Écrire le geste par l’image. Graphies, cinégraphies et vidéographies

zorn600Si les pratiques de notations des gestes, des postures et des phrases chorégraphiques ont offert un riche éventail de textualités, il apparaît que celui-ci s’est fortement restreint dans la dernière partie de la seconde moitié du 20e siècle. La raison en serait l’apparition de la vidéo, permettant de manière simple, légère et peu onéreuse d’enregistrer de manière audiovisuelle les travaux chorégraphiques. S’il peut souvent s’agir de simples « captures témoin » de l’événement chorégraphique, conceptualisées comme un miroir doté de mémoire, réfléchissant et enregistrant les mouvements qui lui sont soumis, nombre d’artistes ont pourtant considéré cette opportunité technologique comme une nouvelle possibilité d’écriture.

Illustration tirée de : Friedrich Albert Zorn, Grammatik der Tanzkunst, 1887
 

Irruptive, ponctuelle, éphémère, transmuable, la danse, art du mouvement vivant s’il en est, s’accomplit loin du signe. Son mode de transmission est d’ailleurs bien plus lié à celui de l’oralité que de l’écriture dont ses admirateurs se sont d’ailleurs souvent méfiés, argumentant que l’acte dansé ne peut être fidèlement traduit dans une langue non organique, que son inscription est vouée à l’échec. Mallarmé opposait la danse à l’écriture, la tenant idéalement pour un poème dégagé de l’appareil du scribe1. La plupart du temps, la graphie rapportant la danse prendra donc soin de s’affranchir de la lettre et de la traduction littéraire. Par contre, de manière libre ou codifiée, lisible ou indéchiffrable, schématisée ou détaillée, épurée ou volontairement confuse, amoureuse ou quelque peu méprisée, la danse permettra son dessin. Probablement parce que le graphique est au cœur même de la pratique de la danse (le danseur trace le mouvement dans l’espace), parce que le corps même du danseur est comme un trait qui vaut autant pour sa propre désignation que pour l’ensemble de la forme qu’il participe à composer, parce que l’acte chorégraphique rend perceptible le temps et l’espace par l’esquisse de figures, le dessin, en tant que travail de restitution ou de composition du mouvement de danse, sera bien davantage toléré que l’écriture littérale. C’est en tout cas ce qui semble ressortir de la consultation des innombrables systèmes de notation s’étant succédé à travers l’histoire de la danse et dont Ann Hutchinson-Guest, spécialiste de la question, a donné une impressionnante synthèse2.

Graphies du geste

CarosoAinsi, pour ne citer que les plus célèbres, Fabritio Caroso, dans son Il Ballarino (1581) recourt aux illustrations d’attitudes de danse en complément de ses tablatures ; Thoinot Arbeau, dans sa fameuse Orchésographie (1588), accompagne ses explications de pas de danse d’une série de pictogrammes ; André Lorin, dans Le Livre de la contredanse du Roi (1688), poussé par une pensée diagrammatique, multiplie les signes pictographiques.

 Lorin

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Illustration tirée de Il Ballarino de Caroso.
 
 
Illustration tirée de : André Lorin, Livre de la contredanse du roi

 

stenoRaoul-Auger Feuillet instaure durablement, avec son ouvrage Chorégraphie ou l'art de décrire la danse par caractères, figures et signes démonstratifs (1700), une description plastique à volonté totalisante de la danse, représentant, en vue plongeante sur la salle de danse, un axe au sol, un véritable chemin (ponctué des barres de mesure de la musique) sur lequel se retrouvent indiquées des figures de pas et de positions ; Arthur Saint Léon propose en 1852 une Sténochorégaphie (sous-titrée L’art de noter promptement la danse) qui se révèle purement visuelle, inscrivant ses figurines stylisées sur une portée de six lignes (cinq pour les mouvements des pieds et des jambes et la sixième, dite ligne des épaules, pour les mouvements des corps et des bras) ; Inspiré par Saint Léon, Friedrich Albert Zorn (Grammatik der Tanzkunst, 1887) installe ses petites figurines de danseurs dans une série de vignettes, donnant de faux-airs de bande dessinée à ses notations chorégraphiques ; Enfin, de manière autrement plus abstraite, Vladimir Ivanovich Stepanov, à travers son Alphabet des mouvements du corps humain (1892), met au point un système graphique complexe à partir d’une série de notes et de clefs indiquant non pas la musique, mais bien les mouvements.

 

Ci-dessus :  Illustration tirée de L’art de noter promptement la danse de Friedrich Albert Zorn
 

 
 
1 Rappelé par Laurence Louppe, « Les Imperfections du papier » in Laurence Louppe (sous la dir.), Danses tracées, Dis Voir, Paris, 1994.

2 Ann Hutchinson-Guest, Dance Notation, the process of recording movement on paper, Dance Books, Londres, 1984.

 

 

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