L'étoile des rois

L'hypothèse de la triple conjonction

Reste le meilleur scénario : une triple conjonction entre Saturne et Jupiter qui s’est produite en 7 avant notre ère dans la constellation des Poissons. Saturne est considérée comme l’étoile du Messie, Jupiter comme celle des rois, et la constellation des Poissons est bien connue pour abriter la « maison des Juifs » : la combinaison des trois offre donc un message évident pour tout astrologue de l’époque. De plus, l’événement est rare. En effet, Saturne fait un tour de la voûte céleste en 29,5 années et Jupiter en 12 ans. Des conjonctions se produisent donc régulièrement, tous les 20 ans environ, mais pour qu’il y en ait trois qui se suivent, il faut en plus que les planètes passent alors par leurs points stationnaires (donc se trouvent en opposition, càd qu’il y ait un alignement Soleil-Terre-Jupiter-Saturne), ce qui ne se produit que tous les 120 ans. Évidemment, la triple conjonction peut a priori se faire dans n’importe quelle constellation du zodiaque : la chose n’a lieu dans les Poissons que tous les 796 ans ! Mieux encore : pour celui qui possède des modèles planétaires précis, cet événement peut être calculé. À l’époque, seuls les Mésopotamiens disposent de ce genre de choses, et on a… retrouvé une tablette babylonienne qui en parle – nul doute que les mages devaient être impatients de vérifier cette prédiction théorique pour le moins particulière.

mosaïqueRavenneCette hypothèse de la triple conjonction est en fait assez ancienne. Il semble que le prince d’Urbino ait demandé en 1465 à l’astronome Regiomontanus de calculer la date de cet événement, ce qu’il refusa (l’astronomie ne devant pas servir à ce genre de bêtises selon lui). En 1604, Kepler observa une conjonction entre Jupiter et Saturne en même temps qu’une supernova, qu’il interpréta alors comme conséquence de la conjonction (une erreur au niveau astronomique – c’était un pur hasard, en fait – mais une erreur peut-être compréhensible vu le manque d’observations de novæ et supernovæ sous nos latitudes). Connaissant les connotations astrologiques de ces planètes, Kepler se dit que ce genre de chose avait pu se produire auparavant, à la naissance du Christ, une supernova expliquant la fameuse étoile de Noël. Aujourd’hui, une série d’astronomes ont repris la chose à leur compte, et répandent la bonne parole à son sujet (en ayant éliminé la supernova, évidemment).

Seules incompatibilités avec le texte de Matthieu : les deux planètes ne se sont jamais approchées jusqu’à se confondre en un astre unique car l’alignement resta imparfait ; d’autre part, l’allusion à « marcher devant » reste assez mystérieuse. Autre problème : les planètes furent perdues dans la lumière solaire durant le reste de l’hiver, et lorsqu’elles redevinrent visibles, Mars les accompagnait, or cette planète a mauvaise réputation – comment interpréter l’annonce du Messie en présence de la maléfique planète ?

Par contre, côté astrologique (et en particulier astrologie mésopotamienne), on est blindé avec les trois annonces simultanées – roi + messie + Judée/Palestine. Côté « arrêt » au-dessus de la crèche tout va bien aussi, puisqu’on utilise les points stationnaires. Côté durée, aucun problème non plus puisque tout cela dura six mois : premier rapprochement entre les deux planètes le 27 mai, deuxième le 5 octobre et troisième le 1er décembre – et entre ces dates, les deux compères planétaires ne s’éloignaient guère. D’où le statut de favori de cette explication… imparfaite.

Christmas-Sat-Jupe-panel

 

Le mystère persiste

Au final, il faut bien avouer que l’on n’est pas beaucoup plus avancé. Certes, quelques événements célestes (passage d’une comète, [super]nova, ou conjonction planétaire) sont possibles, mais l’ambiguïté persiste car jamais on ne trouve une solution répondant à tous les critères. Il est donc impossible de définir «l’» étoile de Noël. La date de naissance de Jésus ne sera pas déterminée astronomiquement… et on peut même se poser la question des motivations profondes à vouloir à toute force harmoniser récit biblique et données scientifiques. Il ne nous reste qu’à rêver de ces riches Orientaux amenant des cadeaux, en grignotant une galette… des rois (mages), évidemment !

 

Yaël Nazé
Décembre 2014

 

crayon
Yaël Nazé est chercheuse FNRS au département AGO de l'ULg.  Elle est également l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique.
 
 
Bibliographie
Anonyme, http://www.astronomynotes.com/history/bethlehem-star.html
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Pannenroth K., the star of Bethlehem casts light on its modern interpreters, QJRAS, 34, 449-460 (1993)
Schaefer B.E., the star of Bethlehem is not the nova DO Aquilae (nor any other nova, supernova, or comet), The Observatory, 133, 227-231 (2013)
Strobel N., http://www.astronomynotes.com/history/bethlehem-star.html
Tipler F.J., the Star of Bethlehem: a Type Ia/Ic Supernova in the Andromeda Galaxy, The observatory, 125, 168 (2005)
 

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