La « Querelle des femmes », un débat qui ne date pas d’hier

Christine de PizanLa question de l’égalité/inégalité des sexes et celles de leur différence et de leur distinction n’ont pas attendu le siècle dernier pour soulever des débats passionnés. Dès la fin du Moyen Âge, surgit une vive polémique à propos de la place et du rôle des femmes dans la société. « Qu’elle [ait été] feutrée ou violente, qu’elle [ait pris] un tour sérieux ou cocasse, qu’elle [ait recouru] à des arguments rationnels ou à des émotions, [la controverse] s’est développée en écho aux efforts concrets des acteurs et actrices de la société pour empêcher, ou au contraire pour permettre l’accès des femmes et des hommes aux mêmes activités, aux mêmes droits, aux mêmes pouvoirs, aux mêmes richesses, à la même reconnaissance (É. Viennot). » La longue histoire de ce débat, dont certains critiques littéraires du 19e siècle avaient déjà repéré les traces à la fin du Moyen Âge et pendant la Renaissance – sans aller au-delà d’une appréciation très réductrice du phénomène, de ses enjeux et de ses conséquences –, fait désormais l’objet de recherches pluridisciplinaires intensives dans le domaine des études femmes/études de genre. Les pays anglo-saxons ont donné l’impulsion dès le début des années 1980 ; les chercheurs francophones viennent tout juste de reconnaître l’intérêt et la pertinence du sujet.

Christine de Pizan, The British Library Board
Harley 4431, f.259v.

 

Cause sérieuse ou crêpage de chignons ?

Martin Le FrancDès 1888, la thèse d’Arthur Piaget avait révélé au public francophone la position originale de Martin Le Franc, auteur d’un Champion des Dames (1441) destiné à contredire les arguments misogynes de ses contemporains.

Martin Le Franc, Champion des dames,
Grenoble, BM, Ms 875, f° 26.
 

Peu après, les spécialistes de la cour de Marguerite de Navarre – sœur de François Ier – firent valoir que la question de la hiérarchie des sexes y avait été vivement débattue dans les années 1540, tandis que les premières thèses consacrées à Christine de Pizan (1363-1430), au début du 20e siècle, mettaient en exergue l’engagement explicite de l’autrice pour la cause des femmes. On en vint à parler de « Querelle des femmes » pour désigner le débat opposant défenseurs et détracteurs du sexe féminin, en référence à la signification juridique du terme querela (plainte et cause) – à distinguer évidemment des conflits ayant pu opposer des femmes entre elles à propos d’autres sujets. Longtemps les spécialistes – principalement des historiens de la littérature – ont cru devoir cantonner ce débat dans le registre des disputes ludiques auxquelles les intellectuels se livraient pour le plaisir de controverser, n’accordant que peu d’importance au contenu des propos échangés et changeant d’ailleurs de camp au gré de leur fantaisie. C’était faire peu de cas du gigantesque corpus de documents témoignant de ce long « combat de plumes et de pinceaux » (M. Zimmermann), qui a pesé sur l’évolution des rapports sociaux entre les hommes et les femmes et d’où a pu lentement émerger le concept fondamental d’égalité – au sens où les sociétés démocratiques occidentales l’entendent en 2015 et non dans l’acception reçue par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 !

Cité des damesDésormais, il s’agit donc d’envisager cette querelle au sens large et sur le long terme, afin de mieux saisir le contenu et la portée des arguments pro et contra avancés sur tous les fronts et qui continuent à peser aujourd’hui sur la manière de conceptualiser le masculin et le féminin et d’envisager les rapports entre les sexes en termes d’égalité ou de hiérarchie. Parmi les thèmes largement débattus au cœur de cette longue histoire qui marque non seulement la France mais aussi l’Europe médiévale et moderne, celui de l’égalité des chances en matière d’éducation et d’accès au savoir mobilise de manière récurrente les défenseurs du sexe féminin. « Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et de toutes les sciences tout aussi bien qu’eux » avance déjà Christine de Pizan en1405 (Cité des Dames). Mais, il est également question de la répartition des rôles sexués dans les espaces publics et privés, de la capacité ou de la légitimité des femmes à exercer – ou non – des responsabilités politiques ou à produire de grandes œuvres et, surtout, des qualités et défauts des unes et des autres justifiant ou non des rapports de domination d’un sexe sur l’autre. Pour en débattre dans les lieux de savoir ou de sociabilité, on en appelle non seulement à l’histoire, au droit ou à la médecine, mais aussi aux philosophes anciens et modernes ou aux textes sacrés diversement interprétés.

 

Maître de la Cité des Dames,
Paris, BnF, Manuscrits, français 1178, f. 3

 

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