L'étoile des rois
Burne-Jones, L'étoile de Bethléem, 1890

Burne-JonesLa dernière possibilité est tout simplement qu’il s’agisse d’un événement céleste bien réel, suffisamment remarquable pour être noté.
Dans ce cas, l’astronome peut entrer en action, et chercher l’étoile en question. Il peut même l’utiliser pour dater la naissance du Christ. Eh, oui, c’est que le coquin n’est pas né le 25 décembre en 1 avant Lui, ayant une semaine à peine le premier janvier de l’an 1. Tout d’abord, la date du 25 décembre a été choisie au 4e siècle, pour des raisons d’évangélisation : il s’agissait de « réaffecter » une fête païenne très suivie, liée au solstice d’hiver (le sapin « de Noël » provient d’ailleurs de cette tradition). Ensuite, c’est au 6e siècle qu’un moine, Denys le Petit, fixa le début de notre ère (l’an 1 de notre calendrier) à l’an 753 du calendrier romain – et on sait qu’il a commis quelques erreurs de calcul. Bref, la seule chose claire est que Jésus serait né quelques années avant notre ère, à une saison indéterminée (le texte de l’évangile de Luc mentionne la présence autour de l’étable de bergers avec leurs troupeaux, ce qui semble exclure l’hiver). Alors l’étoile peut-elle fournir des informations plus précises ?

 

Les « faits »

Pour le savoir, il faut se pencher sur ce que contient le texte de Matthieu. Il recèle cinq informations :

Les personnages sont des mages venant de l’Orient, donc de l’Est : il s’agit très probablement d’astrologues babyloniens – il n’est nulle part fait mention de leur nombre ou d’un statut royal (contrairement à la légende tenace des « trois rois mages »).

Ils ont repéré un astre que ni Hérode ni les citoyens de Jérusalem n'ont vu : il s’agit donc d’un événement remarquable, suffisamment pour justifier un long voyage, mais pas trop – sinon tout le monde l’aurait vu. La luminosité n’est d’ailleurs pas précisée, et c’est une tradition ultérieure qui fera de cette étoile un phare céleste immanquable.

Le phénomène a duré un certain temps. En effet, le voyage entre Babylone et Jérusalem prend plusieurs semaines, voire quelques mois, et il faut ajouter le trajet jusque Bethléem, d’où l’astre était toujours visible. L’étoile est donc apparue plusieurs fois de suite, chaque fois assez longtemps, ou une fois mais très longtemps.

L’astre a guidé les mages vers Jérusalem : soit il se trouvait dans un endroit du ciel associé, au niveau astrologique, avec la région, soit il indiquait la direction à prendre1.

L’astre se comporte bizarrement. Il « marchait devant » les mages, une chose assez difficile à comprendre pour un objet céleste, à moins qu’il s’agisse simplement de la direction de l’objet (par ex. situé au Sud depuis Jérusalem donc indiquant la direction de Bethléem). De plus, l’astre s’est « arrêté » au-dessus de l’étable la plus célèbre de Bethléem.

Les possibilités célestes

Au cours des siècles, les astronomes se sont penchés sur la question de l’identité de cet astre de Noël. Des dizaines d’hypothèses ont vu le jour, certaines moins probables que d’autres… Par exemple, certains ont envisagé un météore, une aurore polaire, une étoile variable, de la foudre en boule ou la lumière zodiacale. Cela ne cadre pas vraiment avec le texte de Matthieu : météore, aurore ou foudre sont des événements courts, peu susceptibles de guider qui que ce soit durant un long voyage ; lumière zodiacale ou variation stellaire sont des événements récurrents et très peu spectaculaires. Par contre, trois familles de scénarios tiennent la route : une comète, une (super)nova, et un événement planétaire.

Une comète

Commençons par la comète. Même si ces astres ne font pas partie des « outils » astrologiques habituels, une tradition orientale les lie à la naissance ou la mort de rois : rien d’étonnant, donc à ce que les mages y voient l’annonce d’un nouveau règne. D’autre part, le chemin des comètes les fait parfois rester au même endroit du ciel, quasi immobiles, pendant quelque temps, ce qui expliquerait l’arrêt rapporté par Matthieu.

giottoMais y a-t-il eu des comètes à ce moment-là ? Pour le savoir, il suffit de consulter les bibliothèques célestes que sont les chroniques chinoises. Elles rapportent plusieurs cas à cette époque : une comète (aujourd’hui connue sous le nom de comète de Halley) en 12 avant notre ère et une comète en 4 avant notre ère qui se balada non loin d’Altaïr. La première se produisit un peu trop tôt – on ne pense pas que Jésus soit né plus de dix ans avant le début de notre calendrier. La seconde pose aussi problème : comment une comète près d’Altaïr aurait pu guider des mages jusque Jérusalem ? Il n’y a aucun lien astrologique évident, et le mystère reste donc entier… Par contre, certains ont suggéré que la comète de Halley aurait pu inspirer, sinon les mages, le rédacteur de l’évangile : en effet, elle réapparut en l’an 66, se déplaçant d’abord vers l’ouest puis ne bougeant pas beaucoup – elle était alors bien visible dans le ciel méridional, direction de Bethléem depuis Jérusalem.

En outre, il y eut quasi à la même époque une grosse délégation arménienne qui se rendit à Rome avec des cadeaux et ne revint pas par le même chemin au retour : peut-être la coïncidence des événements, et leur caractère spectaculaire et connu de tous dans la région où l’évangile a été écrit, aurait pu inspirer l'évangéliste pour écrire peu après son histoire « exemplaire ». D’autant plus que cette coïncidence s’était produite une septantaine d’années plus tôt – passage de Halley en 12 avant notre ère et visite d’une délégation étrangère venue rendre hommage à Hérode deux ans plus tard. Bref, l’occasion était suffisamment belle pour être inspirante.

Giotto, chapelle des Scrovegni, Nativité – l’étoile est ici clairement une comète. Il s’agit en fait de la comète de Halley, telle qu’observée par le peintre en 1301, quelques années avant l’exécution de l’œuvre. Il n’y a donc aucun lien avec l’événement céleste d’il y a deux mille ans environ, s’il s’en est produit un.

 

 

 

 
1 À noter que l’évangile de Mattieu parle d’un astre vu « en Orient », soit à l’Est – la direction opposée de celle de Jérusalem… Certains ont cependant interprété ce passage comme l’observation d’un lever héliaque, soit la première visibilité d’un astre, le matin juste avant l’aube.
 

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