La « Querelle des femmes », un débat qui ne date pas d’hier
 
 

Marie de GournayApologie de l’égalité entre les hommes et les femmes

« La pluspart de ceux qui prennent la cause, des femmes, contre cette orgueilleuse preferance que les hommes s’attribuent, leur rendent le change entier : r’envoyans la preferance vers elles. Moy qui fuys toutes extremitez, je me contente de les esgaler aux hommes : la nature s’opposant pour ce regard autant à la superiorité qu’à l’inferiorité. Que dis-je, il ne suffit pas à quelques gens de leur preferer le sexe masculin, s’ils ne les confinoient encores d’un arrest irrefragable et necessaire à la quenoüille, ouy mesme à la quenoüille seule. […] Voyez tels esprits comparer ces deux sexes : la plus haute suffisance à leur advis où les femmes puissent arriver, c’est de ressembler le commun des hommes : autant eslongnez d’imaginer, qu’une grande femme se peust dire grand homme, le sexe changé, que de consentir qu’un homme se peust eslever à l’estage d’un Dieu. […] l’animal humain n’est homme ny femme, à le bien prendre, les sexes estants faicts non simplement, mais secundum quid, comme parle l’Eschole : c’est à dire pour la seule propagation. […] Et s’il est permis de rire en passant, le quolibet ne sera pas hors de saison, nous apprenant ; qu’il n’est rien plus semblable au chat sur une fenestre, que la chatte. L’homme et la femme sont tellement uns, que si l’homme est plus que la femme, la femme est plus que l’homme. L’homme fut créé masle et femelle, dit l’Escriture, ne comptant ces deux que pour un (Marie de Gournay, 1622). »

 

Marie le Jars de Gournay, Les advis, ou, les présens de la Demoiselle de Gournay, 3e éd., Paris, J. Du Bray, 1641
 
 

egalitedessexes

De la nécessité de lutter contre les préjugés

« L’on peut mettre au nombre de ces [préjugés] celuy qu’on porte vulgairement sur la différence des deux Sexes et sur tout ce qui en dépend. Il n’y en a point de plus ancien ni de plus universel. Les sçavans et les ignorans sont tellement prévenus de la pensée que les femmes sont inférieures aux hommes en capacité et en mérite et qu’elles doivent estre dans la dépendance où nous les voyons, qu’on ne manquera pas de regarder le sentiment contraire comme un paradoxe singulier. […] Si on pousse un peu les gens, on trouvera que leurs plus fortes raisons se réduisent à dire que les choses ont toujours esté comme elles sont, à l’égard des femmes, ce qui est une marque qu’elles doivent estre de la sorte et que si elles avoient esté capables des sciences et des emplois, les hommes les y auroient admises avec eux. Ces raisonnemens viennent de l’opinion qu’on a de l’égalité de notre Sexe et d’une fausse idée que l’on s’est forgée de la coutume. C’est assez de la trouver établie, pour croire qu’elle est bien fondée (Poulain de la Barre, 1676). »

François Poulain de la Barre, De l’égalité des deux sexes, Paris, J. Du Puis, 1676
 

 

L’accès au savoir est au cœur de la polémique. S’il est admis qu’elles soient éduquées dans la perspective de devenir d’honnêtes chrétiennes – bonnes mères, bonnes épouses ou « bonnes sœurs » –, on conspue leurs désirs d’en apprendre davantage. Les précieuses en font les frais. L’Église, pourtant soucieuse de l’éducation des filles et œuvrant avec efficacité à cette fin, tient beaucoup à en limiter les ambitions. Le statut de la femme autrice est en jeu : « qu’elles excellent du fond de leurs couvents à transcrire l’indicible de leurs expériences mystiques ou qu’elles s’illustrent dans les salons comme romancières, dramaturges, poétesses, historiographes ou épistolières, une guerre sans merci leur est déclarée, à laquelle elles opposent une farouche résistance et, surtout, une production personnelle considérable, saluée par leurs défenseurs, non moins prolixes sur le sujet. Car en plus des discours qui s’échangent ou s’affrontent à ce propos, sans que jamais les misogynes ne baissent la garde, les femmes manifestent avec obstination leur volonté d’agir et contribuent par leurs idées et leurs réalisations à faire progresser, dans les faits, les notions théoriques d’égalité des sexes et d’émancipation féminine (M.-É. Henneau) ».

femmessavantesQuand le savoir des femmes effraie l’homme de la rue

« Je consens qu'une femme ait des clartés de tout,
Mais je ne lui veux point la passion choquante
De se rendre savante afin d'être savante;
Et j'aime que souvent aux questions qu'on fait,
Elle sache ignorer les choses qu'elle sait;
De son étude enfin je veux qu'elle se cache,
Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache,
Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,
Et clouer de l'esprit à ses moindres propos. »
(Molière, Les Femmes savantes, acte Ier, scène 3)

 

« Les femme savantes », Gravure de Pierre Brissart dans Les Œuvres de M. de Molière,
Paris, Thierry, Barbin & Trabouillet, 1682

 

 

Le ciel s’assombrit toutefois dans la seconde moitié du siècle. Les partisans de la masculinité du pouvoir gagnent du terrain dans l’entourage royal. Après deux régences féminines, la question de l’accès des femmes à la royauté ne se pose plus, puisque les héritiers mâles ne font pas défaut. L’Église se montre de plus en plus frileuse face à l’apostolat des chrétiennes et exigeante quant à leur soumission à l’autorité masculine. « Les juristes travaillent sans relâche à restreindre les droits des femmes en matière de dévolution des biens, malgré la résistance des parlements du Midi ou de l’Ouest. La puissance paternelle s’accroît considérablement tout au long du siècle et, avec elle, celle des époux et de la parentèle masculine. Les établissements d’enseignement sont étroitement surveillés et supprimés s’ils ambitionnent de se calquer de trop près sur les modèles masculins. Les campagnes de calomnies se déchaînent contre les actrices, dont la gloire porte ombrage à leurs partenaires, ou contre les sages-femmes, que les médecins veulent à toutes forces écarter. Les historiens recomposent le passé, occultant le rôle des unes, noircissant la figure des autres. Les femmes paient cher leurs premiers pas vers l’égalité, mais ne lâcheront pas prise pour autant (M.-É. Henneau). »

celibatContraintes et méprisées…

« Je commence à remarquer plus particulièrement le préjudice qu’endurent les personnes du sexe par la privation de liberté ; ce n’est pas que je veuille dire que l’on use d’un droit tyrannique à leur égard, mais seulement que les pères et les mères ayant un pouvoir absolu sur leurs filles qui manquent ordinairement de résolution, de fermeté et de lumière dans le temps qu’on leur fait prendre parti soit dans le Cloître soit dans le Monde, leur liberté en ces occasions ne jouit pas entièrement de ses droits et ne tient pas son rang de souveraine et dominante, puisque, au sentiment d’Aristote, une action ne peut être libre et volontaire si l’on ne connaît parfaitement les obligations et les circonstances de ce que l’on veut entreprendre […] Comme le pouvoir des hommes est fort absolu et qu’ils prétendent que les femmes sont extrêmement faibles, ils joignent souvent le mépris à la contrainte, alléguant pour leurs raisons que c’est à cause de l’insuffisance et du peu de capacité des personnes du sexe qu’ils les traitent avec empire (Gabrielle Suchon, 1693). »

 Gabrielle Suchon, Du célibat volontaire, Paris, J. et M. Guignard, 1700.

 

Page : previous 1 2 3 4 next