La « Querelle des femmes », un débat qui ne date pas d’hier

Quand la Querelle des femmes bat son plein en France

QuerelleAgrippaSi l’on connaissait, depuis quelques années déjà, l’existence de cette controverse à la Renaissance – du moins les commentateurs du De nobilitate et praecellentia foeminei sexus [La noblesse et la précellence du sexe féminin] (Anvers, 1529) d’Agrippa de Nettesheim – , c’est beaucoup plus récemment que l’histoire des débats soutenus ultérieurement sur les mêmes sujets a retenu l’attention de la communauté scientifique. Les premières conclusions à propos du Grand Siècle français viennent de paraître. On peut s’y référer pour prendre la mesure du débat à un moment précis de son histoire.

Si, durant ce long 17e siècle, les reines de France se trouvent contraintes de demeurer de plus en plus en retrait, dans l’ombre de leur époux ou dans celle de leur fils, bon nombre de membres féminins de l’aristocratie continuent, dans un premier temps du moins, à assumer d’importantes charges politiques, économiques et militaires. Par ailleurs, les femmes, toutes catégories sociales confondues, s’engagent en nombre dans les entreprises de la Réforme catholique et s’y imposent comme figures de proue, qu’elles soient réformatrices ou fondatrices de couvents, missionnaires, autrices spirituelles ou riches bienfaitrices. Elles s’illustrent tout autant dans le monde des arts et des lettres, notamment à la faveur des salons, qui deviennent de hauts lieux de sociabilité et de mixité. Présentes dans tous les espaces publics, elles suscitent un nombre considérable d’écrits et d’images destinés à célébrer leurs mérites et leurs œuvres et propres à raviver dans l’imaginaire de leurs contemporains l’idéal biblique de la Femme forte ou le profil héroïque des figures païennes.

HilarionDeCosteÉloges de femmes célèbres

« Je n’ay jamais approuvé l’opinion de Thucidide qui estimoit qu’entre les femmes, celle-là est la plus vertueuse de qui l’on parloit le moins, soit en bien soit en mal, pensant que le nom de la femme d’honneur doive estre tenu enfermé, comme le corps, et ne passer jamais les portes de la maison […] Les Romains n’ont point fait de difficulté de les louer publiquement après leur mort, aussi bien que les Hommes illustres […] Toutes les autres nations de la terre ont porté un respect aux femmes sages et vertueuses et ont estimé que la distinction du sexe ne distinguoit point la vertu et que, se trouvant ou semblable ou quelquefois plus grande dans les femmes que dans les hommes, elle ne devoit pas estre privée de son principal loyer qui est la louange [… Il faudroit composer plusieurs volumes, si on vouloit rapporter combien de femmes et de filles sont louées par les premières plumes du monde, non seulement pour avoir fait tant de belles actions pour l’avancement du christianisme ou pour la conservation et le soulagement des peuples et des nations entières, mais aussi pour avoir bien réussi en l’estude des bonnes Lettres et en la conduite des Etats et des Empires, non seulement durant la Paix, mais encore parmy les troubles et les guerres étrangères et domestiques (Hilarion de Coste, 1643). »

Le succès retentissant des dictionnaires de femmes célèbres ne doit toutefois pas masquer la violence de la controverse qui continue à opposer les philogynes à leurs adversaires, assurant ainsi une longue postérité à la Querelle des femmes. Loin de reproduire les arguments déjà ressassés depuis deux siècles, les polémistes actualisent le débat en fonction des changements survenus dans la société et dans les modes de pensée. On continue certes à ferrailler violemment pour soutenir la thèse de la supériorité d’un sexe sur l’autre, mais, en marge de cet affrontement, certains auteurs comme l’humaniste Marie de Gournay (1622) ou le philosophe François Poulain de la Barre (1673), se démarquent de cet argumentaire pour soutenir le motif de l’égalité entre les sexes, alors que s’esquisse, pour une élite intellectuelle minoritaire, la possibilité extrême de transcender la question du genre. Les ennemis des femmes se contentent le plus souvent de quolibets et de railleries, sans prêter attention au discours adverse. Leurs défenseurs sont plus créatifs et coulent leurs réponses dans les genres les plus divers, pamphlets, traités, dictionnaires, romans, pièces de théâtres, gravures ou peintures…

alphabetLa malice des femmes

« Dieu ayant créé la femme pour estre la fidelle compagne de l’homme et pour luy ayder à produire son semblable, elle luy fut néantmoins contraire et se rendit ennemie de son bonheur et de toute sa fortune […] elle lui procura son mal, sa perte et sa damnation, comme l’on voit en l’histoire de la création, car le Diable ne trouvant rien au monde de plus cauteleux, de plus attrayant et de plus propre pour charmer les yeux et le cœur des hommes que la femme, il la gaigna premierement pour plus aisément attraper celuy qu’il n’osoit attaquer (Jacques Olivier, 1617) … »

 

Jacques Olivier, Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, Paris, J. Petitpas, 1617

 

excellenceL’excellence du sexe féminin

« Je commenceray par l’origine de la femme, qui est la créature la plus parfaite en son fruit de toutes les œuvres de Dieu […] C’est grande chose que la femme est tirée de l’homme, mais c’est plus grande chose que tous les hommes sont tirez de la femme et sauvez par le moyen de la femme. [L’homme est tiré] d’une masse de terre morte, [mais] la femme, [Dieu] l’a formée dans le Paradis, de la coste de l’homme, d’une chose vive et animée, de pareille âme qu’il avoit inspirée en l’homme […] Sans la femme, l’homme estoit seul, sans ayde ny contentement dans toutes les beautez et richesses du monde, lesquelles il possédoit seul ; sa pensée sensitive estoit errante iusques à ce qu’elle fust arrêtée en la personne de la femme ainsi que Dieu y avoit arresté son ouvrage. La femme, avec son dot qui est la douceur et la beauté, fut baillée à l’homme pour ayde ; l’homme avoit donc besoin d’ayde ; celuy qui a besoin d’ayde est en pire condition que celuy qui ayde (Abbé Guerry, 1635). »

Abbé Guerry, Traicté de l’excellence du sexe Foeminin, Paris, J. Pétrinal, 1635

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