Les musiques religieuses noires, de 1865 à nos jours

Les soubresauts

L’histoire des musiques religieuses noires est loin d’être un fleuve tranquille et les péripéties allaient se bousculer. Dès 1955, il y eut une chute significative de la vente des disques de gospel au bénéfice de nouveaux styles qui cartonnaient auprès des jeunes, comme le Rhythm & Blues et, déjà, la musique soul naissante très en vogue dès le début des sixties. Globalement, le R&B étaitt une fusion du jazz avec le blues tandis que la musique soul était une fusion du gospel avec le blues. Une majorité des artistes qui se détachèrent du lot dans ces styles nouveaux avaient  un très fort background gospel et  tous avaient chanté dans leurs églises – car quasi tous les Africains Américains passent par la case église dans leur enfance et dans l’adolescence –  et beaucoup avaient fait partie de groupes de gospel.

freedomPar ailleurs, les mouvements pour les droits civiques et pour la fin de la ségrégation raciale, peu actifs jusque là1, prirent une ampleur inouïe sous l’égide du Pasteur Martin Luther King.  qui organisa des marches dans tout le Sud pour réclamer des droits égaux pour tous avec, en représailles, les excès et bavures policières que l’on sait, avec des réactions de haine raciste abjecte infamante et honteuse d’une partie agissante des populations blanches du Sud. Pour donner du courage aux marcheurs, ces marches furent accompagnées de chants religieux à double-entendre ou modifiés comme We shall overcome , We shall not be moved, You’d better leave segregatiion alone, We’ll never turn back, Oh Freedom,  Fighting for my rights… rejoignant par là les Spirituals à double sens de l’Underground Railroad du 19e s. qui annonçaient de façon codée l’imminence d’évasion d’esclaves vers le Nord, voire les modalités de la fuite. Ces pratiques, remises au goût du jour, relancèrent quelque peu l’intérêt de la population noire pour les chants religieux.

StapleSingersLes années ’60 furent aussi l’époque d’un Folk Music Revival avec, à la clé, des festivals en plein air qui étaient quelque part une variante résurgente des Camp Meetings. Toutes les musiques traditionnelles y furent ainsi remises à l’honneur par le disque et par des apparitions en festivals, les musiques indiennes (Native music), les musiques ethniques des immigrants (Juifs, Polonais, Allemands, Tchèques, Scandinaves, etc.) et bien entendu les musiques africaines américaines aussi, en ce compris les musiques religieuses. Dans ce dernier cas, cela conduisit à des Message Songs, des chants de revendication portés par des groupes comme les Staple Singers qui passèrent avec armes et bagages du gospel traditionnel aux Message Songs, sur des rythmes de soul music car ils étaient sous contrat Stax Records, une des compagnies qui se spécialisa dans la musique Soul avec une branche gospel et une branche blues. Les Staple Singers  voulaient que les Noirs américains retrouvent leur fierté, qu’ils s’affirment haut et fort en tant que tels, qu’ils exigent l’égalité et le respect sans concessions, et le groupe enregistra beaucoup de morceaux comme  Respect, Be what you are, Unlock your mind, Why am I treated so bad, etc. qui eurent un succès national et international et en fit un groupe culte de ces années de combat.

Les années ‘70 apportèrent leur lot d’innovations et enregistrèrent de nouvelles péripéties. Nombre d’artistes du gospel traditionnel étaient ulcérés de voir que, pour la plupart, ils gagnaient chichement leur vie en comparaison des fortunes que leurs collègues de la soul music amassaient, collègues dont beaucoup étaient issus de leurs rangs. L’hémorragie s’accentua et ceux que l’on appelait les transfuges quittèrent le gospel traditionnel en masse, quelques-uns pour le Rock and roll  (comme Little Richard) mais la majorité pour la musique soul comme Sam Cooke et Johnny Taylor (tous deux ex- Soul Stirrers), Wilson Pickett, Dionne Warwick, Lou Rawls, Solomon Burke, Aretha Frankin, Al Green... D’aucuns s’essayèrent au va-et-vient entre gospel et soul, avec des succès divers et on vit même apparaître des groupes de Gospel Rock comme les Mighty Clouds of Joy...

Comme si ces coups de boutoir portés au gospel traditionnel ne suffisaient pas, ses icones moururent l’une après l’autre :  Mahalia Jackson et Brother Joe May en 1972 , Clara Ward et Rosetta Tharpe en 1973 at avant eux Sam Cooke, Archee Brownlee (des 5 Blind Boys of Mississippi)...

Beaucoup en conclurent que c’était la fin de l’Âge d’Or du Gospel mais les réactions de survie prirent  le relais.

 

L'ère des grandes chorales (Mass Choirs)

En 1968, James Cleveland (1931-1991), l’ex pianiste des célèbres Caravans, mais aussi chanteur, arrangeur, compositeur, leader,  grand maître et organisateur de chorales,  lança un mouvement qui plaidait pour un retour à l’orthodoxie, « Gospel is still Gospel ». Il fonda le Gospel Music Workshop of America  (dans la continuité de la National Convention of Gospel Choirs de Thomas A. Dorsey) qui demeure ,malgré le décès de son fondateur en 1991, un workshop toujours aussi prestigieux en 2015 que lors des premières années de sa création quand il rassembla, chaque année des douzaines de chorales pré-sélectionnées (beaucoup d’appelés, peu d’élus) qui tentaient de ravir le titre de Meilleure Chorale de Gospel de l’année.  

cleveland
James Cleveland,
Peace be still
(Youtube)

 

L’originalité de Cleveland fut de lancer, avec succès, la formule des grandes chorales mixtes de plusieurs dizaines de membres, les Mass Choirs qui connaissent encore une grande vogue de nos jours dans toutes les églises noires et elles sont doublement mixtes dorénavant , hommes-femmes mais aussi blancs-noirs. Cleveland  y gagna un titre, celui de Crownprince of Gospel et il fut suivi dans cette voie par l’évangéliste Shirley Caesar, une ex-chanteuse des Caravans comme lui, et que l’on surnomme la First Lady of Goospel, toujours très active en 2015.

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