Jean-Marie Klinkenberg, La langue dans la cité

klinkengerg«Notre langue, avec ses catégories et les mécanismes qui lui sont propres, nous sert (…) à construire notre monde et notre société», écrit Jean-Marie Klinkenberg dans les premières pages de son nouvel essai, La langue dans la cité. Le linguiste belge y plaide avec force pour la mise en place d’une véritable politique de la langue comme il en existe pour la santé, l’environnement ou la culture. Pour autant que cette politique soit bonne et non le fruit d’un «caporalisme» aux relents populistes et nationalistes et qu’elle prenne en compte le lien qui existe entre la langue et les «problèmes» auxquels est confrontée toute société: la diversité culturelle, la modernité, la fracture sociale, la violence, etc. Il insiste sur les enjeux sociaux, éducationnels et économiques - donc humains - de la langue, des enjeux qui, trop souvent, sont non seulement mésestimés mais contestés, voire niés par ceux qui la manient avec aisance. Rappelant que «contrôler le verbe, c’est régner sur l’univers», il met en évidence les multiples distorsions et injustices, parfois profondes, dont les variations dans la maîtrise de la langue sont les conséquences. L’Histoire n’a en effet cessé de montrer, et l’actualité comme la vie quotidienne nous en apportent chaque jour de nouvelles preuves, que, d’une part, celui qui possède la parole possède de facto le pouvoir et que, d’autre part, la langue devient un facteur d’exclusion pour celui qui ne la maîtrise pas correctement, ou pas du tout.

Ce très riche et dense ouvrage analyse la notion de langue sous ses multiples faces. Telle la polémique liée la réforme de l’orthographe et à la féminisation des noms de professions: dans quelle mesure les pouvoirs publics, via une institution comme l’Académie française par exemple, sont-ils légitimes lorsqu’ils légifèrent sur ce que beaucoup considèrent comme «un bien intime, voire privé», alors que la frontière entre les sphères privée et publique est devenue extrêmement poreuse? Ce point est lié à deux autres questions extrêmement commentées et discutées, «l’anglomanie» et la crise de l’orthographe que développe le linguiste.

Celui-ci explique aussi qu’il n’y a pas un bon français, celui de l’Ile- de-France, sorte de langue-étalon auquel tous les autres idiomes régionaux ou nationaux devraient se référer pour mieux s’en rapprocher, mais qu’au contraire, le français est devenu une «langue plurielle» dans un «monde pluriel». Ce faisant, il s’interroge sur la francophonie représentée par une institution, l’OIF, composée de membres parfois dépourvus de liens avec une langue dont d’ailleurs, écrit-t-il, l’organisation de «ne s’occupe guère». Klinkenberg plaide encore pour une «modernisation de l’équipement linguistique» du français, seule condition d’après lui de sa survie. Il est convaincu qu’à l’instar de nombreuses langues mortes fautes d’avoir été écrites ou imprimées, d’autres subiront le même sort «parce qu’elles n’auront pas été informatisées». Ou qu’elles n’auront pas pu résister à l’anglais. C’est ainsi qu’il défend le plurilinguisme. Comme indice de richesse humaine et facteur de promotion sociale et professionnelle, bien sûr, mais également parce que, face à l’anglais, le français se trouve dans une relation de complémentarité avec les autres langues confrontées comme lui au même défit: «rester vivantes pour pouvoir dire le XXIe siècle».

Jean-Marie Klinkenberg, La langue dans la cité (Les Impressions Nouvelles)

 

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