colloque
Textes recueillis par Daniel Charneux, Christian Delcourt et Janine Delcourt-Angélique
(Les Éditions de la Provinces de Liège)